Revue de presse

X.-L. Salvador : « Le départ du proviseur du lycée Maurice-Ravel signe la démission coupable de toute la fonction publique » (lefigaro.fr , 28 mars 24)

Xavier-Laurent Salvador, agrégé de lettres modernes et cofondateur de l’Observatoire du décolonialisme. 29 mars 2024

[Les éléments de la Revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

"FIGAROVOX/TRIBUNE - Menacé de mort, le responsable de l’établissement a annoncé quitter ses fonctions « par sécurité » pour lui et pour le lycée. Pour Xavier-Laurent Salvador, maître de conférences et membre de l’Observatoire du décolonialisme, cette affaire est l’illustration de la défaite de l’État.

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Lire « Le départ du proviseur du lycée Maurice-Ravel signe la démission coupable de toute la fonction publique ».

Le 1er octobre 1954, c’est par l’assassinat d’un Instituteur que débute la guerre d’Algérie. Guy Monnerot a depuis été reconnu « mort pour la France ». Aujourd’hui, en France, c’est un proviseur désavoué qui se met en retrait après avoir été désigné à la vindicte islamiste par une élève insolente.

L’école a été, est et restera toujours le lieu d’affrontement de tous les fanatismes religieux pour la simple et bonne raison que c’est dans l’école que se joue l’avenir d’une civilisation. Pas dans les entreprises, pas dans les commerces ni dans les lieux de consommation effrénés où on cherche à nous plonger ; pas non plus dans les officines obscures d’une Commission européenne éloignée de tout où se négocieraient entre marchands et bourgeois les taux directeurs de la monnaie ou la valeur de la dette. C’est au contraire avec les premiers des fonctionnaires, les professeurs, que se bâtissent les colonnes d’airain d’une République crainte et respectée. Effondrez l’école, et tous les principes qui en dépendent parmi lesquels on peut citer la langue et la laïcité : il ne restera plus rien de la citoyenneté française.

Tous ceux ces jours-ci qui s’entendent pour saper l’institution scolaire s’accordent en réalité pour réclamer tantôt le respect de leur particularisme religieux, tantôt le respect de leur identité sexuelle, tantôt leur manie inclusive ; l’obscénité des adultes a fait irruption dans le monde de l’enfance. En même temps qu’elle a inversé la pédagogie de classe, la société du carnaval a fait du respect une marque due à l’enfant, et non plus à l’adulte.

Voilà pourquoi nous assistons à la convergence des luttes des communautarismes les plus fous et des intégrismes religieux insolents : tous exigent qu’on les respecte, eux, en même temps qu’ils prétendent généraliser le mépris de ceux qui ne leur ressemblent pas. L’affaire du foulard de Creil avait marqué le début d’une lente descente aux enfers pour l’école : des enfants, convaincues de fanatisme par leur entourage familial, avaient été poussées à affronter l’autorité académique. Mais l’État avait su promouvoir une frontière infranchissable autour de l’enceinte scolaire.

Mais dans le même temps, par lâcheté sans doute, les équivalents des proviseurs dans les établissements supérieurs s’affranchissaient de toute obligation en permettant à tous les particularismes religieux de s’exprimer dans les campus, créant de fait une situation clivante : l’école était laïque, l’université était en dessous de tout. L’école était le lieu du respect de l’autorité ; l’université devenait le lieu du déguisement. Voilà la faille, voilà comment on a créé un monde dans lequel des élèves adultes de classes préparatoires se trouvent d’un côté tenus de respecter le principe de neutralité pendant que leurs amis en fac s’en trouvent dispensés.

France Universités, le « club » des présidents d université français, a publié il y a quelques semaines son « guide de la laïcité 2023 ». Jugez par vous-même : on y parle, sous la plume du « Référent laïcité », de « laïcité ouverte » sans doute pour mieux conspuer l’ancienne qui devait être « fermée ». On y lit dans une écriture résolument inclusive, des propositions scandaleuses. Je n’en retiendrai qu’une : « De même, une étudiante ou un étudiant non-fonctionnaire de l’INSPÉ doit s’abstenir de porter des signes religieux durant un stage dans un établissement scolaire. Elle et il recouvre en revanche sa liberté à son retour en cours ».

De quelle liberté parle-t-on ? De la vraie liberté islamiste au sein des universités par opposition à la prison scolaire ? Nous payons cette lâcheté au prix fort, et la trahison des clercs a le goût du sang : bientôt les enfants de France, parmi lesquels sans doute des enfants musulmans eux-mêmes, finiront de s’embastiller dans les écoles privées de leur « communauté », par peur. Ce sera le symptôme du « locked-in syndrom » collectif de ces gens que la liberté effraie autant que le terrorisme. C’est que seule l’école républicaine sait former des élites républicaines.

L’affaire qui s’est déroulée au lycée Maurice-Ravel est le paroxysme d’une inversion des valeurs coupables dont toute l’Institution porte la responsabilité. Le retrait du proviseur est une honte qui signe la démission coupable de toute la fonction publique : la même faiblesse qui amène les policiers à fuir ou les pompiers à ne plus oser entrer dans certains quartiers de peur qu’on les attaque.

Dans un discours à l’Assemblée de mars 1904, Jean-Jaurès affirme que « la démocratie ne peut vivre que par l’enseignement de [la] liberté [inconditionnelle de l’être humain…] Quiconque n’a pas renoncé doctrinalement à contester la liberté absolue de la personne humaine n’a pas le droit d’enseigner dans une démocratie ». Et aussitôt il ajoute que « toute doctrine, même celle qui peut par voie de conséquence aboutir à des conclusions de servitude, a le droit de se propager d’esprit à esprit ».

Prendre le risque de la servitude par la dispersion de l’idéal de liberté, c’est l’honneur de la république. Sommes-nous prêts collectivement à perdre ce pari ?

Pas moi, pas nous. Il faut que les écoles et les établissements du supérieur redeviennent les lieux où s’enseigne la liberté absolue de la personne humaine en rendant possible l’émancipation de l’enfant du carcan identitaire auquel on veut le résigner. Un « ministre », étymologiquement, c’est un « serviteur » du peuple : il serait temps que ces gens s’en souviennent ; ou qu’ils partent."


Voir aussi dans la Revue de presse le dossier Paris : le proviseur du lycée Maurice-Ravel menacé (2024) dans Profs menacés dans Atteintes à la laïcité à l’école publique dans Ecole (note de la rédaction CLR).


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