Revue de presse

Vigilance collèges lycées : "L’école, sanctuaire laïque, est assiégée" (lepoint.fr , 28 mars 24)

29 mars 2024

[Les éléments de la Revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

"TRIBUNE. Le collectif Vigilance collèges lycées réagit à la « cabale abominable » contre le proviseur de l’établissement parisien, contraint de quitter ses fonctions.

Par le collectif Vigilance collèges lycées

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Lire "Lycée Maurice-Ravel : l’école, sanctuaire laïque, est assiégée".

« Nos jeunes maîtres étaient beaux comme des hussards noirs », écrivait Charles Péguy dans De l’argent. Ces maîtres qui étaient « les enfants de la République ». L’écrivain ne file pas la métaphore de façon seulement stylistique, ou en référence à un code vestimentaire particulier. Il le fait car ces instituteurs incarnaient, à la fin du XIXe siècle, une autorité morale et la promesse d’un combat : celui qui conduit, au nom du progrès, des lumières et de la raison, les futurs citoyens vers leur émancipation, et, grâce à eux, garantit la préservation de la République et de ses valeurs humanistes. Ce combat qui, il y a quelques décennies, semblait gagné, a aujourd’hui repris toute son urgence et son caractère vital.

Une nouvelle guerre est menée contre l’école de la République, et plus généralement contre la démocratie et la liberté. Et les hussards noirs d’aujourd’hui tombent au front pour incarner ces idéaux ou les défendre. L’islamisme use de divers moyens pour supprimer ceux qui l’entravent ou le gênent. Il peut tenter de distordre les lois. Il peut essayer de les influencer. De les adapter à sa sauce. Il peut aussi, lorsque ces stratégies « pacifiques » et « légales » échouent, utiliser la manière forte. La menace physique. Celle de vous annihiler. C’est à cela qu’on reconnaît le fascisme, et celui qui se colore de vert n’y fait pas exception.

Cabale abominable

La dernière victime en date de cette offensive contre la liberté et la laïcité est le proviseur du lycée Ravel de Paris. On apprenait ainsi, le 26 mars dernier, qu’il quittait ses fonctions de chef d’établissement après avoir été victime d’une cabale abominable, aux ressorts et aux motifs tristement connus.

Rappelons que ce fonctionnaire de la République a commis le « crime » de demander à une élève de retirer le voile qu’elle portait au sein de l’établissement, comme la loi du 15 mars 2004 l’y oblige. La suite, vous la connaissez, car le scénario tragique écrit et interprété par les islamistes est à présent bien rodé : taxé d’islamophobie, ce mot qui constitue aujourd’hui un permis de tuer, monsieur le proviseur du lycée Ravel de Paris était la cible de menaces de mort , relayées et amplifiées par la logique mortifère des réseaux sociaux.

Comme un air infernal de déjà-vu. Et si, et c’est heureux, il n’a pas partagé le sort funeste de Samuel Paty et de Dominique Bernard, c’est la même idéologie et ses mêmes défenseurs qui l’ont sans doute contraint à se retirer. La mise à mort peut être physique. Mais elle peut aussi être sociale, comme celle que subissent tous ceux que l’islamisme a jugé bon de désigner comme cible : des journalistes, des enseignants, des proviseurs.

La cabale ayant visé le proviseur du lycée Ravel et conduit à sa démission ne serait, aux dires de certains, qu’un « simple fait divers, un épiphénomène qui nous détournerait des vrais problèmes ». Mais lesquels ? Abolir la loi de 2004, pour instaurer en France un multiculturalisme à l’anglo-saxonne, dont le modèle, en particulier celui de la Grande-Bretagne, devrait pourtant nous alerter sur ses limites ?

« Terrible solitude des enseignants »

Pourtant, les faits sont têtus, et l’actualité, peu accommodante, contrairement à cette laïcité que nous vendent ces partisans de « l’ouverture » et de la « tolérance ». Le 6 mars, un rapport sénatorial, commandé à la suite de l’assassinat de Samuel Paty, était formel et le constat absolument sans appel : pointant la « terrible solitude des enseignants », les élus du Palais du Luxembourg évoquaient une « violence endémique » à l’égard des enseignants et des personnels de l’Éducation nationale. Une nouvelle fois, on constate l’autocensure massive qui frappe la profession, ainsi que l’augmentation inquiétante des contestations de cours.

Aucun territoire ni aucun niveau d’enseignement ne sont aujourd’hui épargnés.

Autre point important : si les violences et les incivilités de tous ordres, parmi lesquelles les atteintes à la laïcité sont nombreuses , touchent particulièrement les établissements classés en éducation prioritaire, aucun territoire ni aucun niveau d’enseignement ne sont aujourd’hui épargnés. Ainsi, centre-ville, campagnes, lycées, collèges ou lycées professionnels peuvent communier et témoigner de la nécessité de « respecter la religion ».

Solidarité du corps éducatif

Alors, avons-nous perdu ? À la suite de l’agression du proviseur de Ravel, 170 proviseurs de lycées et principaux de collèges parisiens, soit la moitié des chefs d’établissements scolaires secondaires de la capitale, s’étaient réunis place de la Sorbonne. Pour l’autre « Grande Muette » que peut constituer l’Éducation nationale, et particulièrement ceux que l’on surnomme les perdirs (personnels de direction), une telle mobilisation est aussi forte qu’inédite. On ne peut que saluer les « chefs » qui ont choisi de montrer leur colère mais aussi leur dépit : cela témoigne de la gravité de la situation.

Mais cela montre aussi la solidarité du corps éducatif, et montre que nous ne pourrons sortir de cette spirale qu’en nous appuyant sur la pédagogie, le savoir et la culture, d’une part, et la fermeté républicaine, d’autre part. On ne peut d’ailleurs que saluer la réactivité dont on a fait preuve l’institution en accordant la protection fonctionnelle au proviseur du lycée Ravel, une fois que l’accusation d’islamophobie fut connue et popularisée sur les « réseaux ».

Mais n’oublions pas que cette réactivité existe aujourd’hui car un drame a eu lieu, et que Samuel Paty n’a lui, pas bénéficié du même soutien de sa hiérarchie. Et c’est sa sœur Mickaëlle qui réendosse « l’uniforme civique » du hussard noir, pour faire vivre sa mémoire, mais également lui rendre justice et participer à la défense d’une école assiégée par le fanatisme . En déposant un recours en responsabilité contre l’État, qu’elle accuse de ne pas avoir pris les mesures nécessaires face aux menaces pesant sur son frère , elle espère que « l’institution prenne la réelle mesure des offensives la ciblant ».

Star de l’islamosphère

Si la prise de conscience semble avoir lieu, elle doit être suivie d’une fermeté réelle qui ne peut plus se permettre d’être un coup d’épée dans l’eau, ni se limiter à des coups de menton médiatiques. Elle ne peut par ailleurs fonctionner que si tous les enseignants agissent de concert et vont dans la même direction. Nous, professionnels de l’enseignement, savons que la pédagogie est affaire de répétition et de cohérence, ce qui est fondamental pour qu’elle soit efficace. Nos élèves savent biaiser et user des failles ou des contradictions qui peuvent se faire jour. C’est là un jeu et une « constante » depuis la nuit des temps. Mais ce jeu n’en est plus un lorsqu’il est investi par les ennemis de la laïcité et de la République.

L’argumentaire relayé par cette élève et ses mentors est toujours le même et la stratégie bien huilée.

Il n’est guère surprenant que l’élève ayant refusé d’enlever son voile au lycée Ravel soit devenue une star de l’islamosphère, particulièrement promue sur les réseaux du CCIE (Collectif contre l’islamophobie en Europe). Pour rappel, celui-ci n’est que la résurrection de notre CCIF national (Collectif contre l’islamophobie en France), qui s’était autodissous en 2020, devançant par là les projets du gouvernement qui reconnaissait en lui l’un des plus efficaces canaux de diffusion de l’islamisme dans notre pays. Et pour avoir contribué à mener la meute qui a conduit à l’assassinat de notre collègue Samuel Paty, après avoir sali son nom. Nous, enseignants laïques, ne l’oublierons jamais.

L’argumentaire relayé par cette élève et ses mentors est toujours le même et la stratégie bien huilée : la demande effectuée par le proviseur de Maurice-Ravel d’enlever un voile n’est qu’une manifestation du racisme et de l’islamophobie d’État puisque, pour le CCIF, la loi de 2004 est par essence islamophobe et raciste. Tant pis si ce sont nos collègues qui se retrouvent sous protection policière et qui sont menacés d’être victimes, à leur tour, de se voir faire « une Samuel Paty », et non les militants de ce CCIF/CCIE.

Et tant pis aussi si cette loi, abhorrée des islamistes plus qu’aucune autre, visait et vise encore à protéger les élèves et leur liberté de conscience. C’est en effet le « cri de détresse » des jeunes filles, témoignant des pressions qu’elles subissaient pour les contraindre à porter le voile et à se soumettre à une orthodoxie religieuse leur intimant de se rendre ainsi « respectables », qui avait conduit contre toute attente la commission Stasi à adopter à l’unanimité (moins une abstention) l’interdiction des signes religieux ostensibles dans les écoles.

Indignés professionnels

Bien qu’elle soit, selon l’adage, mauvaise conseillère, la colère se fait jour chez nous, militants laïques et défenseurs de la République. Par exemple, lorsque l’on apprend que le CCIE, officine cléricale et islamiste, semeur de chaos et agent actif de la traque lancée contre Samuel Paty, se voit dérouler le tapis rouge par certains syndicats enseignants se revendiquant d’extrême gauche : gaussons-nous de la bêtise des volatiles, mais même les dindes ne gloussent pas de joie à l’idée de voir arriver Noël.

La mise à mort peut être physique. Mais elle peut aussi être sociale, comme celle que subissent tous ceux que l’islamisme a jugé bon de désigner comme cible : des journalistes, des enseignants, des proviseurs.

Si ces indignés professionnels, contempteurs de l’injustice et défenseurs autoproclamés des damnés de la terre font un mal infini à la cause laïque et républicaine, leur influence néfaste n’est si forte que parce que les brèches dans nos murailles sont nombreuses. Car l’exemple doit venir d’en haut. Et l’état-major ne peut rester silencieux ou incohérent quand ses hussards tombent et sont contraints de baisser les armes. L’on ne peut dès lors que déplorer les valses ministérielles qui ont agité la Rue de Grenelle, et l’instabilité délétère qu’elles entraînent sur la ligne à suivre en matière de laïcité.

Constance politique

Comment espérer avoir une politique constante en la matière, lorsque l’on passe de Jean-Michel Blanquer à Pap Ndiaye ? Quelle continuité existe-t-il entre Gabriel Attal, qui a, lors de son très court passage, endossé le bleu de chauffe laïque et contribué, reconnaissons-le, à redonner tout son sens à la loi de 2004, menacée, en interdisant clairement les abayas et autres qamis , et une ministre qui s’est faite le thuriféraire de l’enseignement privé catholique le plus socialement ségrégué ?

Nicole Belloubet, qui a par le passé participé à l’hallali visant Mila, avant de rétropédaler, semble reprendre les positions de Gabriel Attal et reconnaît que la laïcité est aujourd’hui menacée à l’école. Espérons que cet engagement soit dorénavant fermement tenu.

Les remises en cause de notre précieuse loi, et des libertés dont elle découle et qu’elle permet, doivent aussi être combattues par tous les corps intermédiaires : les corps d’inspection, les Inspé, les formateurs. Car, là aussi, on voit émerger, et parfois fleurir et prospérer des conceptions de la laïcité tellement éloignées de cette dernière qu’elles n’en ont plus que le nom. Une laïcité à choisir, adjectivée, assouplie, adaptée aux « sensibilités », et au final, totalement vidée de sa substance. Rappelons-le, claironnons-le, crions-le : la laïcité n’est pas le simple cache-sexe d’une version française de la tolérance anglo-saxonne, celle qui aboutit à tous les compromis honteux.

La loi de 2004 est un jalon fondamental dans l’affirmation de l’école comme un sanctuaire. Elle a été, et est encore, n’en déplaise aux militants inclusifs de tous bords, le plus bel instrument permettant de protéger notre jeunesse contre les pressions et agitateurs de toutes sortes. Elle n’a fait que traduire et consacrer, à un niveau législatif, et que la gauche s’en souvienne, ce qu’affirmaient Jean Zay et le Front populaire, qui avaient conscience, eux, que l’école était le rempart par excellence contre les fascismes dont les élèves, par leur âge, sont parfois les agents les plus faciles. Cette école qui doit « rester l’asile inviolable où les querelles des hommes ne pénètrent pas ».

Le sanctuaire est aujourd’hui assiégé, comme le montre la tornade de haine dans laquelle le proviseur de Ravel a été emporté. Cependant, cette fois-ci, et bien que cela n’ait pas suffi, un soutien franc et massif de ses collègues a eu lieu. Comme si, au pied du mur, nous nous rappelions que nous ne pouvions pas céder. Que le plus petit dénominateur commun était à présent menacé. Il n’est plus temps de se payer de mots : la mobilisation des personnels de direction parisiens, place de la Sorbonne, à quelques dizaines de mètres du square Samuel-Paty, doit sonner comme la fin du reniement et le début de la remobilisation générale.

Cette tribune, portée par François de Sauza, professeur agrégé d’histoire-géographie, est signée par l’ensemble du collectif Vigilance collèges lycées (VCL)."


Voir aussi dans la Revue de presse le dossier Paris : le proviseur du lycée Maurice-Ravel menacé (2024) dans Profs menacés dans Atteintes à la laïcité à l’école publique dans Ecole,

image : Croquis pour servir à l’histoire de l’éloquence par Albert Eloy-Vincent – 1910,

(note de la rédaction CLR).


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