Revue de presse

Signes religieux à l’école : "Histoire d’une loi nécessaire" (Marianne, 29 fév. 24)

10 mars 2024

[Les éléments de la Revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

Iannis Roder, Alain Seksig et Milan Sen, Préserver la laïcité, éd. L’Observatoire, 6 mars 2024, 200 p., 20 €.

"Dans son dernier ouvrage, Iannis Roder, membre du Conseil des sages de la laïcité, relate l’histoire de la loi de 2004, des débats sur le voile de 1989 à l’interdiction de l’abaya. Passages choisis.

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Lire "[Bonnes feuilles] "Préserver la laïcité" : 20 ans plus tard, retour sur la trajectoire de la loi de 2004".

C’est une véritable fresque historique que publient Iannis Roder, Alain Seksig (tous deux membres du Conseil des sages de la laïcité) et Milan Sen, membre de la Fondation Jean-Jaurès, aux Éditions de l’Observatoire. Dans Préserver la laïcité, à paraître le 6 mars, ils reviennent sur la trajectoire de la loi de 2004.

Au fil des pages s’invitent l’« affaire de Creil », de 1989, premier cas médiatique de collégiennes exclues pour avoir refusé d’ôter leur voile ; les travaux de la commission Stasi, en 2003, sur l’application du principe de laïcité ; ou le problème récent de l’abaya. En voici les bonnes feuilles.

LA NAÏVETÉ DE JOSPIN, MINISTRE DE L’ÉDUCATION NATIONALE

[Sur l’« affaire de Creil »], la position de Lionel Jospin est médiatisée par un entretien qu’il accorde le 26 octobre 1989 à l’hebdomadaire Le Nouvel Observateur. [...] Il affirme immédiatement que « le port d’un foulard ou de tel autre signe d’appartenance à une communauté religieuse ne peut constituer un motif d’exclusion de l’élève ». S’il précise ensuite que les chefs d’établissement et les équipes éducatives doivent mener des discussions avec les familles en expliquant les principes de la laïcité, il insiste sur le fait que « l’enfant – dont la scolarité est prioritaire – doit être accueilli dans l’établissement public, c’est-à-dire dans les salles de classe comme dans la cour de récréation. L’école française est faite pour éduquer, pour intégrer, pas pour rejeter ». « L’école en France doit accueillir tous les enfants », avait déjà dit le ministre. Il affirme être « pour le respect de la conscience de l’enfant ».

Toutefois, Lionel Jospin tient à mettre en avant l’idée que le prosélytisme est proscrit au sein de l’école tout comme l’éventuel refus des contenus des cours, sous des prétextes religieux, en l’occurrence « en prétextant que le contenu de ces enseignements serait en contradiction avec le Coran ». Il n’hésite d’ailleurs pas à dire que « si une famille ou un enfant récuse les éléments de l’école publique, laïque, qui résident dans l’organisation et le contenu de son enseignement, alors les parents de l’enfant doivent faire pour lui un autre choix ». [...] Jospin ajoute que « ce n’est pas en provoquant le refus, en pratiquant l’exclusion qu’on favorisera l’évolution de l’islam dans le monde occidental ». Il évoque ainsi l’idée que la tolérance favoriserait l’intégration, car l’école publique est « une école d’intégration et non plus d’assimilation » au contraire de la rigidité qui crisperait les positions.

Il met en avant la faculté de l’école à ouvrir les esprits et à permettre à chacun, de manière quasi automatique, d’accéder à l’émancipation quels que soient les déterminismes qui nous habitent, affirmant ainsi qu’« en acceptant l’enfant ou la jeune fille, en lui offrant une éducation, une ouverture sur le monde, l’école la tire de l’isolement familial, elle lui propose des éléments de réflexion. Qui vous dit que dans dix ans ces jeunes musulmanes qui défraient aujourd’hui la chronique porteront encore le foulard, qu’elles ne seront pas émancipées ? ». Il livre ainsi le fond de sa pensée : « La société a bougé, elle est plurielle. La laïcité n’a plus besoin d’être une laïcité de combat. Elle doit être au contraire une laïcité bienveillante, faite précisément pour éviter les guerres, y compris les guerres… de religion ! »

Au-delà de la question de l’école, Lionel Jospin considère qu’« il n’y a aucune menace de l’Islam intégriste sur la République française », expliquant par là même la lecture qu’il fait des événements de Creil, visiblement compris comme un épiphénomène qui ne lui semble alors pas s’inscrire dans un mouvement plus large. Il dit ne pas voir de « volonté de manipulation de la part de certains » ajoutant que si tel était le cas, « nous le verrions vite » et qu’il serait « un peu hâtif de déceler dans tout cela l’expression d’un fanatisme grandissant ».

LA PRISE DE CONSCIENCE DE LA COMMISSION STASI

[La troisième partie du rapport Stasi] offre aux lecteurs un état des lieux des atteintes à la laïcité dans les services publics auxquels, au-delà de l’école, la commission Stasi s’intéresse. Ainsi il arrive régulièrement, dans certains quartiers, que soient mis à mal les principes de la laïcité et de mixité à l’hôpital. [...] Face à cela, les fonctionnaires se retrouvent désemparés et « s’estiment victimes d’une “guérilla” permanente contre la laïcité » ; des groupes islamistes « sont à l’œuvre […] pour tester la République ». Un clair soutien de l’État est demandé. L’affaiblissement du pacte social français et des situations socio-économiques dramatiques dans nos quartiers populaires favorisent un « repli communautaire plus subi que voulu ».

À cela s’ajoute un profond racisme dont sont victimes les populations d’origine immigrée, notamment les Français de confession musulmane, sur lequel la commission insiste, qui ne peut que faire obstacle à leur bonne volonté d’intégration. La laïcité doit être intransigeante dans ses principes, mais, pour ce faire, l’intégration des populations d’origine immigrée doit être facilitée et les discriminations combattues. La fuite, documentée par de nombreuses études, vers l’école privée, notamment des élèves de confession juive victimes d’un antisémitisme croissant dans les banlieues sensibles, renforce la ghettoïsation de ces quartiers.

Cette troisième partie du rapport insiste également – et ce sera une des justifications principales à l’appui de l’interdiction des signes religieux à l’école – sur la situation de certaines jeunes filles dans ces quartiers ségrégués. Une dirigeante associative déclare que « la situation des filles dans les cités relève d’un véritable drame ». Le rapport précise, sur le fondement de ses auditions : « Les jeunes filles, une fois voilées, peuvent traverser les cages d’escalier d’immeubles collectifs et aller sur la voie publique sans craindre d’être conspuées, voire maltraitées, comme elles l’étaient auparavant, tête nue. »

L’école peut ainsi devenir un espace de liberté, détaché des pressions extérieures : si le voile y est interdit, alors ne pas le porter n’est plus synonyme d’« indécence ». Les auditions ont fait découvrir à certains membres de la commission de dures réalités qu’ils ne soupçonnaient pas. Ainsi que le résume avec acidité Gaye Petek, « il fallait pour certains quitter Saint-Germain-des-Prés ».

LES ABAYAS, NOUVEAU TEST POUR LA LOI DE 2004

Principale cible politique des islamistes, la loi de 2004 fait pour eux figure d’épouvantail. La fameuse marche contre l’islamophobie du 10 novembre 2019, à laquelle ont participé d’éminentes figures politiques comme Jean-Luc Mélenchon ou Benoît Hamon, coorganisée par le Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF), dissous en 2021, fait suite à une tribune dénonçant des « lois liberticides », notamment celle qui nous intéresse ici. Mais la véritable offensive contre la loi « encadrant, en application du principe de laïcité, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics » survient l’année suivante.

Le printemps 2022 voit en effet fleurir dans de nombreux collèges et lycées une tenue singulière portée par des jeunes filles de confession musulmane et dont le nom, jusque-là quasiment inconnu dans le vocabulaire courant, va rapidement s’imposer. L’abaya et son pendant masculin, le qamis, vêtements traditionnels issus de l’aire moyen-orientale, vont, réseaux sociaux aidant, se répandre en quelques semaines à une vitesse fulgurante.

À l’été, le Comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (CIPDR) alerte le ministère de l’Éducation nationale à travers une note, qui fuite à la rentrée dans la presse, indiquant que des prédicateurs islamistes encourageraient, sur les réseaux sociaux, les jeunes femmes à revêtir des tenues couvrant l’ensemble de leur corps.

Quelques mois plus tard, les renseignements territoriaux confirment que des doctrinaires fondamentalistes, mais aussi des influenceurs – et influenceuses –, voient une brèche à exploiter avec les qamis et les abayas – et en réalité essentiellement les abayas, car, bien évidemment, ce n’est qu’aux femmes qu’on demande de se cacher du regard de l’autre… C’est principalement sur TikTok et Twitter [X], où les bulles algorithmiques favorisent l’écosystème islamiste, que cette campagne bat son plein.

Le ministre d’alors, Pap Ndiaye, ne semble pas prendre ces avertissements au sérieux. Pourtant, dès le mois de juin 2022, le Conseil des sages de la laïcité suggère « de ne pas laisser à nouveau les personnels de direction livrés à eux-mêmes ». Éloquente est l’utilisation de l’expression « à nouveau », elle renvoie à la situation antérieure à la loi de 2004 durant laquelle les enseignants étaient livrés à eux-mêmes.

Face à la fronde des chefs d’établissement, qui ne peuvent, seuls, parvenir à juguler ce phénomène, mais aussi des enseignants qui ne savent pas quoi penser de ces vêtements qui en dérangent beaucoup, le ministre se contente de rappeler, dans une circulaire parue le 9 novembre 2022 décidée après s’être contenté d’une simple note envoyée aux recteurs le 16 septembre précédent, que « l’appréciation du caractère religieux ou pas, ce sont les chefs d’établissement qui doivent l’apporter ». Retour à l’envoyeur, donc.

Le nombre de jeunes filles portant une abaya durant l’année 2022-2023 est difficile à estimer précisément. Surtout, le phénomène est concentré dans un nombre restreint d’établissements, quelques centaines. Devant un lycée lyonnais, des adolescentes indiquent à un journaliste : « Sur trente [dans la classe] on doit être seize, ou dix-huit, à porter l’abaya » ce qui laisse imaginer ce que cela peut faire à l’échelle de cet établissement par exemple. La situation reste donc floue tout au long de l’année pour le personnel éducatif. Le doublement des atteintes à la laïcité s’explique en partie par ce phénomène inédit, puisque le port de tenues religieuses représente de 15 % à 20 % des remontées mensuelles rapportées jusqu’au printemps 2022, et qu’il dépasse les 40 % à partir de la rentrée de septembre 2022.

Finalement, quelques jours avant la rentrée scolaire de 2023, le nouveau ministre de l’Éducation nationale, Gabriel Attal, prend la décision de rappeler, à l’aide d’une note de service, que la loi du 15 mars 2004 doit s’appliquer pleinement concernant les qamis et les abayas à l’école. L’annonce, qui fait grand bruit, est un succès dans l’opinion et sur le terrain : seulement 298 jeunes filles se présentent en abaya le lundi de la rentrée 2023. Elles sont environ un millier la première semaine, quelques centaines la deuxième, quelques dizaines la troisième semaine. Une nouvelle fois, primauté est donnée au dialogue et au mois d’octobre la question disparaît des radars ou presque."


Voir aussi dans la Revue de presse tout le dossier Marianne : « Laïcité : la bataille perdue de la jeunesse » (29 fév. 24),
le dossier Voile, signes religieux à l’école dans Atteintes à la laïcité à l’école publique dans la rubrique Ecole (note de la rédaction CLR).(note de la rédaction CLR).


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