Revue de presse

"Royauté sacrée, délit d’offense : l’exposition des Archives nationales qui retrace l’histoire du blasphème" (Marianne, 2 mai 24)

(Marianne, 2 mai 24) 7 mai 2024

[Les éléments de la Revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

Exposition "Sacrilège ! L’État, les religions et le sacré, de l’Antiquité à nos jours", du 20 mars au 1er juillet 2024. Exposition gratuite, Archives nationales, Paris IIIe. Catalogue, éd. Gallimard, 192 p., 35 €.

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On ne badine pas avec Dieu. Même en France. L’Ancien Régime et son droit divin ne pardonneront pas l’offense. Quant à la République, toute à son amour pour le sacré, elle aussi se montrera longtemps très chatouilleuse à l’endroit de ses symboles. Les Archives nationales présentent, à travers une exposition, une palpitante fresque historique sur le sacrilège.

Par Audrey Levy

De retour de croisade, Saint Louis en est convaincu : si son armée a échoué en Orient, c’est en raison de ses péchés et de ceux de ses sujets. Il n’aura alors qu’une obsession : punir les blasphèmes et purifier son royaume. « Un zèle qui sera jugé excessif par le pape Clément qui l’exhortera à se calmer », souligne Amable Sablon du Corail, co-commissaire avec Jacques de Saint Victor de l’exposition « Sacrilège ! L’État, les religions et le sacré »*.

Reste qu’offenser Dieu, c’est offenser le roi, et donc un crime de lèse-majesté royale… Les sentences seront cruelles : les coupables ne seront pas comme Socrate condamnés à boire la ciguë, mais on ira jusqu’à leur brûler les lèvres au fer rouge. En 1269, avant de repartir en croisade, Saint Louis promulguera une ordonnance contre le blasphème pour s’assurer le soutien de Dieu.

Tout aussi obnubilé par la sainteté de sa mission, alors que « le pouvoir royal a pris son indépendance vis-à-vis de l’Église et du pape », précise le commissaire, son petit-fils Philippe IV le Bel multipliera les procès politiques contre ses ennemis, tel ce pauvre Guichard, évêque de Troyes, accusé d’empoisonnement après la mort de son épouse, la reine Jeanne de Navarre. Et qu’importe si les 1 000 témoignages, criblant un parchemin datant de 1309 sur 53 m de long, sont bidonnés.

Mais dans cette société chrétienne qui aime jurer et parjurer, le blasphème ordinaire ne sera pas poursuivi. Jusqu’aux guerres de Religion en 1562, où il sera considéré comme potentiellement hérétique, remettant en cause les fondements de la royauté sacrée. Toujours est-il qu’en 1666, sur une décision de Louis XIV, il ne sera plus puni de mort. À quelques exceptions près : en 1766, et malgré la mobilisation de Voltaire, le chevalier de La Barre sera condamné à la décapitation.

Son crime ? Avoir traversé une procession du Saint-Sacrement sans s’agenouiller ni se découvrir. Sa langue sera coupée, son corps brûlé vif sur un bûcher. Pas question pour Louis XV de le gracier : comme le Parlement lui avait reproché en 1757 de s’être opposé à la poursuite du procès de Damiens, coupable d’une tentative de régicide, il estimait que l’auteur d’un crime de lèse-majesté divine ne devait pas bénéficier d’un traitement plus favorable.

ET ROUSSEAU L’EMPORTA SUR VOLTAIRE

Avec la Révolution, on détruira tout ce qui symbolise la monarchie sacrée, condamnant à mort Louis XVI, profanant les tombeaux des rois de France, à Saint-Denis, brandissant la momie de Henri IV devant une foule fascinée… Mais le pouvoir ne sera pas pour autant laïcisé : « On tentera de trouver un sacré de substitution à la religion royale, transférant le sacre de la personne du roi vers la Constitution », précise l’historien, responsable du département du Moyen Âge et de l’Ancien Régime aux Archives nationales.

Le nouveau régime créera ainsi sa propre galerie de martyrs, encensant Marat, Le Peletier de Saint-Fargeau ou le hussard Bara, tué à 14 ans, lors d’une escarmouche vendéenne. Dans cette époque d’exaltation romantique, où le déisme de Rousseau l’a emporté sur l’athéisme de Voltaire, Robespierre s’adonnera au culte de l’Être suprême et les hébertistes, les plus radicaux des Montagnards, à celui de la déesse raison. « On baignera toujours dans une atmosphère de grande religiosité, précise Amable Sablon du Corail. Si le Code pénal de 1791 a aboli les crimes de sacrilège et de blasphème, il punira ceux qui se rendent coupables de crimes de lèse-nation ou blasphèment la Constitution, l’« évangile de tous les Français ».

Sous l’Empire, Napoléon utilisera la campagne d’Égypte pour se faire passer pour un roi thaumaturge, réconfortant à Jaffa les malades pestiférés. Mais depuis que la Constitution de 1791 a décrété que la personne du roi était sacrée, tout en prévoyant des motifs de sa destitution, la confusion persistera sous la Restauration puis la monarchie de Juillet. Porté au pouvoir par les libéraux, Louis-Philippe reviendra sur sa promesse de rétablir la liberté de la presse, soumettant les caricatures à la censure préalable. « Ne suis-je donc plus autorisé à représenter une poire ? », s’offusquera le dessinateur Philipon, qui avait ainsi caricaturé le roi.

Promulguée en 1881, la loi instaurant la liberté de la presse abolira le blasphème (rétabli par les lois de Serre), tout en prévoyant des sanctions en cas de diffamation et d’injure. Et un article controversé : le délit d’offense au chef de l’État. Il sera peu utilisé, sauf par de Gaulle pour contrôler la presse pro-Algérie française : 150 procédures seront ainsi ouvertes. Si Giscard a promis de ne jamais s’en servir, le « Casse-toi, pauv con ! », lancé par le président Sarkozy à un homme qui avait refusé de lui serrer la main au Salon de l’agriculture en 2008, repris ensuite par un manifestant sur un écriteau brandi lors d’une visite du président à Laval, sera décisif : l’homme sera condamné à une amende avec sursis, mais, à la suite d’un arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme, le délit, jugé d’un autre âge, sera supprimé en 2013.



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