Revue de presse

Riss : "Des mots contre des couteaux" (Charlie Hebdo, 18 oct. 23)

(Charlie Hebdo, 18 oct. 23). Riss, directeur de "Charlie Hebdo". 19 octobre 2023

[Les éléments de la Revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

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Lire "Des mots contre des couteaux".

"Que faut-il penser de l’assassinat par un islamiste d’un professeur de lettres dans un lycée d’Arras, vendredi dernier  ? D’abord que c’est un attentat, et que celui qui l’a commis est un terroriste. Pourquoi est-il facile de désigner les choses par leur nom quand elles ont lieu sous notre nez, et si difficile quand elles se déroulent à 3 000 km d’ici, comme en Israël  ? On savait que cette violence pouvait se reproduire. On savait qu’il y a en France et dans le reste du monde des individus fanatisés, déterminés à détruire les sociétés démocratiques dans ­lesquelles nous vivons. On savait qu’ils recommenceraient un jour ou l’autre, ici ou là-bas. Et on sait que cela va durer encore des années.

Pourtant, on ne peut s’empêcher d’accuser le coup. On a beau avoir déjà connu cette émotion si particulière propre à un attentat, celle qui vous fait croire que c’est le monde entier qui a voulu vous supprimer, on reste submergé par le même dégoût. Pas uniquement par celui qu’inspire la violence, mais aussi par celui de la bêtise, du crétinisme, de la misère intellectuelle. Tout le contraire de ce qu’incarne un professeur.

Le combat contre le terrorisme est d’abord celui de l’intelligence contre la débilité. On a beau retourner le problème dans tous les sens depuis des années, avancer des théories géo­stratégiques subtiles pour comprendre ce qu’est l’islamisme, on retombe toujours sur la même conclusion : la stupidité abyssale des terroristes, leur vacuité sans fond, leur incapacité à remplir leur existence par la créativité et l’imagination. Si vous émettez une idée, c’est déjà pour eux une provocation qui met en évidence leur nullité. Les terroristes suppriment ceux qui dévoilent au grand jour l’échec de leur vie. Le professeur est donc une cible prioritaire.

La vermine dans un fruit trop mûr

Le rôle et la place de l’enseignant dans une société démocratique sont d’autant plus un affront aux yeux du terroriste islamiste que ce dernier est un croyant, convaincu que sa foi a réponse à tout. Alors qu’en réalité sa pauvre religion ne fait pas le poids à côté de ce qu’apportent la pensée et les sciences modernes. Le professeur, l’instituteur, l’enseignant sont des concurrents pour les soi-disant savants de la chose religieuse qui sont fanatiquement convaincus que la vérité est inscrite dans leurs textes sacrés.

Cette dérive est décuplée par l’abrutissement des ­esprits, tirés vers le bas par les réseaux sociaux, qui vomissent à ­longueur de journée des tombereaux d’informations trafiquées et mensongères. Dans cette bouillie de fake news, de vidéos qui expliquent pourquoi le peuple juif est une création de l’Occident et que la laïcité est un nouveau fascisme, l’intégrisme religieux, avec ses idées simplistes et ses croyances infantiles, prospère et se développe comme la vermine dans un fruit trop mûr.

Se tenir aux côtés des enseignants

Les professeurs apparaissent alors comme les seuls remparts à opposer à ce tsunami de mensonges historiques et de superstitions archaïques. Ils protègent nos démocraties autant que des fantassins en première ligne. Leurs armes ne sont pas des mitrailleuses ou des missiles, mais seulement des mots, des idées et des démonstrations rationnelles. Les enseignants devraient être protégés autant que nos soldats, car ils sont les premiers combattants de la liberté, de l’esprit et de la raison. Mais transformer les lycées et les collèges en camps retranchés ne réglera rien à long terme. C’est sur le champ de bataille des idées qu’il faut d’abord se battre. Et pour cela, il ne faut plus laisser les enseignants se débrouiller seuls.

Les moments de recueillement, les minutes de silence ne suffiront pas. La vraie solidarité avec les enseignants consiste d’abord, pour chacun d’entre nous, dans la vie de tous les jours, à ne plus laisser sans réponse les discours irrationnels et fanatiques, à ne plus céder aux revendications communautaristes abusives. C’est aux intellectuels, aux artistes, aux journalistes, aux citoyens engagés de mener ce combat aux côtés des enseignants. Le combat pour la liberté, et contre le totalitarisme sous toutes ses formes, y compris religieuses, ne doit pas reposer uniquement sur leurs épaules. Sinon, ils risquent de devoir défendre les valeurs auxquelles nous tenons, seuls, face aux couteaux de l’islamiste qu’ils auront en face d’eux. Une fois de plus."


Voir aussi dans la Revue de presse le dossier Assassinat de l’enseignant Dominique Bernard à Arras (13 oct. 23) (note de la rédaction CLR).


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