Revue de presse

Nadia El Fani : « Inventons la laïcité à la tunisienne » (Libération, 25 nov. 11)

27 novembre 2011

"La réalisatrice franco-tunisienne Nadia El Fani a quitté la Tunisie de Ben Ali pour Paris il y a dix ans. Son documentaire Laïcité, Inch’Allah ! sorti au mois de septembre, a provoqué la colère des islamistes. Elle a reçu plusieurs menaces de mort.

Lors des élections pour l’Assemblée constituante en Tunisie, Ennahda, le parti islamiste, a obtenu 41% des voix devant le Congrès pour la République et Ettakatol, comment interprétez-vous ces résultats ?

Il faut relativiser cette victoire. Ennahda a fait le plus grand nombre de voix, mais la majorité n’a pas voté pour eux. Beaucoup de Tunisiens se sont fait berner par leur discours modéré qui n’a rien de démocrate. Ils ont réussi à faire interdire le film de Marjane Satrapi alors qu’ils n’étaient même pas aux commandes, je me demande ce qu’ils feront quand ils y seront. Saoud Abderrahim, élue Ennahda à l’Assemblée constituante, a tenu des propos inadmissibles sur les mères célibataires qu’elle considère comme une honte pour le pays. Et certains osent l’imaginer ministre de la Femme et de la Famille. Je ne vois pas comment les Tunisiens peuvent laisser passer ça. Les islamistes n’ont pas gagné avec un projet islamiste, mais en jouant sur le terrain identitaire du « On est tous des musulmans ». Ils ont fait croire que les progressistes voulaient instaurer l’athéisme. Il fallait expliquer aux Tunisiens que l’identité chacun la porte en soi, individuellement et que le politique n’a pas à définir l’identité d’un peuple. Les Tunisiens ont voté pour Ennahda qui leur a promis du travail, en oubliant que les islamistes ont toujours été des partis prônant l’économie libérale.

Le score de Ennahda n’est-il pas le signe que le pays n’est pas prêt pour la laïcité ?

La Tunisie est un pays conservateur où les progressistes sont minoritaires. La laïcité est un terme de plus en plus difficile à employer parce qu’il est associé à l’athéisme. Je risque trois ans de prison pour mon film Laïcité, Inch’Allah ! notamment à cause du premier titre Ni Allah ni maître auquel j’ai renoncé. Trois plaintes ont été déposées contre moi pour atteinte à un précepte religieux, au sacré, et aux bonnes mœurs. J’ai déclaré que j’étais athée pour montrer que la liberté de conscience n’est pas respectée en Tunisie, même après une révolution. Les islamistes m’ont choisie comme bouc émissaire. Ils ont convaincu les gens que mon film était une insulte aux musulmans. J’ai conscience qu’il sera difficile de les convaincre, c’est un travail de longue haleine. Mais il faut que le débat ait lieu. Après plusieurs années de dictature, la diversité des opinions dans la société est très mal acceptée. Si l’on explique aux Tunisiens que la laïcité ne s’oppose pas aux religions, qu’elle préserve des extrémismes religieux, il y aurait bien plus de gens qui l’accepteraient. La laïcité n’est pas incompatible avec l’islam. C’est le meilleur moyen de se préserver de la charia.

Votre Constitution idéale ?

« La Tunisie est un Etat libre, indépendant et souverain : sa religion est l’islam, sa langue l’arabe et son régime la république. » Cet ancien article 1 doit être abrogé au profit d’un article sur la citoyenneté. L’article 2 stipulerait la séparation de la religion et de l’Etat. L’islam n’ayant pas d’Eglise, il faut inventer la laïcité à la tunisienne. Un cadre strict dans lequel l’Etat pourrait se mêler de religion est nécessaire afin de réglementer la nomination des imams dans les mosquées.

Etes-vous optimiste concernant l’évolution des rapports homme-femme ?

Tout dépend de la manière dont on va s’adresser aux Tunisiens. L’inégalité face à l’héritage est inadmissible, les hommes héritent deux fois plus que les femmes. Il faut partir des principes républicains et non de la religion. Les lois de la République sont les mêmes pour tous. Nous avons plusieurs batailles à mener, les femmes réclament que le statut personnel soit inscrit dans la Constitution avec une véritable égalité. Nous devons nous appuyer sur les revendications de la révolution : l’égalité, la liberté, la dignité pour tous. [...]"

Lire « Inventons la laïcité à la tunisienne ».


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