Revue de presse

"Laïcité : les entreprises ne tablent pas sur la loi" (Libération, 27 mai 13)

29 mai 2013

"Prière au boulot, menu confessionnel… Les demandes à caractère religieux au travail ont augmenté. Mais, selon un rapport de l’Ofre, elles sont le plus souvent résolues grâce au dialogue.

Aménager ses horaires pendant le ramadan, exiger un jour de congé pour la pâque juive, venir travailler voilée, pouvoir manger casher à la cantine, refuser de travailler le dimanche pour cause de messe… Les revendications religieuses des salariés ne sont pas un phénomène marginal. Selon une étude de grande ampleur de l’Observatoire du fait religieux en entreprise (Ofre, une chaire de Sciences-Po Rennes) rendue publique hier (1), plus d’un quart des managers de ressources humaines ont été confrontés récemment au fait religieux dans leur société. Et près de 45% estiment que la question va se poser de façon plus aiguë dans les prochaines années. Pour autant, contrairement à ce que pourrait laisser penser l’actualité, parfois dramatisante sur ces sujets, l’entreprise gère globalement bien ces problématiques : 80% des managers disent ne pas ressentir de malaise sur ces questions. Et seules 6% des demandes ont abouti à des blocages. « Cette étude a permis à la fois de pointer un problème réel et de le relativiser », résume Abdel Aïssou, le directeur général de Randstad France.

« Clarification ». L’étude de l’Ofre a été réalisée avant que la décision de la Cour de cassation en faveur d’une salariée voilée de la crèche Baby-Loup en mars, ne vienne relancer le débat et en fasse un sujet politique brûlant. Quelques jours après cette décision, François Hollande avait annoncé à la télévision sa volonté de présenter rapidement une loi sur la question de la laïcité dans le secteur privé de la petite enfance et, plus largement, dans certaines entreprises privées. En avril, il a installé un observatoire de la laïcité qui travaille depuis sur la question. Entre-temps, l’UMP, très portée sur le sujet, a déposé une proposition de loi sur la neutralité en entreprise qui doit être examinée demain à l’Assemblée nationale. Ces réponses politiques ne correspondent pas tout à fait à la demande des entreprises. Selon l’étude publiée hier, les deux tiers des personnes interrogées (210 cadres en ressources humaines, 481 managers de proximité et 679 salariés) ne voient pas l’opportunité d’une loi. « Ce qu’ils souhaitent, c’est une clarification des règles au sein de l’entreprise. Les managers trouvent des réponses dans le dialogue, mais ils veulent pouvoir se référer à une position institutionnelle en cas de problème », explique Lionel Honoré, le directeur de l’Ofre, qui a dirigé cette enquête. D’autant que la législation actuelle demeure très mal connue, et des salariés et des managers. Tout comme la définition même de la laïcité.

Radicaux. La réalité des revendications religieuses dans l’entreprise dessinée par l’Ofre apparaît très hétérogène. Elle concerne tous les secteurs de l’activité économique mais les demandes émanent, dans l’écrasante majorité, des ouvriers et des employés. Et se pose principalement dans les grandes agglomérations alors qu’elle est presque absente ailleurs. Ainsi, en Bretagne, seuls 5% des managers ont été confrontés à la question, contre 45% en Ile-de-France. Ce qui correspond aux concentrations de populations multiconfessionnelles.

La plupart des demandes concernent l’islam, précise Lionel Honoré. Bien que quelques cas de prosélytisme, de la part de mouvements évangélistes notamment, commencent à être recensés. Selon Lionel Honoré, il s’agit en majorité de demandes individuelles d’aménagement du temps de travail, de prises de jours de congés ou de menus sans porc. « Ce sont des demandes qui sont réglées par les managers de proximité, dans la plupart des cas sans problème », explique ce chercheur. « On observe d’ailleurs, ajoute Abdel Aïssou, de Randstad, que dans ces cas, les salariés qui se voient refuser leur demande en prennent simplement acte. » Ce qui n’est pas le cas des demandes, plus rares, qui prennent un tour politique et aboutissent à des blocages. « Ce sont généralement des demandes collectives, avec des positions plus radicalisées, qui ont pour but de peser sur le fonctionnement de l’entreprise »,décrit Lionel Honoré. Près d’une dizaine de situations bloquantes récurrentes ont été identifiés dans l’étude : refus de travailler avec une femme ou sous ses ordres, refus de transporter certains produits comme de l’alcool ou du porc, refus de se conformer à un code vestimentaire, prière sur le lieu de travail, port de signes ostentatoires, constitution d’un groupe de pratiquants qui tente d’imposer des règles aux autres salariés. Lionel Honoré cite l’exemple de sections syndicales phagocytées par des groupes radicaux. « Même si ces comportements sont marginaux, la question se pose au monde de l’entreprise et exige des outils pour y répondre. »

[...] Les salariés interrogés dans l’enquête de l’Ofre [...] opposés à toute institutionnalisation des pratiques religieuses au sein de l’entreprise comme la mise en place de salles de prières ou de menus halal ou casher, [...] n’ont pas d’opposition à une pratique « discrète », dès lors qu’elle ne perturbe pas l’organisation du travail. [...]

(1) Etude commandée et réalisée en collaboration par le groupe de RH et d’intérim Randstad France."

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