Revue de presse

« L’idéal républicain fait partie intégrante du monde juif » (S. A. Goldberg, Le Point, 12 oct. 23)

(S. A. Goldberg, Le Point, 12 oct. 23). Sylvie Anne Goldberg, directrice du centre d’études juives à l’EHESS. 5 novembre 2023

[Les éléments de la Revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

Sylvie Anne Goldberg (dir.), Histoire juive de la France, Albin Michel, 11 oct. 2023, 1088 p., 49,90 €.

"De la Gaule à la fin du XXe siècle, l’"Histoire juive de la France" (Albin Michel) retrace remarquablement deux mille ans de présence et de relations contrastées. De multiples entrées rédigées par 150 auteurs de pays différents. Entretien avec la directrice de cette somme collective, Sylvie Anne Goldberg.

Propos recueillis par François-Guillaume Lorrain

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Lire "Sylvie Anne Goldberg : « L’idéal républicain fait partie intégrante du monde juif »".

[...] À la différence de certains pays telle l’Autriche-Hongrie, l’émancipation accordée aux juifs en septembre 1791 ne leur impose pas en retour une obligation d’intégration. Pourquoi ?

Elle est implicite. On abolit la communauté juive, au sens de corps social, ce qui implique une intégration des individus aux corps de l’État, à l’école, à l’armée… C’est la fameuse phrase de Clermont-Tonnerre : « Tout accorder aux juifs en tant qu’individus, rien en tant que nation. » L’émancipation résulte d’un combat qui court au long du XVIIIe siècle contre les représentations mentales et culturelles que les Français se font des juifs. On en trouve sur les marges géographiques ; les « marchands » portugais venus s’installer à Bayonne et à Bordeaux, les juifs du Comtat Venaissin qui ont toujours été là, puis ceux annexés avec l’Alsace en 1668 cantonnés sur place. Pour venir à Paris, par exemple, un permis de séjour est indispensable. À partir de 1791, les juifs sont citoyens à part entière, même si ce décret ne suffit pas à établir une « fraternisation » et à en faire des « voisins » comme les autres. La sociabilité naît toutefois des échanges et des rencontres : l’enrôlement des juifs dans les milices qui exporteront la Révolution en est un exemple. En Allemagne, un juif ne peut être officier ni professeur d’université, en France, si. Les juifs développent un sens civique et patriotique aigu, ce que l’on appelle le « franco-judaïsme », qui aura de lointaines retombées. En 1940, c’est par obéissance à la loi qu’ils iront s’inscrire sur les listes de Vichy. Mais, dès 1870, l’idéal républicain, universaliste, est partie intégrante de leur univers. Cette émancipation des juifs est l’un des emblèmes des troupes révolutionnaires parcourant les pays étrangers, où ils brisent les murs des ghettos et plantent l’arbre de la liberté. À leur départ, des émeutes antisémites se propagent, en réaction à l’importation des valeurs révolutionnaires.

Cela explique-t-il que l’affaire Dreyfus, qui aurait été une petite affaire dans un autre pays, ait pris une telle ampleur ?

En effet. D’abord, ailleurs, il n’y aurait pas eu de capitaine juif. En outre, les attaques contre un individu juif n’auraient guère étonné, alors qu’en France les juifs sont égaux devant la loi. Cet antisémitisme moderne est fonctionnaliste, les juifs incarnent une série de stigmates qui permet d’ériger une politique antisémite en les utilisant en boucs émissaires. À travers eux, c’est aussi la République et la Révolution, dont ils sont solidaires, que visaient les antidreyfusards. Ils sont otages et victimes d’un combat qui les dépasse.

D’où ce paradoxe, une bonne intégration des juifs dans un pays qui voit naître l’antisémitisme moderne après 1870…

La guerre de 1870 installe l’Allemand en ennemi héréditaire. Or, en France, les juifs sont surtout en Alsace et en Lorraine, d’autant plus près du « Boche » que le yiddish est une langue proche de l’allemand. La France voit ainsi converger – et Drumont en fera la synthèse – différents courants antisémites, les courants racialiste, scientifique, religieux et monarchique, et, hostile au juif et emblème de l’égalité des droits, le courant anticapitaliste après l’apparition des dynasties financières juives. Leurs réseaux familiaux avaient en effet facilité des réseaux commerciaux au-delà des frontières, leur réussite rapide contraste avec les interdictions de résidence ou professionnelles subies avant la Révolution. Le krach en 1882 de l’Union générale, banque catholique, cristallise cet antisémitisme de gauche, voire d’extrême gauche, né sous la plume de Fourier.

Autre paradoxe : cette affaire Dreyfus va faire de la France un phare pour les juifs étrangers…

Car, en rétablissant les droits du capitaine Dreyfus, la France a montré qu’elle s’ouvrait au règne de la justice. C’est la phrase du grand-père lituanien d’Emmanuel Levinas : « Un pays qui se déchire pour sauver l’honneur d’un petit officier juif, c’est un pays où il faut rapidement aller. » D’où l’afflux des juifs d’Europe de l’Est persécutés. Un autre phénomène sera l’arrivée de juifs allemands, intellectuels ou artistes, interdits chez eux d’accès aux postes supérieurs dans les universités et les institutions publiques. [...]"


Voir aussi dans la Revue de presse les dossiers Le Point "La haine des juifs" (12 oct. 23), Guerre Hamas-Israël (2023-24) dans Palestine dans Israël, les rubriques Antisémitisme, Judaïsme (note de la rédaction CLR).


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