Revue de presse

"L’auteur de l’attentat d’Arras était mû par une « haine de la France », de la démocratie et de l’école" (Le Monde, 19 oct. 23)

22 octobre 2023

[Les éléments de la Revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

"Quatre jours après l’assassinat du professeur de lettres Dominique Bernard, Mohammed Mogouchkov a été mis en examen mardi, notamment pour assassinat et tentative d’assassinat en relation avec une entreprise terroriste.

Par Soren Seelow

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Quatre jours après l’assassinat d’un professeur du lycée Gambetta-Carnot d’Arras, vendredi 13 octobre, l’enquête a livré ses premiers éclaircissements sur le déroulé de l’attentat, les motivations de son auteur et les aides dont il a pu bénéficier. Selon une source judiciaire, l’auteur présumé de l’attaque, Mohammed Mogouchkov, un ancien élève de l’établissement âgé de 20 ans, a été mis en examen, mardi 17 octobre, pour « assassinat et tentative d’assassinat en relation avec une entreprise terroriste » et « association de malfaiteurs terroriste criminelle ».

Deux autres personnes de son entourage ont été mises en examen. Il s’agit d’un de ses frères, âgé de 16 ans, pour « complicité d’assassinat et de tentatives d’assassinats en relation avec une entreprise terroriste ». Il est soupçonné d’avoir « apporté un certain soutien dans son projet mortifère » et de lui avoir « délivré des consignes sur le maniement des couteaux », a précisé lors d’un point presse le procureur national antiterroriste, Jean-François Ricard. Un jeune cousin de la fratrie, âgé de 15 ans, « informé du projet » d’attentat et qui n’aurait « rien fait pour l’empêcher », a quant à lui été mis en examen pour « abstention volontaire d’empêcher la commission d’un crime ou un délit ».

Dix des treize gardes à vue ont été levées, « en l’absence d’éléments » permettant de démontrer que les personnes concernées aient pu avoir un rôle précis dans l’attentat. Parmi elles figuraient deux détenus : le frère aîné de l’assaillant, Movsar, condamné pour des faits de terrorisme, et un ancien codétenu de ce dernier, lui aussi condamné pour terrorisme, avec lequel le tueur entretenait une correspondance. C’est cette correspondance qui avait conduit la direction générale de la sécurité intérieure à surveiller d’un peu plus près Mohammed Mogouchkov, en juillet. Mais les enquêteurs n’ont pas trouvé trace, à ce stade, d’éléments démontrant que ces deux détenus aient pu l’inciter à passer à l’acte.

« J’étais dans vos écoles des années »

Si l’enquête se resserre pour l’heure sur le cercle familial restreint de l’assaillant, on en sait déjà un peu plus sur ses motivations et son logiciel idéologique. Quelques minutes avant de s’introduire dans le lycée, Mohammed Mogouchkov a en effet tourné une vidéo de trente secondes devant un monument aux morts d’Arras, dans laquelle il s’attaquait de manière répétée aux « valeurs des Français », selon ses mots.

Dans son téléphone, les enquêteurs ont aussi retrouvé une longue allégeance audio à l’organisation Etat islamique (EI), qui témoigne de la même obsession. Il y développe sa « haine de la France, des Français, de la démocratie et de l’enseignement qu’il a reçu en France », a résumé le magistrat. Selon les informations du Monde, il s’exclame dans cet audio : « Oh Français, peuple de lâcheté et de mécréants. J’étais dans vos écoles des années et des années, j’ai vécu des années et des années parmi vous, gratuitement. (…) Vous m’avez appris ce qu’est la démocratie et les droits de l’homme, et vous m’avez poussé vers l’enfer. »

Selon le procureur antiterroriste, il déclare également soutenir « les musulmans en Irak, en Asie, en Palestine, mais sans lier son acte aux événements récents en Israël ». A aucun moment il ne fait une référence directe à l’attaque du Hamas et à la riposte militaire de l’armée israélienne dans la bande de Gaza. D’après les informations du Monde, cet audio est, en revanche, imprégné des éléments de langage de l’EI. Il y critique ainsi vertement l’organisation terroriste rivale, Al-Qaida, mais aussi les talibans, qualifiés d’« apostats », sans oublier de s’en prendre aux « homosexuels ».

Famille radicalisée

Plusieurs témoins entendus durant l’enquête de flagrance ont décrit la famille du terroriste, originaire d’Ingouchie, une république russe attenante à la Tchétchénie, comme étant fortement imprégnée par l’idéologie djihadiste, sous l’impulsion du père, expulsé de France en 2018 et qui vit aujourd’hui en Géorgie, où il n’a pas encore pu être interrogé.

Mohammed Mogouchkov faisait partie des éléments les plus radicalisés de ce foyer. Il avait été visé en septembre 2022 par une procédure pour « violences », classée sans suite après la rétractation de plusieurs témoignages, dans laquelle il était notamment accusé d’avoir séquestré et violenté sa mère et ses deux sœurs.

Le procureur est aussi revenu en détail sur le déroulement de l’attaque. Une vingtaine de minutes après avoir tourné sa vidéo de revendication, Mohammed Mogouchkov s’est présenté, aux alentours de 11 heures, devant le lycée Gambetta-Carnot. Il y croise quatre professeurs qui sortent de l’établissement, et en frappe un mortellement au cou et à l’épaule : Dominique Bernard, professeur de français, meurt rapidement des suites de ses blessures. Un de ses collègues, qui tente de s’interposer, est blessé au visage.

Le terroriste poursuit alors ce dernier jusque dans la cour de l’établissement, où un agent d’entretien parvient à l’empêcher d’achever sa victime en l’attaquant avec une chaise. Un second agent technique venu lui prêter main-forte sera lui aussi blessé. Le pronostic vital des trois blessés n’est aujourd’hui plus engagé, a précisé le magistrat. Mohammed Mogouchkov a été interpellé sur place après avoir tenté en vain de quitter l’établissement.

Mais au cours de ses déplacements dans le lycée, le terroriste s’était auparavant rendu dans le bureau du proviseur, qui ne s’y trouvait pas. Selon plusieurs témoignages, c’est bien un proviseur et un professeur d’histoire – comme l’était Samuel Paty, assassiné trois ans plus tôt, presque jour pour jour, par un Tchétchène de 18 ans – qu’il cherchait à tuer. Dans la cour, il avait lancé à un des enseignants pris pour cible : « Qui te donne l’air que tu respires, qui est le seul Dieu ? », ou encore : « Appelle Marianne, appelle ta République »."


Voir aussi dans la Revue de presse le dossier Assassinat de l’enseignant Dominique Bernard à Arras (13 oct. 23) (note de la rédaction CLR).


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