Revue de presse

K. Daoud : "Une OQTF contre l’électeur français" (Le Point, 11 juil. 24)

(Le Point, 11 juil. 24). Kamel Daoud, écrivain, Prix international de la Laïcité 2020 10 juillet 2024

[Les éléments de la Revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

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Lire "Une OQTF contre l’électeur français".

"Faut-il voir dans le retournement politique du 7 juillet, dont le peuple français a le secret, un nouvel effet de la culpabilisation de l’électeur qui vote « mal » ?

C’est sans doute l’homme le plus détesté de France. Un malotru définitif, raciste, ingrat, xénophobe, idiot et corrupteur du sens de la nation. Macron ? Non, encore plus immédiat : l’électeur français. Celui qui a voté pour le Rassemblement national, mais pas seulement. On peut même avancer : celui qui a voté.

Rarement, pour le chroniqueur à l’esprit « persan » face à la monarchie française, on vit une cible aussi unanimement désignée du doigt par les castes médiatiques et les chiens de garde de la doxa. Depuis deux semaines, l’électeur français paraît coupable de dissoudre le pays, là où Macron n’a dissous qu’un Parlement tapageur. Il est jugé coupable autant par le microcosme hyperurbain parisien que par les analystes attitrés de la chose démocratique, et aussi par les chiffres, les statistiques, sans même parler du néodélit de faciès. Tout est de sa faute, et ce n’est pas la faute de ceux qui, à gauche, ont failli.

Mais que faire de ce Français qui a osé élever sa petite voix ? Notons d’abord qu’un étrange préjugé de caste se cache derrière cette question : l’électeur serait mauvais dès qu’il ne correspondrait pas au rôle accessoire de validation de la pensée politique dominante.

On ne veut pas voir en lui le Français angoissé, l’homme qui, au moins, s’enhardit à prendre à bras-le-corps les grandes peurs nationales, l’inquiétude face à l’immigration déchaînée et à l’islamisme tueur. Le Français qui craint pour son épargne, pour son droit de déambuler la nuit dans les rues, le Français qui ne veut pas se sentir coupable du monde d’avant sa naissance, le lambda lointain de l’alphabet des dignitaires.

Sauf que son numéro de matricule ne devrait pas prétendre à des humeurs d’indépendance. Ah oui ! que faire de cet électeur quand il vote librement, c’est-à-dire quand il « vote mal » ? Le culpabiliser, le criminaliser, le sermonner et, à la fin, lui faire subir une étrange OQTF au nom de la démocratie de la bonne conscience. L’électeur français, qui s’est souvent rabattu sur le choix du RN faute de trouver une solution chez les autres partis, par soustraction ou déduction sur l’équation du réel, essuie aujourd’hui une véritable obligation de quitter le territoire français de la bienséance électorale.

Où ira-t-il alors ? Chez lui, en dehors de Paris, dans le flou paysan. Et comment l’inciter à revenir chez lui, c’est-à-dire dans la géographie du consentement ? Par une chasse à l’homme qui a voté RN, une stigmatisation, une remise en question du suffrage universel, un hallali contre Macron qui a autorisé cette insolence. Mais sans jamais retourner le reproche contre soi. Contre cette gauche galactique qui a failli à parler du réel français.

Mais d’où vient cette criminalisation de millions d’électeurs sans remise en question au sein des partis de la droite, du centre et de la gauche ? D’où vient cette ingénuité artificielle face au réel qui fait croire que tout est de la faute des électeurs du Rassemblement national et de Macron ? Pourquoi ne pas assumer explicitement et avec courage les noyaux « durs » et inquiétants de ces élections, à savoir l’immigration, l’insécurité et l’islamisme, lit des populismes ? Pourquoi préfère-t-on encore trouver un coupable et dénoncer la règle de l’élection quand elle n’est pas en notre faveur ?

Observer que des millions d’électeurs français sont jugés coupables, déportés dans le vide, embarqués comme des boat people vers la ruralité « blanche » barbaresque de la France, interdits de séjour dans la capitale idéale et reconduits dans le territoire de la figuration est un bien étrange spectacle pour l’auteur « persan », qui reprend des questions que l’on réservait il y a des siècles aux « sauvages » : l’électeur français qui vote « mal » possède-t-il une âme ? Est-il le barbare oublié ? Un immigré chez lui ? Apparemment, ce n’est pas tranché. Tout cela pour désigner du doigt la véritable cause de la montée du RN : la descente dans la boue de ceux qui devaient construire l’opposition à ce populisme dangereux."


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