Note de lecture

Jean Zay - Un ministre de l’Education nationale trentenaire (Y. Bréchet)

par Yves Bréchet, membre de l’Académie des Sciences, Prix Science et laïcité 2020. 1er octobre 2023

[Les échos "Culture" sont publiés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

Jean Zay, Souvenirs et Solitude, éd. Belin, 2010, 512 p., 11,90 €.

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Le ministre de l’éducation nationale du Front populaire s’appelait Jean Zay. Il a été nommé ministre de l’Education nationale à 31 ans, a occupé le poste pendant 4 ans et, parti se battre sur le front, a été interné par le régime de Vichy, tiré de son cachot en 1944 et assassiné par la milice. Ces gens-là ont visé juste, Jean Zay était de la trempe de ceux qui reconstruisent un pays, il fallait donc qu’il meure.

Dans notre monde saoulé d’évènements qui se poussent les uns les autres dans notre mémoire, il vous souvient peut-être d’avoir entendu parler de lui en 2015 quand ses cendres ont été transférées au Panthéon. Et je ne crois pas qu’on ait eu l’indécence, touchons du bois, d’invoquer son exemple pour justifier la nomination récente d’un autre trentenaire à ce poste difficile : ils n’ont en commun que leur âge…

Pourquoi ce message sur Jean Zay ? C’est que je viens de lire les mémoires qu’il avait écrites en prison, Souvenirs et Solitude et que c’est une des lectures les plus inspirantes qui m’ait été donné de faire dans les dernières années.

Les circonstances exceptionnelles de leur rédaction, lui qui s’aidait de sa seule mémoire, la profondeur humaine de ses réflexions sur la privation de liberté, les portraits à la Saint Simon des politiques de son temps et la bassesse de certains membres de la haute fonction publique, aussi vite à plat ventre devant le régime de Vichy qu’ils étaient prompts à faire leur cour au gouvernement précédent, et le style remarquable de son écriture suffiraient à en faire une lecture passionnante.

Mais il y a plus, il y a la réflexion profonde sur l’éducation, sur le rôle de la science dans la société moderne (Irène Joliot Curie, puis Jean Perrin furent sous ses ordres et créèrent le CNRS, le palais de la découverte…). Il y a la page admirable sur Emile Picart et le conseil supérieur de l’instruction publique où l’on voit un ministre et sa haute administration passer un examen en bonne et due forme devant l’aéropage des plus grands savants de son époque, toutes disciplines confondues. Il y a la réflexion sur la nécessité de former la haute fonction publique, qui devait donner naissance à l’ENA de la grande époque, celle qui a copiloté la reconstruction du pays. Il y a des pages admirables sur la façon d’enseigner l’histoire suivant le niveau des élèves. Et des pages qui n’ont pas pris une ride sur les conditions de bon fonctionnement d’une démocratie parlementaire. On n’en finirait pas d’énumérer les diamants que recèlent ces mémoires, et le mieux est pour vous de les lire.

On se prend à rêver en refermant ce livre, que tel jeune ministre s’en inspire au lieu de rajouter une couche de gadgets inutiles et de diversions passables en lieux et places de réformes de fond. On se prend à rêver que nos députés qui viennent de donner un spectacle assez pitoyable dans la question des retraites, lisent ce que Jean Zay dit des conditions de fonctionnement sain d’un régime parlementaire, aussi bien du point de vue du parlement que du point de vue de l’exécutif. On se prend à rêver que l’esprit qui avait motivé la création de l’ENA réapparaisse dans toute sa clarté lumineuse.
Ces mémoires de Jean Zay, Souvenirs et Solitude, devraient figurer parmi les livres de chevet de toute personne attachée au bien de la République, que ce soit comme dirigeant, comme fonctionnaire, ou comme citoyen.

Yves Bréchet


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