Revue de presse

"Jean-Luc Mélenchon : le trostkisme en action" (Le Figaro Magazine, 19 juil. 24)

(Le Figaro Magazine, 19 juil. 24) 19 juillet 2024

[Les éléments de la Revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

"ANALYSE - À 72 ans, le vindicatif meneur de la gauche radicale rêve d’entrer en 2027 à l’Élysée, d’où il entend abolir le capitalisme et dynamiter les institutions. Alors qu’il se démène en coulisses et surveille les tractations entre formations du Nouveau Front populaire, voici un décryptage de ses méthodes, vieilles d’un siècle.

Par Guyonne de Montjou

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Lire "Culte du secret et art de l’infiltration : le trotskisme en action de Jean-Luc Mélenchon".

« Trotskiste ? On y est complètement ! » s’exclame Stéphane Courtois, à propos de la stratégie des insoumis pour arracher le pouvoir. Vingt-sept ans après son Livre noir du communisme (Robert Laffont), l’historien observe Jean-Luc Mélenchon avec un mélange de fatalisme et de curiosité. « Quand la Chine, la Russie, la Corée du Nord, le Vietnam et Cuba auront renoncé à l’idéologie marxiste-léniniste, la France restera le dernier pays communiste de la planète, assure-t-il. Il y a chez nous une formidable continuité historique. La Révolution française et surtout sa phase la plus radicale (1792-1794) sont notre modèle initial. La gauche se perçoit dans le sens de l’histoire. »

Une vidéo datant du 7 octobre 2012 montre un Jean-Luc Mélenchon haranguant ses camarades, tel un Robespierre ou un Saint-Just, en promettant au micro : « Comment croyez-vous qu’on transforme un peuple révolté en un peuple révolutionnaire ? Comment sa conscience peut-elle s’éveiller ? Par les discours, bien sûr. Mais aussi par la pratique de la lutte, insiste-t-il. La conquête de l’hégémonie politique a un préalable. Il faut tout conflictualiser. » Le tribun entérine une phrase de Trotski, reprise par le Vénézuélien Hugo Chávez : « La révolution avance sous le fouet de la contre-révolution. » Comme si l’époque actuelle, avec les dérives de la mondialisation et du capitalisme, constituait le carburant à la révolution qu’il appelle de ses vœux. Même si l’idéologie communiste appliquée en politique a provoqué la mort d’au moins 75 millions de personnes au fil du XX siècle, selon le consensus des historiens, « Méluche » entend poursuivre le combat.

« Mélenchon est tout entier plongé dans la symbolique de la Révolution française lorsqu’il parle de “droit de veto royal sur le suffrage universel” à la suite de la lettre du président Macron [publiée le 10 juillet dans la presse quotidienne régionale, NDLR]. La référence à la Constitution de 1789 est claire. À l’époque, dans cette monarchie constitutionnelle, lorsque le roi a mis son veto pour la première fois en juillet 1790, l’Assemblée législative le lui a refusé, mettant fin à l’équilibre des pouvoirs », rappelle Stéphane Courtois.

Obsessionnel
Éclairé par les figures de gauche radicale qui l’ont précédé dans l’Histoire, le tribun de la Nupes emprunte à Léon Trotski des éléments de stratégie autant que de tactique. Assassiné en 1940 sur ordre de Staline, celui-ci bénéficie d’un miraculeux blanc-seing auprès de certains historiens ou intellectuels, qui oublient de lui imputer la guerre civile, la terreur et les massacres dont il fut, avec Lénine, le grand responsable et le théoricien cynique. Jean-Luc Mélenchon, que ses proches voient comme un « obsessionnel de l’histoire qu’il tutoie, au-delà des contingences matérielles », a inséré l’idéologie anticapitaliste au cœur de la vie politique hexagonale en s’infiltrant dans les mouvements rebelles actuels.

Parmi les mécontents du XXI siècle, l’insoumis prospère. Ceux qui se réclament du trotskisme sont infiltrés dans de multiples groupuscules et réseaux, notamment chez les antiracistes, antispécistes, décoloniaux, zadistes, droit-de-l’hommistes, indigénistes, sans-frontiéristes, antibassines, féministes et pro-Hamas. On les retrouve partout. Ces individus forment une « cohorte » (mot que Mélenchon utilise à l’envi) qui, une fois en ordre de bataille, entend abattre le système et le faire s’écrouler comme un château de cartes.

Comment compte-t-il procéder pour y parvenir ? Jean-Christophe Cambadélis, ancien secrétaire national du PS, issu du lambertisme comme Jean-Luc Mélenchon, nous décrit la méthodologie implacable de la conquête du pouvoir chez les lambertistes. Ceux qui appartiennent à cette aile orthodoxe du trotskisme en France ont le culte du secret et l’art de l’infiltration discrète. Ce groupuscule a été tenu d’une main de fer par Pierre Boussel, dit Lambert, des années 1950 à sa mort, en 2008. Ses préceptes ont été strictement appliqués dans la séquence 2024 : « Au départ, il n’y a pas de combat sans délimitation du terrain. Pour le scrutin européen, les Insoumis ont choisi Gaza et la question palestinienne pour terrain. Ainsi, ils se sont placés au centre du débat. Deuxième règle : ne jamais perdre de vue la perspective stratégique dans le jeu tactique », explique « Camba ».

L’objectif de Jean-Luc Mélenchon est de se retrouver au deuxième tour de l’élection présidentielle face à Marine Le Pen. Soit en 2027, soit avant, en cas de démission d’Emmanuel Macron. C’est le sempiternel rêve qu’il caresse. Ses trois dernières tentatives d’accéder à l’Élysée se sont soldées par un échec. La quatrième sera-t-elle la bonne ? Ses troupes en sont convaincues. Méfions-nous de l’eau qui tombe, goutte à goutte depuis cinquante ans. Elle assoupit et finit par noyer ceux qui avaient cessé de tenir l’échelle. « Il y a une énorme naïveté des électeurs », alerte encore Stéphane Courtois.

Culte du chef
« Pour les lambertistes, la petite bourgeoisie est “impressionniste”, poursuit Jean-Christophe Cambadélis. C’est-à-dire qu’elle se laisse “impressionner” par les polémiques et privilégie la tactique sur la stratégie. » Les lambertistes, eux, gardent leur cap, la tête froide. L’ancien secrétaire national du PS cite enfin la troisième règle des trotskistes pour parvenir aux commandes : « Il faut une unité de commandement. Le peuple se reconnaît dans une seule voix. C’est un principe d’organisation léniniste. » Voilà qui est posé.

« Le culte du chef est inhérent au fonctionnement communiste, renchérit Stéphane Courtois. L’unité de la volonté est un grand principe de Lénine. Il y a toujours eu une tentation totalitaire à gauche. » Napoléon, certes, manifestait le même culte du chef mais il a créé, au-delà de sa personne, des institutions solides, un code civil, des écoles pour faire monter les meilleurs au pouvoir. Il n’était pas internationaliste et manifestait une vision pour la nation. « Au-dessus de Mélenchon l’internationaliste, il n’y a rien » murmure Courtois, qui rappelle les racines catholiques de ce dernier, en partie reniées, sur lesquelles se fonde la vocation de sa propre sœur, religieuse dominicaine.

Les relents de sa culture catholique se décèlent davantage dans sa posture mystico-prophétique que dans son espérance ou dans son humilité. Cette attitude éclate surtout aux moments douloureux des enterrements - filmés, donc transformés en tribune - où son verbe donne toute sa force. Devant la tombe de l’architecte de La France insoumise, Bernard Pignerol, le cercueil de Charb ou celui de François Delapierre, son « fils spirituel », tous partis trop vite, il continue le combat.

Face au gouffre de la mort qui intimide, il évoque « les brumes lumineuses du néant lointain », et - sur la forme - alterne les imprécations tonitruantes et les murmures. Lyrique, la gorge nouée - « C’est un affectif » nous assure un de ses proches -, il sème ici et là ses références trotskistes, donnant du « camarade », de l’Internationale, du poing levé. On pourrait presque croire qu’à ses yeux, ce sont le capitalisme bourgeois et les privilégiés qui ont emporté ses amis dans la tombe. « La grande faille de Mélenchon, c’est son isolement. À force d’être raide, on finit par vous mettre sur la cheminée », note un de ses compagnons de route.

Messages subliminaux
Car comment mener une telle révolution sans un brin de paranoïa ? Le pluralisme au sein des instances de La France insoumise est inexistant, selon les observateurs. Les propositions sont entérinées en Congrès par une écrasante majorité, digne d’un scrutin soviétique. Le Parti de gauche, que Mélenchon avait créé en 2008, n’est-il pas devenu en 2015 La France insoumise pour qu’il garde pleinement la main dessus ? Chez Mélenchon comme chez les partisans du fondateur de l’Armée rouge, la purge est une voie de purification des instances.

Lorsque Raquel Garrido, Danielle Simonnet et Alexis Corbière ont dénoncé les méthodes autoritaires de leur parti, ils n’ont pas eu l’investiture officielle du Nouveau Front populaire tandis que les deux premières ont milité plus de trente ans aux côtés de Jean-Luc Mélenchon. « Il y a eu friture sur la ligne » explique Jean-Christophe ambadélis. Et cela fut insupportable aux yeux du chef. Rappelons qu’Adrien Quatennens, son poulain,condamné pour violences conjugales, avait été investi pour devenir député du Nord sous la bannière insoumise, avant de se retirer.

L’entre-deux tours des élections législatives est un cas d’école. « L’encouragement aux désistements électoraux aussi est un réflexe des communistes français, repris par les trotskistes. Aux législatives de mai 1936, le PC fait son meilleur hold-up électoral grâce à ceux-ci : il est alors passé de 10 députés à 72. Cela a donné des idées à Ruffin près d’un siècle plus tard… » analyse encore Stéphane Courtois.

Lors des meetings de La France insoumise se retrouvent des pratiques vieilles d’un siècle au sein du mouvement communiste. Les naïfs croient qu’il s’agit d’un folklore, les militants captent les messages subliminaux qui les galvanisent : « Gaza a remplacé la guerre d’Espagne des années 1930, et cette guerre a réveillé un vote identitaire. » Pensif, l’historien Stéphane Courtois renchérit : « Notez le silence radio sur l’Ukraine. Cette gauche-là est gênée aux entournures et considère encore Moscou comme le berceau de la patrie du socialisme. »

Autre stratégie éculée depuis un siècle : recruter des jeunes, malléables et enthousiastes comme la « promotion Lénine » jadis. « Au dernier rassemblement du Front Populaire à Montreuil, le 17 juin, j’ai vu un zozo de 17 ans monter en tribune. Il s’est déclaré dirigeant d’un syndicat lycéen, couverture parfaite d’un trotskiste infiltré. Il a pris la parole et, à la fin, il a levé le poing en en appelant à Lénine, suscitant beaucoup d’applaudissements dans l’assemblée. Vingt-sept ans après notre Livre noir, je suis tombé de ma chaise », se lamente Stéphane Courtois, que l’amnésie ambiante inquiète.

Avec son mouvement conspiratif, Jean-Luc Mélenchon, non élu, s’est tapi dans une ombre sonore, de plus en plus présente. Il tire les ficelles, mène ses coteries avec ses sympathisants et militants lambertistes cachés partout. Entre l’Espace Charenton ou le « 87 » - rue du Faubourg-Saint-Denis, siège du Parti ouvrier indépendant (POI), partenaire historique du mélenchonisme - et les ors de l’Élysée, il rêve de réussir le grand écart."


Lire aussi dans la Revue de presse "L’étrange parcours du docteur Mélenchon" (Charlie Hebdo, 17 juil. 24) dans La France insoumise (LFI) dans Gauche (note de la rédaction CLR).


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