Revue de presse

Guy Konopnicki : “Au bon beurre” (Marianne, 22 jan. 11)

2 février 2011

“ Ce matin-là, les pages économiques des journaux publiaient les résultats des groupes de la grande distribution. C’est l’un des rares secteurs de l’économie française où l’on ne se plaint pas trop. [...]

Ce matin-là, tandis que nous lisions les fines analyses économiques attestant de la bonne santé de quelques groupes monopolisant le commerce du beurre, des œufs et du fromage, la radio annonçait le décès de Jean Dutourd. Ce vieux réac nous a tout de même laissé un chef d’œuvre, Au bon beurre, fameux roman du désenchantement gaulliste, couronné par le prix Interrallié en 1952. Depuis ce temps, les hypers et leurs chaînes de supérettes ont écrasé le crémier de quartier, à moins que ce crémier du roman de Dutourd n’ait racheté ses concurrents [...]. Par sa manière de faire de l’argent, par tous les moyens et en profitant de toutes les circonstances, le taulier du Bon Beurre est un précurseur. Il porte en sautoir la morale d’aujourd’hui, hissant la réussite économique au-dessus de toutes les valeurs.

Jean Dutourd était ce que l’on appelle un homme de droite. Mais peu d’écrivains auront osé porter un tel regard critique sur la France de l’après-guerre. [...] Le haut fonctionnaire compromis à Vichy a obtenu un brevet de résistance, comme le crémier enrichi par le marché noir et la collaboration. Le nouveau pouvoir se fonde sur l’alliance de l’affairiste et du serviteur zélé de tous les régimes. Dutourd en rajoute, l’avenir appartient aux enfants des crémiers enrichis. Ce roman-là n’est pas exactement de droite. A ceux qui se croient forcément de gauche, en raison de leur horreur des beaufs, incarnation d’une France trop populaire pour être progressiste, Au bon beurre avait répondu d’avance. La cible, ce n’était pas le beauf mais le “BOF”, le beurre-œufs-fromage enrichi, fier de son gros bon sens qui regarde avec dédain ceux qui ne s’intéressent ni à l’argent, ni aux combines. [...]

Ecrasé sous sa forme ancienne, le BOF voit son esprit triompher. Il n’est plus crémier, notre affairiste sans scrupule, il travaille dans des domaines plus nobles. Mais il exhibe toujours une grosse tocante vulgaire, preuve de sa réussite. [...]

Dans les bons milieux littéraires, il est de bon ton de mépriser Jean Dutourd, puisqu’il se proclamait de droite. La gauche littéraire cultive le paradoxe, elle adule l’écrivain réac quand, au moins, il a un peu collaboré. Elle aura ainsi réhabilité Morand et Chardonne, pleuré sur Drieu, elle sauverait même Brasillach pour ses écrits sur le cinéma. Mais Dutourd ? Un gaulliste, engagé à 20 ans dans la Résistance, qui décrivit l’indignité de l’après-guerre. Cette homme-là était démodé d’avance. [...] ”


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