Revue de presse

G. Konopnicki : “La laïcité au régime sec” (Marianne, 8 nov. 08)

Guy Konopnicki, journaliste, écrivain, chroniqueur à "Marianne". novembre 2008

"Tandis que je m’interrogeais sur la boisson la mieux adaptée à l’attente des résultats américains, hésitant entre un bourbon d’une qualité moyenne et un remarquable scotch des Highlands, mon regard s’arrêta sur un titre du Monde de la veille. Une fort instructive enquête de Stéphanie Le Bars sur « l’islam au bureau » [1]. Les premières estimations laissant présager que le Kentucky votait McCain, le choix des Highlands s’imposait. L’Ohio et la Floride demeuraient indécis. J’essayais de tromper le suspense avec l’islam au bureau noyé dans le scotch. Le temps de découvrir qu’une importante entreprise comptant 10% de salariés de confession musulmane expurgeait ses cadeaux de fin d’année de tout produit impie. La direction des ressources humaines avait été amenée à s’interroger sur le foie gras, délice originaire d’Egypte, où les bas-reliefs des palais pharaoniques attestent du gavage des oies.

Si j’ai bien compris, le foie gras peut être halal, mais sans doute pas la truffe quand elle a été reniflée par un cochon. Ce rajout est, en tout état de cause, inutile. Cependant, l’entreprise, pour ne pas froisser son personnel musulman, heurte la religion des amateurs de foie gras, qui se consomme accompagné de sauternes, de jurançon ou, mieux encore, d’un gewurztraminer vendanges tardives. Les salariés de l’entreprise soucieuse de la diversité religieuse du personnel ne seront pas appelés à trancher entre sauternes, jurançon et vendanges tardives d’Alsace. Ils n’ont pas droit au vin. Les directeurs des ressources humaines devront bientôt compléter leur formation par des stages auprès des imams, des rabbins et des curés, pour savoir ce qu’il convient d’offrir au personnel.

Fort étrangement, pour ne pas choquer les musulmans, la direction des relations humaines veille sur le contenu des colis des fêtes de fin d’année qui, pour être laïcisées depuis fort longtemps, n’en sont pas moins des fêtes chrétiennes. Les chrétiens pourraient légitimement revendiquer le rétablissement du vin, sans lequel ils ne peuvent célébrer la messe. Les juifs s’associeront alors à leur protestation, le vin étant indispensable à la sanctification du shabbat. Ils exigeront cependant que les bouteilles soient estampillées kasher. Si les religions prennent le contrôle des activités sociales des entreprises, cette affaire de cadeaux risque de n’être qu’un commencement.

La bibliothèque d’un comité d’entreprise se verra sommée de ne point proposer d’ouvrages susceptibles de heurter les convictions d’une catégorie de salariés. On interdira donc les représentations du Prophète et autres manifestations impies, fréquentes dans la littérature. Il faudra également veiller sur les spectacles et les activités de loisirs. A la cafétéria, il sera interdit d’exhiber des journaux et des magazines comportant des photos impudiques et des articles de nature à heurter la sensibilité des croyants. Bientôt, au bureau, les femmes ne devront pas découvrir les parties du corps dont la vue suffit à blesser le Tout-Puissant. En revanche, on ne demandera jamais aux croyants de ne pas choquer les athées par leurs manifestations d’obscurantisme.

Le monde de l’entreprise, précise encore Stéphanie Le Bars, la journaliste du Monde, emploie de plus en plus de « cadres de confession musulmane affichant leurs croyances ». D’où l’angoisse des DRH d’« entraver la laïcité ou être accusés d’islamophobie ». Jadis, les salariés de « confession musulmane » se trouvaient plus souvent sur les chaînes, sur les chantiers ou au fond des mines que dans les bureaux. Les cadres d’aujourd’hui sont les enfants de ces ouvriers. Ils ne doivent pas cette ascension au Prophète ni à ses miracles, mais, dans la plupart des cas, à l’école laïque.

Serait-on islamophobe en rappelant aux diplômés musulmans, comme à tous les autres, ce qu’ils doivent à la laïcité ?"


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