Revue de presse

« Derrière l’illusion du renouvellement, on se dirige vers une Assemblée élitiste » (L. Rouban, lefigaro.fr/vox , 8 juin 17)

Luc Rouban, directeur de recherche au CNRS (Cévipof), auteur de « Le profil des candidats investis par La République En Marche : un renouveau limité », consultable sur le site du Cévipof. 10 juin 2017

"Si les élections législatives annoncent une majorité parlementaire LREM confortable pour Emmanuel Macron, Luc Rouban, directeur de recherche au CNRS (Cévipof), estime que la représentation nationale présente un risque de décalage face aux attentes réelles du pays. Le spectre d’une législature élitiste se dessine. Explications.

Peut-on parler de renouveau politique à l’Assemblée nationale en cas de vague LREM à l’issue des législatives ?

Luc ROUBAN. - C’est un renouveau partiel. En réalité, il y a une bonne parité hommes/femmes mais celle-ci était déjà amorcée. On constate un rajeunissement mais celui-ci il est lié aux catégories socio-professionnelles des candidats. Enfin, plus de la moitié des candidats n’ont jamais été élus (284 sur 529). Pour autant, deux points essentiels laissent un goût d’inachevé, voire de régression, à ce renouvellement. En observant attentivement les biographies des candidats, on s’aperçoit que l’on est loin d’avoir une majorité éloignée de la politique. Globalement, seulement un tiers sont de vrais novices. Avant d’être député, on peut avoir un passé de militant actif, de cabinet ministériel, d’élu local ou de responsable de fédération et de structures locales… Beaucoup se présentent aux législatives en tant que fonctionnaires territoriaux alors qu’ils ont occupé des postes de cadres, de directeurs généraux des services ou de chargés de mission. Ils sont donc déjà installés dans le milieu politique depuis un certain temps. Le deuxième point important est que cette majorité est loin de la représentativité et de la diversification sociologique. C’est une régression.

Comment l’observez-vous ?

En comparant ces données à la moyenne des élus de 2012. On note une surconcentration de diplômés du supérieur, cadres supérieurs, dirigeants d’entreprises privées, chefs de PME/TPE et professionnels largement issus du secteur des services. Par exemple, il y a beaucoup de consultants en marketing et communication. Nombre d’élus chefs d’entreprise étaient auparavant assistants parlementaires et ne peuvent pas se réclamer de la société civile. Cette concentration sur les catégories supérieures du privé entraîne une quasi inexistence des employés et des ouvriers. Si cette majorité se révèle absolue, voire écrasante au-delà de 400 sièges, nous serons au niveau des législatures les plus élitistes.

Une telle représentation nationale ne serait-elle pas contradictoire avec la nature très clivée des débats au premier tour de la présidentielle ?

Oui, puisqu’ au premier tour de la présidentielle, près de la moitié de l’électorat a voté pour des candidats souverainistes ou populistes, de droite comme de gauche, de Marine Le Pen à Jean-Luc Mélenchon. On a donc observé une fracture, une opposition claire entre deux mondes : d’un côté des gens à faible patrimoine, issus des classes populaires sous-représentées dans les instances politiques, de l’autre des classes diplômées et ouvertes sur l’Europe. Dans les attentes de renouveau exprimées durant cette présidentielle, il n’y a pas simplement une recherche de candidats issus de la vie économique et des entreprises. On a vu aussi une demande de démocratie participative. Et en face, cette offre des candidatures de la République En Marche semble décalée.

Quels sont les risques ?

J’en vois deux. Le premier est le risque d’un parti godillot. Si LREM obtient une majorité très importante, l’Assemblée nationale ne sera pas très critique et donc, ne jouera pas totalement son rôle de contre-pouvoir face à l’exécutif. Ce risque sera d’autant plus fort que de nombreux élus ne seront pas habitués au jeu parlementaire entre le législatif et l’exécutif. Le deuxième problème à ne pas négliger est celui des conflits d’intérêts potentiels. Se priver de professionnels favorise forcément des profils disposant de ressources et ceux qui risqueraient de les perdre ne seront pas à l’abri de la tentation. La professionnalisation et le recours aux fonctionnaires pouvaient protéger de ces tentations et garantir une certaine indépendance. Ce risque de conflits d’intérêts imposera sans doute des contrôles beaucoup plus strictes, au-delà de la moralisation de la vie politique.

Depuis l’élection d’Emmanuel Macron, on observe une sorte de consensus. Combien de temps cela peut-il tenir ?

Pour l’instant, nous vivons sur l’impression d’un consensus mais dès qu’il faudra entrer dans la mise en œuvre concrète des mesures, par exemple en matière de travail, réforme des retraites, réduction des effectifs de la fonction publique etc… ce consensus ne tiendra pas longtemps. Si l’Assemblée nationale s’aligne sur l’exécutif, on peut s’attendre à des réactions sociales qui s’exprimeront autrement que par la politique parlementaire. C’est le risque d’une majorité écrasante dans un pays où le potentiel contestataire est très puissant.

Que répondez-vous à ceux qui pensent que ces difficultés ressemblent à des « problèmes de riches » ?

Certainement. En quelque sorte, on peut aussi parler de rançon du succès. Mais on se bercerait d’illusions en pensant que le consensus de l’après-présidentielle peut durer éternellement. Celui-ci est le fruit d’un déphasage entre l’offre et la demande de politique.

Il ne faut pas oublier également qu’Emmanuel Macron a été largement élu par défaut et sans enthousiasme. C’est ce qu’ont révélé nos enquêtes. Il dispose d’une majorité mécanique mais cela ne veut pas dire qu’il existe une adhésion réelle. Une certaine lassitude démocratique peut aussi favoriser les candidats LREM en limitant les triangulaires. Mais les attentes exprimées lors de la présidentielle sont toujours là.

Voulez-vous dire que le pouvoir macroniste est très fragile ?

Il est très vulnérable. Il ne pourra pas s’appuyer uniquement sur les chefs d’entreprises et les patrons de PME."

Lire "Luc Rouban : « Derrière l’illusion du renouvellement, on se dirige vers une Assemblée élitiste »".



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