Terra Nova

Terra Nova B. Poulet : "Je ne veux pas aller en Suisse" (tnova.fr , 2 mars 23)

Bernard Poulet, journaliste et essayiste. 2 mars 2023

[Les échos des initiatives proches sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

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Lire "Je ne veux pas aller en Suisse".

"[...] Celui qui croit encore au Ciel est bien sûr fondé à respecter l’interdit religieux du suicide et à accepter l’injonction qu’il ne peut pas disposer de sa vie qui ne dépend que de Dieu. Il peut légitimement estimer qu’il doit faire l’expérience d’une mort qu’il ne choisit pas. Puisque selon la Bible « nul ne sait ni le jour ni l’heure », le croyant peut rechercher « la riche pédagogie que porte la mort ». Même si c’est au prix de grandes douleurs.

Mais celui qui ne croit pas au Ciel, celui qui n’imagine pas d’au-delà de sa mort, est fondé non seulement à choisir de ne pas souffrir inutilement, mais aussi libre d’organiser sa fin de vie comme il l’entend. Pourquoi devrait-il râler, étouffer, délirer, rester des heures à attendre d’être lavé, avoir mal ou même s’éteindre au bout d’une longue sédation terminale qui l’aura déjà coupé des siens  ? [...]

S’il est vrai que nous sommes entrés dans une ère de la domination des droits individuels, le choix de sa fin de vie ne relève pas de la même catégorie utilitariste, ultra-libérale et ultra-individualiste. Choisir les conditions de sa mort n’a rien à voir avec la liberté de choisir son sexe, son genre, son nom ou son enfant via la gestation pour autrui (GPA).

Vouloir décider les conditions de sa fin de vie ne relève pas du consumérisme, du « droit à » si cher aux individus contemporains. Car, si on peut prétendre choisir son sexe, son enfant, sa conjugalité, on ne peut pas choisir de ne pas mourir, quoi qu’en pensent les illuminés transhumanistes.

Le suicide assisté c’est la volonté de contrôler sa mort, pas de l’effacer. Ce n’est pas un choix « consumériste » ni utilitariste, pas même un nouveau droit, mais une ultime liberté. Ce qu’on choisit dans la mort délibérée, ce n’est pas la mort elle-même, de toutes façons inéluctable, c’est la façon de mourir, ce qui est différent. La liberté de décider quand et comment mourir aide à vivre. « Tâchons d’entrer dans la mort les yeux ouverts », dit Hadrien chez Marguerite Yourcenar. [...]

Certes l’acharnement thérapeutique, rebaptisé obstination déraisonnable, a été défini et interdit par la loi Leonetti de 2005  ; mais comment qualifier la situation d’un malade qui n’est maintenu en vie que grâce à des machines  ?

La loi Claeys-Leonetti a rendu les directives anticipées plus contraignantes et a autorisé une sédation profonde et continue jusqu’au décès si le pronostic vital est menacé à court terme, c’est-à-dire sous quelques heures ou, au plus, quelques jours. Non seulement elle ne garantit pas une fin de vie apaisée ni n’empêche les longues agonies des cancéreux dont le décès n’est pas prévu à court terme, mais elle ne dit rien des cas des maladies neuro-dégénératives, maladie de Charcot, Alzheimer, Parkinson, etc. Quand la maladie de Charcot est diagnostiquée, le malade sait qu’il a au plus quelques années de survie et qu’il va connaître progressivement une paralysie de toutes ses fonctions et une perte totale d’autonomie dans sa phase finale. C’est généralement l’incapacité de respirer qui provoque le décès. Un malade qui ne veut pas atteindre ce stade ne pourra pas être aidé à mourir car le pronostic vital sera plus long que ce que prévoit la loi.

Pour les autres, l’agonie est accélérée par l’interruption des moyens artificiels de survie, assistance respiratoire, nourriture artificielle, etc. Le malade meurt le plus souvent d’insuffisance rénale qui peut accompagner une agonie prolongée et être, dans certains cas, douloureuse. [...]

Par ailleurs, au-delà de ces acrobaties morales et sémantiques, il faut bien se rendre compte qu’en agissant ainsi les médecins transgressent effectivement l’injonction de ne pas tuer. Il en va de même lorsqu’on défend, comme Axel Kahn, une « exception d’euthanasie ». [...]

Jusqu’à présent, la demande de suicide assisté a été traitée de manière cruelle et profondément inégalitaire. L’immense majorité des malades a été abandonnée à elle-même quand ceux qui en avaient les moyens ou les connexions allaient mourir à l’étranger ou se faisaient aider clandestinement. [...]

Tuer c’est supprimer quelqu’un contre sa volonté, c’est une violence qui recherche l’anéantissement de l’autre et dont le paroxysme est le génocide. Se suicider, même en se faisant assister, est un rapport à soi-même, on pourrait même dire un choix de vie qui ne peut être assimilé au meurtre.

En quoi la possibilité d’aider à mourir quelqu’un qui, arrivé au bout de son existence, le souhaite en toute conscience serait-elle la transgression d’un tabou, voire un « changement anthropologique »  ?

Refuser le droit de choisir sa mort revient à considérer la vie comme une prison dont on n’a pas le droit de s’échapper. [...]

Le chantage fait par certains soignants, qui menacent d’abandonner les soins palliatifs si une loi autorisant l’euthanasie active est votée, est très choquant. Ceux-là ne devraient plus nous parler d’éthique. Une association comme la Sfap (Société française d’accompagnement et de soins palliatifs), très active dans les médias, ne se contente pas de promouvoir les soins palliatifs mais lutte aussi contre toute forme d’aide à mourir. Une position militante qui ne poserait pas de problème si les pouvoirs publics ne lui avaient accordé un rôle central. Au point souvent que, dans les médias, la Sfap, et notamment sa présidente Claire Fourcade, apparaissent comme la voix de tous les soignants (une enquête de l’INSERM montrait pourtant, en 2003, que 45% des médecins généralistes étaient favorables à une dépénalisation de l’euthanasie comparable à celle des Pays-Bas). [...]"



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