Revue de presse

"Soufiane Zitouni. L’islamisme, ça soufi" (Libération, 18 fév. 15)

Soufiane Zitouni, ancien professeur de philosophie au lycée Averroès à Lille. 19 février 2015

"Portrait. Ce professeur de philo a démissionné du lycée musulman Averroès, y dénonçant le double langage de la direction.

Inconnu il y a deux semaines, Soufiane Zitouni, professeur de philosophie du lycée Averroès, a mis le feu aux poudres en publiant, le 6 février dans Libération, une tribune dans laquelle il explique les raisons de sa démission. Depuis, il y a eu deux morts à Copenhague, vingt et un coptes massacrés en Libye, une actualité fulgurante, un siècle de barbarie. Il y a deux semaines, une comète passait dans le ciel de cette frénésie médiatique. Celui qui dénonce un « antisémitisme culturel » au lycée musulman sous contrat de Lille et le double langage d’une direction qui diffuserait un « mélange malsain et dangereux de religion et de politique » est pour certains un « imposteur vaniteux », pour d’autres un défenseur des valeurs républicaines.

[...] Alors, « hussard noir » ou « faux héros » de la République ?

A 47 ans, cet amoureux de Dieu prône un islam spirituel et lutte, depuis toujours, contre cet islam politique et dogmatique qu’il réprouve. Au lycée Averroès, le professeur, en poste depuis septembre 2014, s’est-il senti missionné pour œuvrer à une meilleure connaissance de ce qu’il considère comme le « vrai islam » ? Lui qui a passé une vingtaine d’années dans des établissements privés catholiques récuse cet argument : « Le Nord, c’était pour rejoindre ma compagne, pas pour enseigner au lycée Averroès, où j’ai cru naïvement pouvoir travailler dans l’esprit du grand philosophe arabe jusqu’à me rendre compte qu’eux s’en foutaient. »

Se réclamant du soufisme, un courant qui reflète une quête de sagesse, Soufiane Zitouni a voulu faire le jour sur ce qu’il appelle un « panier de crabes ». Mais, derrière l’exigence de vérité, notion viscérale à ses yeux, se joue une lutte entre deux visions des choses : « Au lycée Averroès, j’ai assisté à quelques prêches dont l’un disait que le voile était une obligation religieuse. Je n’aime pas cet islam prescripteur et centré sur l’image. Pour moi, l’islam est une éthique, pas une étiquette. » Ce refus de l’ostentatoire est propre au soufisme que l’enseignant a rejoint en 2010. « Le cheikh Bentounès [guide spirituel de la confrérie Alawiya, ndlr] m’a libéré. Il m’a fait découvrir la spiritualité. Trop de croyants adorent plus leur religion que Dieu. »

Pendant ses études, Soufiane Zitouni a travaillé quatre ans, pour Libération, à Lyon. Homme de gauche, il fait partie des traumatisés du 21 avril 2002, d’autant qu’il est lui-même né un 21 avril. Depuis, il vote PS à chaque élection. Défenseur acharné des valeurs de liberté et de fraternité, il est aussi impliqué dans le dialogue interreligieux. Le père Delorme, l’un des initiateurs de la marche des Beurs en 1983, l’a rencontré à plusieurs reprises dans ce contexte : « C’est un homme honnête aux idées justes. » Le directeur d’un lycée catholique se souvient de lui comme doué d’une « belle parole ».

Quand, suite aux attentats, Soufiane Zitouni publie une première tribune intitulée « Aujourd’hui, le Prophète est aussi Charlie », l’enseignant souhaite lancer un débat au sein du lycée. Il y attaque les islamistes, pas l’islam. Mais ce texte passe mal. Dans la salle des profs, « c’est l’hystérie ». En classe, certains élèves lui auraient reproché de « lécher les pieds des ennemis de l’islam ». Soufiane Zitouni se plaint que « dès qu’on fait la moindre critique envers les musulmans, on passe pour un apostat, un renégat. » Un professeur d’éthique islamique lui répond en ironisant sur son manque de raison. Le philosophe ne remettra plus les pieds au lycée.

Dans sa famille, il a aussi eu longtemps le sentiment d’être un renégat. Son père, ouvrier illettré, ancien combattant pour l’indépendance algérienne, impose une éducation religieuse stricte à ses cinq garçons. Soufiane, né à Roanne, dans la région lyonnaise, est le deuxième de la fratrie. A la maison, l’ambiance est tendue. « Mon père nous frappait, c’était son mode d’éducation. » Le jeune Soufiane se construit entre l’école républicaine et laïque pendant la semaine et l’école coranique le week-end.
L’antisémitisme culturel, il l’a vécu autour de la table familiale. « Aujourd’hui, je comprends les jeunes qui ont un problème avec l’identité, surtout quand tu as des parents qui te disent que tu n’es pas français, ce qui était le cas de mon père. » Quand il s’installe avec sa première femme, non musulmane, avec laquelle il aura deux filles, la famille désapprouve, et des rapports glaciaux s’installent.
A sa mère, qui lui demande pourquoi il a publié son texte de démission, il rétorque : « Papa s’est battu pour l’Algérie, moi, je me bats pour défendre mes valeurs. » A la fois opiniâtre et impulsif, il ne se laisse pas faire.
Voix isolée dans l’affaire Averroès, il a aussi rencontré la stigmatisation dans l’enseignement catholique. Quand après deux échecs il obtient, à 36 ans, son diplôme pour enseigner dans le privé, Soufiane Zitouni se fait expliquer par le directeur diocésain de Saint-Flour, dans le Cantal, qu’il ne peut pas le prendre. La raison ? Il est arabe et musulman. « J’en ai pleuré », se souvient-il. Il écrit au rectorat pour faire valoir ses droits. Cette fois, ça marche. [...]

La direction du lycée Averroès vient de lancer une procédure judiciaire pour diffamation et injure non publiques. Le professeur devrait comparaître, le 3 avril, devant le tribunal de police de Lille. [...]

En 5 dates
21 avril 1967 Naissance à Roanne (Loire). 2003 Obtient son diplôme d’enseignement dans le privé. 2010 Entrée dans la confrérie soufie Alawiya. Septembre 2014 Entrée au lycée Averroès (Lille). 6 février 2015 Quitte le lycée et publie une tribune dans Libération ."

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