Revue de presse

"Séparatisme : le gouvernement entre avancées et trompe-l’œil" (G. Chevrier, atlantico.fr , 31 mars 23)

Guylain Chevrier, docteur en histoire, enseignant, membre du Conseil d’administration du Comité Laïcité République. 1er avril 2023

[Les éléments de la Revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

"Dix-huit mois après la promulgation de la loi séparatisme, Sonia Backès, secrétaire d’État chargée de la Citoyenneté, a présenté un premier bilan.

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Atlantico : Dix-huit mois après la promulgation de la loi contre le séparatisme, la secrétaire d’État à la Citoyenneté, Sonia Backès, dévoile au Figaro son premier bilan. Que faut-il en retenir ? Va-t-on dans le bon sens ?

Guylain Chevrier : On retiendra que le discours des Mureaux du président de la République, disant déclarer la guerre au repli communautaire, au séparatisme, a fait sortir notre pays d’un certain déni, en passant de dénoncer le terrorisme à ce qui est considéré comme la racine du mal, l’islamisme. On a entendu s’y attaquer, des financements étrangers aux associations communautaristes, de l’école à la famille ou au contenu haineux du web. Ceci, avec des résultats, comme la fermeture de 187 établissements temporairement ou définitivement, dont sept lieux de culte en 2022, avec cinq associations ou regroupements islamistes dissous, 8 millions d’euros redressés ou recouvrés dans ce contexte, 47 établissements scolaires hors contrat contrôlés…

Il y a, dit-elle, des résultats rapides et concrets. Certes, mais ceux-ci ne concernent qu’un domaine limité, au regard de la pénétration de l’islamisme dans notre société de façon souvent insidieuse. Ainsi, on parle d’essayer de mieux endiguer les contenus toxiques sur le web en lien avec les plateformes, mais on constate aussi que 90% des contenus de Google liés à l’islam amènent directement à des contenus liés à l’islam radical. Essaie-t-on de savoir le nombre de consultations de ces contenus, pour avoir une idée de leur succès, qui ne saurait tenir que de la source, mais aussi de l’expression d’un islam ordinaire en recherche de réponses voire de soutiens convictionnelles, dans un contexte parfois d’affrontement avec nos institutions ?

Ce qui aurait pour intérêt de fournir de la matière à partir de laquelle réaliser des enquêtes pour répondre à la question du pourquoi d’un tel succès, qui est d’ailleurs indéniable, si on regarde certains chiffres. Selon les services de renseignement, on est passé de 5000 salafistes en 2004 à 100.000 salafistes et Frères musulmans en 2019. Ce qui n’est que la partie émergée de l’iceberg, on le sait bien. Aussi, du discours des Mureaux à la loi contre le séparatisme, on peut reconnaître une certaine efficacité, mais avec des limites qui tiennent sans doute à la conception même de l’action menée.

Dans le même temps, un document du ministère de l’enseignement supérieur dont « Le Monde » a eu copie révèle que l’ancienne ministre Frédérique Vidal, contrairement à ses dires, n’a jamais diligenté d’enquête en février 2021. Comment l’expliquer ? Derrière les mots y a-t-il insuffisamment de volonté politique ?

Ce constat d’absence d’enquête diligentée par la ministre en question nourrit l’ambiguïté, un certain "en même temps", intenable ici. Il sert ceux qui effectivement défendent un modèle qui est celui du multiculturalisme contre la République, cultivé par une frange du gauchisme en France, ce qui se traduit par un soutien à l’islam communautariste voire radical. Phénomène qui n’a rien de récent. On se rappelle comment Tariq Ramadan a tenu la vedette au Forum social européen en 2003 au cœur du mouvement altermondialiste, qui s’est d’ailleurs divisé autour de cette évolution et de ce rapprochement. Ce rapprochement avec « la gauche » européenne est prôné par tout le mouvement islamiste dit « réformiste » proche des Frères musulmans auquel se rattache le prédicateur. On y trouvait cette mouvance d’ « Une Ecole pour toutes et pour tous » soutenant le voile à l’école. Les mêmes qui ont ensuite passé leur temps à combattre la loi du 15 mars 2004 interdisant les signes religieux ostensibles dans l’enceinte scolaire.

Dire que l’islamo-gauchisme n’existe pas est une gageure. Il est plus ou moins présent partout de façon inégale, où des enjeux d’influence se font jour. On sait combien l’entrisme est une composante de l’action gauchiste. A l’Université comme ailleurs, on trouve ses soutiens, avec une confusion certaine entre recherche et engagement militant, ce qui peut poser problème au regard de l’objectivité et surtout du respect de la méthode, qui définit tout de même une certaine idée et valeur de l’enseignement supérieur. Il y a une éthique propre à la démarche scientifique, qui garantit la qualité de l’enseignement, avec une confrontation des points de vue, une démarche spéculative critique, souvent balayée au nom de « la grande cause » par d’aucuns voire, qui pratiquent les oukases, tout opposant subissant l’accusation utilisée comme infamante d’extrême droite. On a reculé c’est certain sur la volonté politique de pointer ici encore les problèmes, en faisant un état des lieux sur ce mélange des genres ou on confond recherche scientifique et orientation militante des contenus, selon un modèle politique différentialiste opposé à nos institutions. Le risque étant de transformer des outils de recherche en section politique.

Cela aurait mérité de s’y pencher sérieusement, alors que nous subissons les influences d’une Amérique (entre autres de ses campus universitaires), engluée dans le wokisme. Cette vision pseudo-progressiste, promouvant un « contrat racial » venant se substituer au contrat social, où on retrouve ensemble les tenants du nouveau féminisme genré et les militants de l’islam politique, au nom de combattre ensemble les discriminations, la fameuse intersectionnalité. Ce n’est pas un fantasme.

Quelle est la part de vraies avancées du gouvernement ? Et quelle est la part de trompe-l’œil ?

Lorsque l’on met en avant le référé laïcité, introduit par la loi contre le séparatisme, confirmé par le Conseil d’Etat pour mettre fin à la situation du port du burkini dans des piscines à Grenoble, en s’attaquant à une décision municipale qui y était favorable, c’est très bien. C’est une avancée. Mais où est la cohérence lorsque aucune loi n’existe pour faire respecter ce principe partout ? Ainsi, on laisse ailleurs, comme à Rennes, l’entrée de piscines à des femmes en burkini. Il n’y est pas autorisé en tant que tel, mais par le biais d’avoir intégré par décision municipale, une recommandation de l’agence nationale de sécurité sanitaire qui explique que la tenue portée « doit être conçue pour la baignade et exclusivement à l’usage de la baignade ». Le short a ainsi été autorisé dans les piscines de cette ville et par extension d’autres tenues… Doit-on ainsi laissé des militants religieux, qui sont seuls à afficher leur religion dans une piscine au regard des autres tenues neutres, sans vouloir voir que cela sépare et est fait pour cela ? Ceci constituant un trouble à l’ordre public, au regard d’une société qui pose le principe d’égalité, particulièrement femmes-hommes, dans l’usage ici commun, et non individuel, d’un service public. Il n’y a rien de pire que l’incohérence, l’impuissance qui s’en dégage invite à aller plus loin. Il faut faire évoluer plus vite et plus fort notre droit. Notre République ne peut tenir que sur le respect de valeurs et de principes communs, sinon c’est la logique des minorités et du multiculturalisme qui l’emportera.

On contrôle les écoles hors contrats à caractère communautariste, on tente d’y poser des limites, ainsi qu’aux dérives concernant les enfants instruits en famille. Mais l’école de la République, elle, est en grande détresse derrière l’apparente tranquillité du ministre de l’Education. On explique que la formation à la laïcité engagée pour l’ensemble des personnels de l’Education nationale, a déjà bénéficié à 130 000 personnels, ce qui est à relier au travail du Conseil des sages de la laïcité installé par Jean-Michel Blanquer.

Mais, on constate aussi, que selon une enquête du Syndicat national des directions de l’Education nationale (SNPDEN)-Unsa, que les principaux et proviseurs ne font pas systématiquement remonter les atteintes à la laïcité. Quelques 26% d’entre eux ont été confrontés à des contestations d’enseignement au nom d’une vérité religieuse, et 37% parmi eux ne les ont pas signalées à l’institution. Sans imposer ces remontées, quel diagnostic est-il possible ?

Dans un sondage de l’Ifop pour la revue Ecran de veille, « les enseignants face à l’expression du fait religieux à l’école et aux atteintes à la laïcité », ce qui domine, c’est leur autocensure face à la pression religieuse des élèves, de leurs parents. Ils sont les trois quarts à estimer que le ministère de l’Education nationale n’a pas tiré les enseignements de l’assassinat de Samuel Paty, et pas du tout 34%. 27% des enseignants ont déjà observé le port de vêtements religieux traditionnels larges dans leurs établissements de types abayas et qamis. Le refus de donner la main à quelqu’un, élèves qui prient dans l’enceinte de l’établissement, refus d’entrer dans un lieu de culte lors de sorties scolaires, refus de participer aux cours d’éducation physique et sportive, sont pointés. A peine la moitié des enseignants ayant constaté qu’un élève portait une tenue religieuse dans l’enceinte de l’établissement l’a signalé. On voit un angle mort sur la réalité de la situation qui existe. Il faudrait avoir une juste appréciation de celle-ci pour pouvoir agir, au lieu de se réfugier derrière des chiffres officiels d’atteintes à la laïcité dans l’école non-représentatifs.

Lorsque l’on considère comme normal que les accompagnateurs de sorties scolaires qui encadrent comme parents, des groupes d’enfants en se substituant au rôle des agents publics, ne soient pas soumis au principe de laïcité, ce qui est pourtant la règle en général partout ailleurs dans les services publics, le bât blesse. Comment se faire comprendre lorsqu’ensuite on crie au loup en raison de la multiplication des abayas dans l’école, vêtement religieux porté par défaut de l’interdiction d’un voile, tout en étant encouragé sur les réseaux sociaux pour cela par des islamistes ?

On explique aussi qu’à l’Université il n’y aurait pas de problème avec la laïcité, où on a introduit des référents « laïcité » censés y jouer un rôle de vigie, dans le prolongement de la loi contre le séparatisme. La presse a récemment rapporté que le président de l’université Paris 13 avait été amené, dans le contexte d’une alerte laïcité concernant une enseignante voilée et des troubles liés à des prières dans les couloirs, à rappeler les exigences de la laïcité comme principe à l’Université.

Mais force est de constater qu’en réalité, là aussi, un manque de moyens pour alerter sur des situations qui mettent en cause la laïcité se fait criant, car toutes les universités n’ont pas mis en place un lien sécurisé et juridiquement bordé, pour faire ce type d’alerte. S’il n’y a pas de moyens de signaler, on passe au travers de l’essentiel, on crée des réticences aussi à signaler, démarche qui n’est pas aisée si elle n’est pas facilitée. Il devrait y avoir un formulaire en ligne « atteinte à la laïcité » pour l’Université, comme celui réservé à tous les personnels de l’Éducation nationale, facile d’usage. L’autonomie des universités ne devrait pas être un argument ici pour s’y opposer, car les mêmes règles en la matière s’y appliquent. Ces alertes étant ensuite retransmises à telle ou telle université concernée. On voit bien encore là, qu’il manque un cadre général, efficient, de défense et de promotion de la laïcité, telle qu’elle tient sa place dans nos institutions.

Mesure phare, selon la loi, les associations ou fondations, qui demandent une subvention publique, doivent s’engager à respecter le caractère laïque et les principes de la République (égalité femme-homme, dignité humaine, fraternité...) dans un "contrat d’engagement républicain". On a en mémoire cette rencontre houleuse, le 22 octobre 2020, à laquelle a participé Sarah El Haïry, la secrétaire d’Etat à la jeunesse, organisée par la Fédération des centres sociaux et socioculturels de France (FCSF), à Poitiers. D’un côté, 130 jeunes issus de quartiers venus d’une quarantaine de centres sociaux, revendiquant des cours sur les religions à l’école ou la possibilité de porter des signes religieux à partir du lycée, de l’autre, la secrétaire d’Etat, tentant tant bien que mal, de défendre la laïcité. On sait qu’en période de ramadan certains centres sociaux ouvrent le soir à cette occasion en rompant avec le principe de laïcité qu’ils sont censés respecter, comme ce fut le cas en 2018 à Bergerac en Dordogne. Ce qui avait valu une suspension des subventions de la CAF, mais ensuite une annulation de cette décision après une mission de médiation de la préfète. Où est la cohérence du rôle de l’Etat ici concernant le respect de ce que l’on dit vouloir défendre bec et ongles par ailleurs ?

Sur quoi les efforts du gouvernement doivent-ils se concentrer ?

Bien sûr, il faut poursuivre dans cette voie qui est celle d’être passé dans le triangle séparatisme-radicalisation-terrorisme, de se concentrer surtout sur le terrorisme à s’attaquer à la racine du mal, l’islamisme, entre autres, à travers un certain nombre de leviers que la loi contre le séparatisme a mis en place. Mais cela ne saurait être l’arbre qui cache la forêt. Selon un sondage Ifop de septembre 2020, 74 % des Français musulmans de moins de 25 ans affirment mettre l’islam avant la République, alors qu’ils sont 25 % parmi les 35 ans et plus. Par ailleurs, 45 % des Français musulmans de moins de 25 ans pensent que «  l’islam est incompatible avec les valeurs de la société française  », alors que 24 % des plus de 35 ans partagent cette opinion. Un autre sondage Ifop pour Le Point montre que la fréquentation de la mosquée le vendredi pour les 18-24 ans a quasi doublé en dix ans : de 23 % en 2011 à 40 % en 2019.

Il faudrait sortir de la naïveté, en pensant que seule l’islam radical est à la racine du problème, on le voit bien à travers ces repères. Si on doit parler de « réveil républicain », il faut élargir le champ en s’attaquant à cette vision religieuse qui traverse pour une part aussi l’islam ordinaire, qui porte au-dessus de la République la foi, qui est le point de départ de ce séparatisme que l’on dit combattre. Il faut oser mettre tout sur la table, et regarder la réalité en face. Lorsque à propos du retrait du voile dans les espaces où il est proscrit, le recteur de la Grande mosquée de Paris invite les femmes musulmanes à accepter de le retirer parce que cela est possible en s’appuyant sur un argument religieux que par nécessité, cela est toléré, on n’invite pas à épouser les principes républicains, seulement à accepter sous la contrainte de s’y soumettre. Ce qui peut aussi générer l’idée dans la tête de certains de s’attaquer à ces contraintes.

Ce qu’il faut, c’est être sans ambiguïté dans les rapports avec l’islam de France, en ne faisant aucun compromis sur l’enjeu de faire respecter la loi mais aussi d’exiger un message clair des autorités religieuses de l’islam en France, sur la République. Ce qui doit se traduire pour ceux qui sont aux responsabilités, d’être beaucoup plus dans l’action avec tous les moyens disponibles, sur le fondement d’un système d’alerte efficient concernant les attaques, entravent à la laïcité, afin de pouvoir développer une réaction plus globale vis-à-vis de ce phénomène et le combattre dans son ensemble, idéologiquement et matériellement."



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