Revue de presse

"Richard Malka : « Non, Madame Belloubet, injurier l’islam n’est pas une atteinte à la liberté de conscience ! » (lefigaro.fr/vox , 29 jan. 20)

Richard Malka, avocat. 29 janvier 2020

[Les articles de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

"La Garde des Sceaux a déclaré ce mercredi matin sur Europe 1 que « l’insulte à la religion » est « une atteinte à la liberté de conscience ». Richard Malka, l’avocat de Mila, rappelle que ces propos sont juridiquement faux.

FIGAROVOX. - « L’insulte à la religion, c’est évidemment une atteinte à la liberté de conscience, c’est grave » a déclaré le 29 janvier Nicole Belloubet, garde des Sceaux, sur Europe 1 à propos de Mila, une adolescente menacée de mort après avoir tenu des propos injurieux sur l’islam. Devant le tollé, Belloubet a regretté, plus tard dans la journée, une « expression maladroite » et jugé inacceptables les menaces dont cette adolescente est victime. Qu’en pensez-vous ?

Richard MALKA. - Les propos de Nicole Belloubet mercredi matin sont tout simplement gravissimes ! Ils participent à la mise en danger de Mila, qui a vu sa scolarité et sa vie sociale brisées après le harcèlement et les menaces dont elle a fait l’objet. Nicole Belloubet a fait montre à la radio d’une culture juridique fantaisiste, ce qui est extrêmement inquiétant, mais surtout elle donne ainsi raison aux milliers d’anonymes qui depuis plusieurs jours adressent lâchement des menaces à Mila en lui promettant de l’égorger, de la découper ou de la brûler !

On aimerait qu’elle lise davantage les fiches que lui préparent ses conseillers, et pas la propagande de la Ligue islamique mondiale qui milite partout en Europe pour l’interdiction du blasphème. Car c’est la terminologie exacte de cette organisation prosélyte, qui a plusieurs fois déposé des demandes en ce sens auprès de l’ONU : empêcher les injures envers l’islam au nom de la liberté de conscience. Nicole Belloubet a énoncé la définition même du blasphème telle que promue par la Ligue islamique mondiale ou l’Organisation de coopération islamique. Pris à la lettre, ses mots marqueraient le passage d’une société laïque et républicaine à une théocratie : si l’on ne peut pas offenser une religion, alors la respecter devient obligatoire. Le Code pénal du Pakistan l’énonce dans son article 295-C : « Toute injure ou tout propos abîmant une représentation de Dieu est un blasphème ».

Ce que dit la ministre de la Justice est donc parfaitement inepte, et heureusement toute la jurisprudence française en la matière dément ses propos. En 2007, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi de l’Agrif à la suite de la publication par Libération d’un dessin représentant le Christ nu avec un préservatif sur le sexe. Le juge n’a pas reconnu l’existence d’une injure envers un groupe de personne en raison de leur religion. Idem lors du procès des caricatures de Mahomet publiées par le journal Charlie Hebdo. Rappelons que le journal n’a pas été condamné, « en dépit du caractère choquant, voire blessant, de cette caricature pour la sensibilité des musulmans » pour reprendre les mots mêmes de la 17e chambre du tribunal de grande instance de Paris. Et ainsi de suite. Jamais un seul juge français n’a reconnu que des propos, même vulgaires, même injurieux, envers une religion ou des symboles religieux pouvaient constituer une « atteinte à la liberté de conscience ». Jamais ! Et que Nicole Belloubet l’affirme au micro d’une émission de radio est irresponsable. Je la mets au défi de trouver une quelconque décision de justice qui corrobore ses propos !

La « liberté de conscience » est l’un des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République, et elle garantit notamment la liberté de religion. Pourquoi ce terme est-il inapproprié en l’espèce ?

Mais tout simplement parce que Mila n’a empêché personne de croire en l’islam ! La liberté de conscience, c’est de croire dans ce que l’on veut. On y fait entrave en privant quelqu’un de cette liberté, en empêchant de se rendre dans une église, une synagogue ou une mosquée. Pas en injuriant sa religion.

C’est au contraire la liberté de conscience de Mila qui est ici en jeu, car elle a le droit de penser ce qu’elle veut de l’islam, et de le dire, même sur les réseaux sociaux. C’est ça le droit français : le fondement de la liberté de conscience n’est pas d’interdire la critique ou même l’injure, mais de protéger la liberté d’expression. Ces deux libertés n’ont rien d’incompatibles, au contraire elles participent l’une de l’autre. On peut tout aussi bien adhérer à une religion que la rejeter. Et prétendre le contraire, lorsqu’on est ministre de la Justice, c’est comme un ministre de l’Économie qui ne saurait pas compter.

Cette erreur est-elle selon vous symptomatique d’une méconnaissance grandissante des principes de la laïcité en France ?

Bien sûr que la laïcité est de moins en moins bien connue et comprise. Ses termes juridiques échappent à beaucoup de nos concitoyens. On peut le déplorer, mais c’est hors sujet ici : on parle tout de même de la garde des Sceaux ! Elle n’a pas le droit, elle, de se tromper à ce sujet. Même si c’est une confusion, elle est trop grave.

Ou alors, allons au bout de la logique : faut-il interdire aussi le Mahomet de Voltaire ? Lautréamont qui a représenté Jésus ivre ? Nietzsche qui affirme que Dieu est mort ? Ce serait anéantir le patient édifice des libertés que les siècles passés ont construit.

Encore une fois, il faut rappeler les mots qu’a employés le juge français lors du procès de Charlie : la liberté d’expression vaut aussi pour les paroles « qui heurtent, choquent ou inquiètent, ainsi que l’exigent les principes de pluralisme et de tolérance qui s’imposent particulièrement à une époque caractérisée par la coexistence de nombreuses croyances et confessions au sein d’une même nation ». Cette mention est en réalité inspirée de la jurisprudence qui vaut à la Cour européenne des droits de l’homme depuis 1976 : si l’on s’interdit de critiquer une religion, on ne peut plus vivre ensemble."

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