Revue de presse

"Ramadan : le double langage de Plenel" (E. Lévy, Causeur, av. 16)

Elisabeth Lévy est journaliste, directrice de la rédaction de "Causeur". 16 mai 2016

"Je ne sais pas si c’est grave, mais pour une fois, je suis d’accord avec Edwy Plenel. À quelques – colossales – réserves près, j’aurais pu signer le texte intitulé « Une question de principe », qu’il a publié le 30 mars sur Mediapart, pour défendre le droit de Tariq Ramadan de s’exprimer publiquement. « Sans le pluralisme des opinions, la démocratie n’est que de façade », écrit Plenel. Bien dit, camarade ! Bien sûr, on aimerait qu’il applique cette belle tolérance à tous ceux qui ne pensent pas comme lui, dénoncés comme réacs les très bons jours et comme pétainistes le plus souvent, ce qui est une façon singulière d’ouvrir le débat.

Là où on s’étrangle, c’est quand mon ombrageux et vertueux confrère, spécialiste de la traque des éléments déviants, proclame son refus de rester indifférent « face à des excommunications intellectuelles, d’esprit aussi bien maccarthyste (à droite) que stalinien (à gauche) ». Je ne vois pas bien la différence entre les deux, mais lui, quand il excommunie, il ajoute souvent une touche de lyrisme révolutionnaire ou d’application robespierriste. Ainsi, quand il écoute Alain Finkielkraut à la radio, voilà ce qu’il entend : « Une seule langue, fermée à toutes les autres, langue de rejet et d’exclusion, langue d’une violence inouïe sous son apparente retenue […]. La langue bienséante des discriminations (où a-t-il pêché que les discriminations étaient bienséantes quand il y a des lois pour les combattre ?) […] langue de l’ignorance […], langue du préjugé. » Face à Tariq Ramadan, Plenel écrit qu’il faut débattre, ce qui veut dire qu’il approuve. Face à Finkielkraut, Plenel pense qu’il doit combattre, ce qui signifie qu’il dénonce. « Comment faire reculer les peurs et les haines si l’on refuse de connaître l’autre, au point de vouloir l’interdire de parole ? », interroge-t-il. Lui qui a tant de mal à laisser qui que ce soit terminer une phrase (quoique avec Ramadan il y arrive) a raison de poser la question.

Reste que, dans le camp laïque, où je compte un nombre notable d’amis, on appliquerait volontiers à Frère Tariq, comme l’appellent affectueusement les uns et ironiquement les autres, le traitement que Plenel réserve à Finkielkraut ou à Zemmour : lecture calomnieuse, commentaire injurieux. Ramadan, c’est l’épouvantail rêvé. Le type qu’on aime détester, le nom qui réconcilie contre lui et dont la détestation vaut brevet de laïcité. Demander l’interdiction de Ramadan dans sa ville, comme le font des élus de droite et de gauche, c’est résister. La tribune de Fatiha Boudjahlat intitulée « Ramadan contre ma mère » [1], a fait un malheur sur Causeur, pas seulement parce qu’elle montrait excellemment comment le coucou islamiste fait son nid dans la République, mais aussi un peu parce que pas mal de gens communient dans la haine de Ramadan. Pour faire bonne mesure, il convient d’ajouter une pincée d’antilepénisme et on est paré sur tous les fronts. Dans le genre, Juppé est parfait.

On peut (certains pensent qu’on doit) détester les idées de Tariq Ramadan. Pas, comme le prétend Plenel, parce qu’il est musulman, mais parce qu’il pense que cette identité doit primer les autres – et accessoirement parce qu’il s’inspire de prédicateurs pas franchement casher sur le plan de l’antisémitisme. Il est partisan, comme beaucoup d’autres, pas tous musulmans d’ailleurs, d’accommodements qu’on est en droit de trouver déraisonnables, mais qu’on a le droit de défendre.

Le courant qu’incarne Ramadan existe dans la société française. Tant qu’il n’appelle pas à la sédition et à la violence, Ramadan a donc le droit de s’exprimer publiquement et ce n’est certainement pas aux maires, et encore moins aux journalistes, de décider le contraire. Il en va de même pour Houria Bouteldja, représentante d’une nuance néo-indigéniste à l’intérieur du même courant, dont paraît ces jours-ci le réjouissant Les Blancs, les Juifs et nous – imaginons le tollé qu’aurait déclenché à juste titre un livre intitulé Les Noirs, les musulmans et nous. Au passage, le « nous » de Bouteldja (qui désigne une réalité, un « eux » qui est « nous ») ne semble pas beaucoup gêner Edwy Plenel.

Il faut saluer le courage de Caroline Fourest dans son combat contre les islamistes qui lui vouent en retour une haine inextinguible. Il n’y en a pas moins, dans sa dénonciation récurrente du double langage de Ramadan, une sorte de complotisme à l’envers. Selon elle, Ramadan dirait sous le manteau et en arabe ce qu’il n’ose pas dire publiquement. D’abord, personne ne tient exactement le même langage devant des publics différents. Surtout, si Tariq Ramadan exerce dans nos banlieues, une influence que l’on peut trouver problématique, ce n’est certainement pas à travers des vidéos clandestines et en arabe.

Il y a en France un parti de l’islam. Tariq Ramadan en fait partie. Nous sommes nombreux à penser qu’il faut le combattre. Ce n’est ni par la censure ni par l’invocation rituelle des valeurs républicaines que l’on gagnera cette bataille, mais en se montrant plus malins, plus marrants et plus déterminés que les dévots qui nous défient."

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