Revue de presse

"Que reste-t-il de la laïcité ?" (M. Sorel, lefigaro.fr/vox , 9 déc. 15)

Malika Sorel-Sutter, ancien membre du Haut Conseil à l’intégration, auteur de "Décomposition française" (Fayard). 9 décembre 2015

"Malika Sorel, auteur de Décomposition française, regrette que depuis 1989 et l’affaire du foulard de Creil, l’État sacrifie la laïcité au profit des accommodements."

"On n’a jamais tant parlé de laïcité que depuis qu’elle s’enfuit à grands pas, de même que l’on n’a jamais tant parlé de vivre-ensemble que depuis que ce dernier est malmené, se traduisant par un fort désir d’évitement. Ces deux volets ne sont d’ailleurs pas sans rapport, loin s’en faut. Ils sont même étroitement liés car, au fil du temps, la laïcité est devenue pour une majorité de Français un “plébiscite de tous les jours”, pour reprendre l’expression associée au sentiment d’appartenance à la nation telle que pensée et posée par Ernest Renan. Une nation fondée, si l’on y regarde de près, sur la culture, et non sur la génétique comme tel a pu être le cas pour d’autres nations, y compris en Europe.

La laïcité apparaît de plus en plus comme un élément central de l’identité du peuple français. [...]

La main de la France a toujours su rester ouverte et tendue pour accueillir en son sein tous ceux qui acceptaient de se soumettre aux conditions essentielles énoncées par Ernest Renan, au nombre desquelles on compte la volonté de continuer à faire valoir l’héritage qu’on a reçu indivis ; et assurément, la laïcité en est partie intégrante. Ceux qui résument la laïcité à la loi de séparation des Églises et de l’État de 1905 oublient l’essentiel, qui est resté gravé dans l’inconscient collectif des Français : trois décennies de guerre civile qui les ont opposés entre eux et ont abouti, le 30 avril 1598, à la signature de L’Édit de Nantes par Henri IV, qui l’évoquera comme « établissement d’une bonne paix et tranquille repos ». Que de larmes et de sang versés pour que le peuple français puisse vivre un jour son idéal de liberté, d’égalité et de fraternité ! [...]

Les Français d’aujourd’hui, comme le reste du monde, observent en temps réel les drames provoqués par l’absence de séparation entre les Églises et l’État, et surtout par l’absence de prééminence du politique sur le religieux, qui est une dimension fondamentale de la laïcité pourtant le plus souvent passée sous silence. Dans une société laïque, c’est en effet au politique que revient la responsabilité de gérer la cité, et il est reconnu aux hommes le droit d’édicter les lois qui vont régir cette cité dans laquelle ils sont amenés à évoluer ensemble.

Face à la difficulté rencontrée par une partie de l’immigration en provenance de sociétés dans lesquelles la religion est un principe organisateur de la cité, la classe politique, oubliant les leçons de l’histoire, a préféré verser dans les accommodements et sacrifier la laïcité. De nombreux exemples pourraient être cités, en voici quelques-uns.

En 1989, lors de l’affaire de Creil, dite du foulard, Lionel Jospin, alors ministre de l’Éducation nationale, aurait dû rappeler que la laïcité existait bien avant l’arrivée des flux migratoires extra-européens, qu’elle n’avait pas été édictée à leur intention mais par l’histoire du peuple français. Il aurait dû s’en tenir à réaffirmer le principe de laïcité, ce qui aurait calmé le jeu. Mais il se tourna vers le Conseil d’État, qui mit le feu aux poudres avec la décision que nous connaissons. S’en suivirent quinze années de débats houleux, dont beaucoup d’enfants de l’immigration ne comprirent ni les termes ni le sens vu que la laïcité ne faisait pas partie de leur héritage culturel. Cela fit naître frustration, peine et aussi ressentiment, sentiments qui eurent tôt fait d’être exploités par les uns et les autres. Ces quinze ans ne furent pas seulement des années perdues ; c’est au cours de cette période que s’est joué en grande part le sort de l’intégration culturelle et du vivre-ensemble.

François Baroin, qui deviendra président de l’Association des Maires de France, explique sans aucun complexe au micro de Jean-Jacques Bourdin comment les élus, sur le terrain, peuvent contourner la laïcité pour financer les lieux de culte : « On peut proposer des baux amphythéotiques. On peut proposer des accompagnements de financement dans des associations culturelles. » Ce qu’un certain nombre d’élus ont effectivement fait depuis des années.

En janvier 2015, la ministre de l’Éducation nationale Najat Vallaud-Belkacem signe de sa main une lettre qu’elle adresse aux Recteurs et Rectrices dans laquelle elle leur demande de « favoriser les interventions », au sein des « Écoles et Établissements Locaux d’Enseignement », d’une femme voilée - donc arborant un signe religieux ostentatoire au regard de la loi de 2004 -, pour y assurer la « promotion des principes de laïcité, de citoyenneté et de paix » !

Mai 2015, Marine Le Pen se rend en Égypte et elle y multiplie, selon la presse, « les rencontres avec d’importantes figures religieuses locales ». Elle entame d’ailleurs son voyage par « un entretien au Caire avec l’imam Mohammed el-Tayeb, de la mosquée al-Azhar, principale autorité sunnite du pays ». En décembre 2014, Le Point révèlera les dessous d’une subvention de 90 000 euros accordée à l’Union des familles musulmanes des Bouches-du-Rhône, grâce à l’abstention du Front National lors du vote au conseil régional Provence-Alpes-Côte d’Azur (PACA). Très rares sont aujourd’hui les hommes et femmes politiques français capables de résister à la tentation du marketing politique. Tous les partis, sans exception aucune, se sont arrangés avec le principe de laïcité lorsqu’ils pensaient pouvoir y trouver intérêt.

Comment ne pas citer ici le sort qui a été fait à la crèche Baby Loup ? Après cinq années de procédure judiciaire, et bien qu’elle ait gagné le procès, la crèche a dû quitter le territoire de Chanteloup-les-Vignes où elle était implantée depuis plus de vingt ans, car la vie lui avait été rendue impossible. Elle s’est installée à Conflans-Sainte-Honorine et son financement, devenu de plus en plus précaire, fait chaque jour peser sur ses employés la menace d’une fermeture et de la fin d’un noble projet qui avait pour ambition de venir en aide aux parents travaillant à horaires décalés de pouvoir confier leurs enfants à toute heure du jour et de la nuit.

Au fil des ans, des rencontres et des réunions, j’ai pu observer à quel point il devenait difficile de défendre la laïcité en invoquant la défense des seuls Français et de la République. Pour défendre la laïcité en France, des collègues du Haut Conseil à l’Intégration se sentaient même de plus en plus obligés de s’appuyer sur le fait que la laïcité était également réclamée de l’autre côté de la Méditerranée ; que des Tunisiens, des Algériens, des Marocains, des Égyptiens évoquaient eux aussi la laïcité comme un moyen de protéger leurs sociétés et leur garantir un espace de liberté.

Par la faute des hommes qui ont oublié les enseignements de l’Histoire, la France se retrouve de nouveau prise au piège. Lorsque la digue cédera, qu’il soit sécularisé ou pas, qu’il soit français ou non, chacun saisira alors pleinement le rôle protecteur qui était celui de la laïcité."

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