Revue de presse

"Quand les imams et les prédicateurs appellent à voter Jean-Luc Mélenchon" (lepoint.fr , 1er mai 22)

2 mai 2022

[Les éléments de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

"Lors du premier tour, le leader de LFI a fait l’unanimité dans certains quartiers, notamment grâce à l’appui de militants décoloniaux et islamistes.

Par Clément Pétreault

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Il y a des changements électoraux qui ne passent pas inaperçus. Lors du premier tour de l’élection présidentielle, dimanche 10 avril 2022, Jean-Luc Mélenchon est arrivé en tête sur toute la région Île-de-France. Dans la plupart des communes populaires à forte concentration de populations immigrées, les scores du candidat Insoumis atteignent des records : 65 % à Villetaneuse, 61 % à Trappes et Gennevilliers, 60 % à Bobigny et Aubervilliers, 56 % à Creil et Grigny, 54 % à Mantes-la-Jolie… Certains analystes ont pointé une communautarisation du vote Mélenchon, mais la réalité est un peu plus complexe que cela. De nombreux réseaux religieux se sont mobilisés en faveur du candidat d’extrême gauche – et de lui seul, c’est vrai, mais la motivation religieuse ne saurait expliquer à elle seule ces succès électoraux.

La progression spectaculaire du score de Jean-Luc Mélenchon en Île-de-France est le fruit d’un travail de fond entamé par La France insoumise, qui a théorisé dès 2017 l’idée que les 600 000 voix qui avaient manqué à Jean-Luc Mélenchon pour accéder au second tour se trouvaient dans les quartiers populaires. Au lendemain du premier tour de 2022, les comptes sont sans appel : les 600 000 voix manquantes ont été trouvées, notamment dans les quartiers populaires. Même si elles n’ont pas permis au candidat Insoumis d’accéder au second tour, ce résultat démontre que les quartiers populaires peuvent désormais peser dans une élection – 3,5 % des suffrages exprimés, estiment les adversaires politiques de La France insoumise – dès lors qu’ils se mobilisent derrière un seul candidat.

« Sur le plan des 600 000 voix, nous avons atteint notre objectif », assure le député Insoumis de Seine-Saint-Denis, Éric Coquerel, à qui l’on doit la stratégie de conquête de ces nouvelles voix. Cet ancien trotskiste – un temps tenté par le chevènementisme – a organisé en novembre 2018 les Rencontres nationales des quartiers populaires à Épinay-sur-Seine, incitant La France insoumise à opérer quelques aménagements sur la ligne politique. Ont notamment été intégrées au logiciel Insoumis des notions non consensuelles à gauche comme « l’islamophobie », « le racisme systémique » ou « les violences policières ».

Ainsi, Jean-Luc Mélenchon aura réussi l’exploit de rassembler le vote des centres-villes et des banlieues… sans parvenir à séduire le périurbain et les campagnes, qui se tiennent à l’écart de ce candidat jugé trop éloigné de leurs préoccupations. « Ce n’est que le prolongement de la note Terra Nova de 2011, qui préconisait d’abandonner les ouvriers et employés pour rassembler un nouvel électorat urbain sous une bannière progressiste : diplômés, jeunes, minorités des quartiers populaires et femmes », rappelle Bernard Rougier, directeur du Centre des études arabes et orientales. Que les classes populaires votent pour une gauche aux accents révolutionnaires, rien de vraiment nouveau sous le soleil, « sauf que jusqu’alors, cette mobilisation s’opérait plutôt sur des thématiques économiques articulées autour d’un projet républicain, plutôt que sur des intentions communautaires et religieuses », rappelle ce spécialiste en sociologie politique.

Pour le député Coquerel, il ne faut voir aucune trahison de la gauche à sa propre histoire dans cette nouvelle expression politique. « Dans les années 1930, beaucoup d’ouvriers étaient d’origine italienne, polonaise ou espagnole. Le Parti communiste d’alors défendait à la fois leurs revendications sociales tout en les défendant contre le racisme, qui était tourné vers eux à l’époque », explique-t-il. Pendant cette campagne, Jean-Luc Mélenchon aura été l’un des rares candidats à débattre en face-à-face avec Éric Zemmour. Si certains y ont vu la marque d’une fascination mutuelle pour les extrêmes – créolisation contre grand remplacement, force est de constater que le candidat Insoumis aura été l’un des rares à faire de la défense des musulmans et de l’abrogation de la loi séparatisme un axe fort de son programme à destination des quartiers populaires.

Pour consolider ce nouvel électorat, Éric Coquerel espère convaincre certains nouveaux électeurs de rentrer dans le mouvement et d’y prendre des responsabilités, à la manière de ce que faisait le Parti communiste dans les années 1950. « Ce n’est pas une vision clientéliste », se défend le parlementaire, qui « n’envisage pas de construire un mouvement de gauche sans les classes populaires urbaines, qui ont pour particularité d’être discriminées par le système. Ce n’est qu’à partir de ce socle que l’on pourra gagner les classes moyennes urbaines et périurbaines », estime l’élu.

La forte progression électorale de Jean-Luc Mélenchon doit-elle être comprise comme la fusion entre une gauche culturelle, une gauche radicale et une gauche communautariste ? « Non. Il s’agit de la fusion entre une gauche sociale, une gauche de rupture et une gauche populaire », corrige le cadre Insoumis. La participation à la manifestation contre l’islamophobie aux côtés de militants proches des Frères musulmans en 2019 aurait-elle aidé à la mise en œuvre de cette stratégie de conquête d’un nouveau public ? « L’islamophobie est réelle et ce n’est pas parce qu’il y a des gens qui ne plaisent pas dans une manifestation que je vais m’interdire d’y aller. Cela se vérifie aussi lorsque je manifeste contre l’antisémitisme ou en faveur des Kurdes. Ce que je constate, c’est que 98 % des gens qui étaient dans cette manifestation étaient de braves gens qui avaient peur, c’est tout », explique le député, satisfait du score de Jean-Luc Mélenchon dans sa circonscription lors du premier tour : 54 %.

Un sondage Ifop pour La Croix publié le 10 avril sur le vote des électorats confessionnels montre que 69 % des musulmans interrogés déclarent avoir voté Jean-Luc Mélenchon, contre 13 % des catholiques pratiquants. Si l’appartenance religieuse ou communautaire ne permettait pas jusqu’à maintenant de présumer du vote, les choses semblent avoir changé avec cette élection. Cela se vérifie aussi chez les électeurs juifs, qui, dans certains quartiers populaires, notamment, ont largement alimenté le vote en faveur d’Éric Zemmour, communautarisme contre communautarisme. « Nous assistons à la cristallisation très nette d’un vote communautaire. Désormais, le vote musulman existe et pèse. Il n’est pas certain que l’on puisse revenir en arrière. Il faut s’attendre dans les prochaines années à voir fleurir des promesses de plus en plus clientélistes de la part de politiques qui voudront séduire cet électorat », estime un haut fonctionnaire, bon connaisseur de la carte électorale.

Il existe d’autres indicateurs qui montrent une forme de communautarisation du vote Mélenchon dans certains quartiers, notamment le score récolté par le candidat Insoumis dans les bureaux qui avaient précédemment accordé de bons scores à la liste dite « communautariste » de l’UDMF (Union des musulmans de France, voir plus bas) lors des élections européennes. Ainsi, à Trappes, Jean-Luc Mélenchon récolte 69 % des voix dans un bureau où l’UDMF approchait les 7 % en 2019 (contre 0,13 % à l’échelle nationale).

« S’il y a eu des consignes de vote en faveur de Jean-Luc Mélenchon dans les quartiers populaires, elles ont d’abord circulé via des militants antiracistes décoloniaux ou des réseaux religieux », explique Damien Saverot, chercheur à l’ENS, spécialiste des mobilisations politiques en lien avec l’immigration postcoloniale. « Rien ne permet d’établir que ces ralliements se seraient monnayés contre des promesses. Jean-Luc Mélenchon a manifesté contre l’islamophobie en 2019 et monté des listes avec des militants décoloniaux aux municipales, il a donné les gages nécessaires à une communauté militante exigeante », explique l’universitaire, qui relève que « Jean-Luc Mélenchon est perçu comme un candidat s’opposant au bloc centriste-libéral sans donner le sentiment de ne se consacrer qu’à des débats postmodernes comme le genre ou les droits des LGBT », à l’image des écologistes tendance Rousseau, par exemple.

Les militants décoloniaux ont effectivement apporté leur soutien à Jean-Luc Mélenchon à la présidentielle et semblent prêts à poursuivre cet effort pour les législatives. C’est ce qui ressort d’une intervention d’Houria Bouteldja, fondatrice des Indigènes de la République, dans une vidéo publiée au soir du second tour par le média décolonial Paroles d’honneur. L’activiste identitaire y explique qu’il faut mener le combat « de manière que Mélenchon ait la place la plus grande aux législatives », tout en rappelant que le parti de Jean-Luc Mélenchon est encore marqué par des tendances comme « le laïcardisme et la blanchité […]. À aucun moment il [Mélenchon] ne peut croire que l’immigration postcoloniale lui est acquise, elle ne revient pas comme ça gratuitement », explique la militante, qui analyse les limites d’une telle stratégie et s’interroge sur les perspectives d’un élargissement électoral de Mélenchon : « Y a-t-il une lutte à mener pour transformer les petits Blancs qui votent à l’extrême droite ? Ce sont nos “alter ego de l’autre côté”, on est divisés par la race, mais ils existent. Mélenchon a su parler aux affects indigènes. Quand il a dit : “Mohammed est un beau prénom”, ça m’a touchée, il a parlé à notre dignité et à nos affects. Il n’a pas su faire ça avec les petits Blancs. »

D’après divers témoignages que nous avons pu recueillir, de nombreux appels à voter en faveur de Jean-Luc Mélenchon ont effectivement été relayés dans les quartiers populaires, que ce soit par l’intermédiaire de boucles WhatsApp ou de messages éphémères sur Snapchat. L’un de ces messages, relayé de nombreuses fois, se présente comme émanant d’un « groupe d’acteurs de la communauté musulmane à l’échelle locale et à l’échelle nationale ». Bien qu’anonyme, « aucun élément ne permet d’affirmer que ce serait un faux », explique un cadre du ministère de l’Intérieur.

Ce communiqué évoque à grand renfort de tournures religieuses « le contexte très difficile que vit la communauté musulmane en France, qui subit une oppression islamophobe injuste ». Il se poursuit de la sorte : « Nous, imams et prédicateurs, appelons les citoyens français de confession musulmane à voter dès le premier tour pour le moins pire des candidats à cette élection présidentielle : Jean-Luc Mélenchon. Il est le seul à avoir abordé la question de la liberté de musulmans à la défense de leurs droits. » Le communiqué précise : « Cet appel à voter pour lui se fait conformément aux principes islamiques du moindre mal et tout en rappelant les divergences idéologiques que nous avons avec ce candidat. » Largement diffusé et relayé par les réseaux d’activistes communautaires, ce message émane « d’imams et d’acteurs musulmans que je connais et qui ont peur des représailles de Macron ou Le Pen en cas de leur élection », explique sur Facebook Abdelaziz Chaambi, ancien militant d’extrême gauche et fondateur de la Coordination contre le racisme et l’islamophobie (CRI), association dissoute par le ministère de l’Intérieur le 20 octobre 2021.

D’autres réseaux, considérés comme proches des Frères musulmans, se sont aussi largement mobilisés pour faire voter en faveur de Jean-Luc Mélenchon. Ainsi le très frériste Collectif contre l’islamophobie en Europe (CCIE) – résurgence belge du Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF) après sa dissolution a publié le 5 avril le résultat d’une enquête interne menée auprès de ses adhérents, affirmant que « 81,1 % des personnes ayant répondu, déclarent vouloir voter au premier tour pour Jean-Luc Mélenchon ». Le lendemain, le CCIE publiait des « grilles de synthèse des positionnements de certains candidats en matière d’islamophobie » dans lesquelles était évalué le degré de libéralité des candidats sur quatre points d’achoppement : loi séparatisme, tenue vestimentaire, opposition à la fermeture des lieux de culte et « version fidèle » de la laïcité. Sans surprise, seul Jean-Luc Mélenchon remplissait ces quatre critères dans une compétition qui semblait taillée pour lui. Le président des Insoumis n’a pas, à notre connaissance, protesté devant ce soutien de la part de cette organisation dont le caractère frériste ne fait pourtant aucun doute.

Parmi les acteurs politiques communautaristes s’étant mobilisés pour permettre à Jean-Luc Mélenchon d’obtenir un score élevé dans les quartiers, on peut aussi relever la mobilisation de Nagib Azergui, fondateur et président de l’UDMF (Union des musulmans de France). Il récuse l’appellation de parti communautariste, « cet adjectif n’est utilisé que pour nous discréditer, nous ne sommes pas un parti confessionnel », explique-t-il. Pour ce responsable politique qui prépare les prochaines législatives, Jean-Luc Mélenchon n’est pas d’un choix de passion : « Lors de ces élections, les musulmans ont été servis en pâture électorale à la droite et à l’extrême droite. Les organisations musulmanes n’ont eu d’autre choix que de se mobiliser pour appeler à voter Mélenchon. Mais personne n’a oublié son passé laïcard, même s’il a récemment changé de posture », jure-t-il, animé d’un espoir, celui de peser : « Cette mobilisation, bien organisée, montre que les quartiers populaires votent lorsque l’urgence est au rendez-vous. Nous sommes nombreux à nous souvenir que le petit pourcentage qui avait permis à François Hollande de l’emporter sur Nicolas Sarkozy pouvait très bien être celui de l’électorat musulman. Hélas le quinquennat de Hollande fut l’un des plus terribles pour la France, mais aussi pour la communauté musulmane avec la nomination de Manuel Valls. »

Même chose estime-t-il en 2017 avec le candidat Macron en campagne, « qui se disait alors pour une “laïcité respectueuse”. Il avait rencontré tous les influenceurs de la communauté musulmane pour obtenir leur soutien, il était venu rompre le jeûne avec le CFCM… Tout le monde a envoyé des messages pour dire “c’est sans doute le moins pire”. Sauf que son quinquennat a été une tragédie pour les musulmans : dissolution d’associations, fermeture de mosquées pour des raisons qui n’ont rien à voir avec la radicalisation… », conclut-il, promettant de présenter deux cents candidats aux prochaines législatives.

Ce tour d’horizon ne serait pas complet sans relever le soutien à Jean-Luc Mélenchon de toute une partie de l’ancienne gauche communiste. De manière inattendue, le candidat Insoumis a pu compter sur les « coordinateurs•rices » du Mouvement jeunes communistes de France (MJCF) du Val-de-Marne, qui ont publié juste avant le premier tour un communiqué répondant en tout point aux standards décoloniaux et dans lequel ils dénonçaient « la bourgeoisie blanche sentant son hégémonie lui échapper, prête aux pires mutations pour garder ses privilèges » et dénonçant « les obsessions identitaires dans les médias dominants […]. Leur violence ne s’arrête pas seulement à leurs discours, elle se manifeste par des agressions ou des appels au meurtre, en témoigne la hausse des violences islamophobes en France ces dernières années ».

Au terme de ce long communiqué, les jeunes communistes s’en prennent… à Fabien Roussel, qui mène alors à leurs yeux « une campagne nombriliste et conciliante avec la réaction ». Pour ces militants communistes qui considèrent la laïcité défendue par Fabien Roussel comme un racisme déguisé, la conclusion est sans appel : « Nous ne soutenons pas un candidat qui mobilise les éléments de langage du camp réactionnaire et qui alimente des poncifs opposés à la gauche et aux mouvements sociaux [et] appelons à voter pour Jean-Luc Mélenchon. » Les jeunes communistes du Val-de-Marne ont manifestement été entendus : dans l’un des derniers bastions communistes d’Île-de-France, Fabien Roussel n’a obtenu que 2,54 %… contre 32,67 % à Mélenchon. Même dans la ceinture rouge, l’ancienne gauche républicaine ne fait plus recette."

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