Remise des Prix le 21 octobre 2013

Prix de la laïcité 2013. Discours de Philippe Foussier, Président d’honneur du Comité Laïcité République

22 octobre 2013

Philippe Foussier

Ces derniers temps, lorsque nous voyons se dérouler des débats lors desquels la laïcité est invoquée, nous observons, de la part de la presse notamment, une tendance croissante qui consiste à désigner les laïques comme des porteurs d’une opinion comme une autre. Et le plus souvent, avouons-le, c’était encore le cas il y a quelques jours à propos de Baby Loup – avis de la CNCDH, avis de l’Observatoire de la laïcité, audience de la Cour d’appel de Paris – on oppose un camp laïque – qui serait intolérant – à ceux qui veulent vivre leur foi en totale liberté.

Prenons garde : de plus en plus, les laïques sont présentés comme étant les représentants d’un courant, d’une opinion, qui serait en concurrence avec une ou plusieurs religions. Et dans le meilleur des cas, certains, les renvoyant dos à dos, s’accordent à dire que la vérité se trouve quelque part entre les deux tendances, ce qui ne pourra que flatter ceux qui depuis des années essaient de nous vendre une laïcité frelatée : "positive" à droite ; "ouverte", "aimable" ou "plurielle" à gauche.

Face à ce mécanisme médiatique et politique, il nous faut réagir pour l’affirmer nettement : la laïcité n’est pas une tendance, la laïcité n’est pas un courant, la laïcité n’est pas une opinion ! Non, la laïcité, c’est la liberté d’en avoir une ! Elle n’est pas en concurrence avec d’autres opinions. Elle est la clef de voûte de l’édifice qui nous permet de vivre ensemble. Et si nous continuons à vivre en République, c’est parce que nous ne sommes – précisément – pas une démocratie qui additionnerait les communautés dans une mosaïque plus ou moins harmonieuse, des communautés qui rassembleraient des personnes qui se définissent d’abord par leurs différences. Non, nous sommes en République parce que nous partageons cet attachement commun à la liberté, à la fraternité et à l’égalité, celle des droits égaux pour tous. Ceci n’est pas abstrait.

Il a fallu les conquérir, ces droits égaux pour tous. Contre une société d’ordres qui précisément triait les individus dès la naissance. Une société qui ne réservait juridiquement pas le même destin à tel ou tel selon qu’il était né avec ou sans particule, qui ne reconnaissait pas les mêmes droits aux Noirs, aux protestants ou aux juifs. L’égalité des droits, la République l’a édifiée, l’a garantie, l’a consolidée.

C’est ce bien commun qui est aujourd’hui comme hier en jeu, à défendre. Car comme souvent dans notre pays, les courants de l’intolérance, ceux qui ont toujours désigné la République à la vindicte, ceux qui haïssent le parlementarisme, ceux qui prônent l’inégalité des races, ceux qui exaltent le choc des civilisations, ceux qui constatent – pour s’en réjouir – qu’il y a des faibles et des forts et qu’il méritent des traitements différenciés, ceux qui sont toujours contre le progrès social et les conquêtes du monde salarié et qui ont pour amis les nostalgiques du franquisme, du rexisme, du Reich, des Colonels, de Mussolini ou de Salazar, ceux-là, ils sont comme toujours en embuscade. Avec une petite différence, c’est que dans la grande confusion des valeurs qui règne à droite et à gauche – et plus souvent à gauche il faut le reconnaître –, eh bien ces courants, dans un invraisemblable hold-up idéologique, se revendiquent aujourd’hui de la République, de la Nation et de la laïcité. Il faut dénoncer cette imposture dont profitent les intégristes religieux pour assimiler les laïques à des intolérants.

L’extrême droite et l’intégrisme religieux sont les deux faces d’un même problème, un fléau qui se nourrit lui-même en s’alimentant dans une course folle à l’intolérance. Allons-nous laisser ces courants définir ce que sera notre avenir ? Allons- nous laisser ces idéologies continuer à gagner des parts de marché ?

Les responsables politiques du champ républicain ont entre leurs mains une lourde responsabilité. Nous ne pouvons que former le vœu qu’ils en soient conscients et à la hauteur. Parfois, nous avons des doutes. Ainsi, dire que la France n’a pas de problème avec la laïcité [1], c’est nier une réalité que même les plus mal informés de nos concitoyens constatent chaque jour. Et pourquoi donc consacrer un Observatoire à un problème qui n’en serait pas un, à une question qui ne se pose pas ?

Mais au-delà de toutes ces considérations qui justifient notre vigilance et notre mobilisation, qui nous interdisent d’aspirer à un quelconque repos militant, il y a finalement une force qui doit nous porter, sans cesse. Nous savons que selon les périodes historiques et les latitudes, le degré de liberté pour ceux qui y aspirent n’est pas le même.

Nous avons, nous, encore la possibilité de nous réunir ainsi, ce que ne peuvent pas faire les laïques en Tunisie ou en Egypte. Alors oui, c’est pour tous ceux-là que nous avons le devoir de nous battre. Nous avons en effet l’obligation morale de les protéger de ceux qui veulent imposer l’ordre clérical, là bas comme ici. Oui, notre devoir est de nous battre auprès de ceux qui veulent vivre dans un monde de liberté, d’égalité et de fraternité et non de céder et de finasser devant les arguties de ceux qui veulent se soumettre et surtout soumettre les autres à l’ordre clérical, ces femmes qui ne peuvent plus sortir non voilées dans certains quartiers parce qu’elles se font injurier ou malmener. C’est aujourd’hui le jour anniversaire du premier vote des femmes en France, le 21 octobre 1945. Elles sortaient alors d’un statut de mineures politiques. Et on voit aujourd’hui les forces cléricales à l’œuvre pour les y cantonner à nouveau !

C’est elles que nous devons protéger, pas les propagandistes de la cause du fondamentalisme, n’en déplaise à M. Askolovitch. Nous sommes résolument du côté des Lumières. C’est Djemila Benhabib, c’est Nadia El Fani, c’est Malala, c’est Taslima Nasreen, c’est Boualem Sansal, c’est Salman Rushdie, c’est Fazil Say, c’est Habib Kazarghli et tant d’autres pour qui nous devons nous battre parce qu’ils refusent de vivre sous l’ordre clérical. Pour eux et pour tous les autres, la laïcité demeure plus que jamais un combat nécessaire, un principe intemporel et universel, et une aspiration inaltérable.


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