Revue de presse

"Pap Ndiaye, républicain de souche" (lemonde.fr , 2 jan. 09)

21 mai 2022

[Les éléments de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

"L’historien a découvert la réalité de la question noire aux Etats-Unis pendant ses études. Membre du Conseil représentatif des associations noires, il veut nourrir le débat sur une discrimination positive à la française."

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"[...] Les Noirs... En Afrique, l’auteur a pu aborder le thème sans périphrase. En France, en revanche, les circonlocutions, les justifications sont encore de rigueur. "Quand on parle de la couleur de la peau, on vous sort le missel républicain", constate l’universitaire. Pap Ndiaye a été accusé d’hérésie par ces républicains purs et durs. En face, jugeant ses positions trop consensuelles, les communautaristes noirs l’ont voué aux gémonies, traité de "Nègre blanc". Des proches de Dieudonné l’ont menacé physiquement, car il fut l’un des premiers à dénoncer la dérive vers l’extrême droite de l’humoriste. Pap Ndiaye s’est fait à l’idée d’encaisser les coups sur ses deux flancs.

Longtemps, l’homme ne s’est pas posé de questions sur son identité. Né à Antony (Hauts-de-Seine), il était un Français de souche. "Je n’ai pas eu à m’intégrer : j’étais d’ici." Rien dans son parcours de jeunesse, dans l’existence délicieusement banale d’un rejeton de la classe moyenne ne commandait de s’interroger sur cette évidence. "Notre vie était très années 1970, sans rien de particulier", constate Marie, sa soeur, romancière et auteure de théâtre. La cadette décrit un univers conforme à l’idéal républicain, expurgé des différences, a fortiori du racisme : "Nous n’avons pas été frottés à ces questions."

Les deux enfants sont élevés en banlieue parisienne par leur mère, Simone, fille de paysans du Loiret, devenue professeure de sciences naturelles. Ils passent les étés dans la ferme des grands-parents, où Pap suit avec passion le Tour de France. "Notre culture était absolument française, souligne Marie. Nous étions dans un milieu blanc. Il n’y avait pas d’autres visages noirs."

L’entourage n’attache que peu d’importance à cette nuance de couleur. Elle leur vient de leur père, Tidiane Ndiaye, un brillant étudiant sénégalais, fils d’un cheminot de la ligne Dakar-Bamako. Il s’est éclipsé très vite, leur laissant juste un nom, une pigmentation et une énigme sur eux-mêmes que Pap et Marie exploreront chacun à leur manière. Par défaut, Simone se chargera d’inculquer quelques notions de culture africaine à ses enfants.

[...] Il se voit proposer en 1991 une bourse américaine afin de poursuivre ses études à l’université de Virginie, puis à celle de Pennsylvanie. "Je ne l’ai su que très récemment, mais mon dossier avait été sélectionné en vertu de l’affirmative action." Ce programme, traduit dans le débat politique français par "discrimination positive" ou "égalité des chances", a été instauré dans les années 1960 outre-Atlantique pour aider les membres les plus méritants des minorités. "Je suis donc un produit de l’école républicaine française et de l’affirmative action américaine", conclut Pap Ndiaye.

"C’est aux Etats-Unis que j’ai découvert le monde noir", poursuit le Français. Le pays est alors en plein débat sur la place des Afro-Américains, un débat vindicatif, parfois violent. A Los Angeles, en 1992, des émeutes ont fait 38 morts. L’étudiant s’intéresse aux études afro-américaines, pille la bibliothèque du campus. En 1995, il assiste à la Million Man March, immense manifestation des Noirs organisée à Washington. L’étudiant est à la fois fasciné par cette mobilisation et effrayé par certains discours extrémistes. L’antisémitisme de Louis Farrakhan, chef de Nation of Islam, le sidère comme le sidérera dix ans plus tard l’émergence d’un discours identique en France.

En 1998, Pap Ndiaye se voit proposer un poste à Paris, à l’EHESS. Pendant quelques années, l’enseignant tente de se couler dans le moule strictement républicain, dans le cadre moralement réglementé des sciences sociales qui "peinent à prendre en compte d’autres variables que les classes". En même temps, le citoyen observe ceux qui le regardent, et perçoit qu’ils voient une différence. Il découvre les discriminations dont il a été exempté mais que subissent d’autres personnes autour de lui. A l’évidence, les Noirs sont visibles, et parfois stigmatisés, comme êtres, et invisibles comme population. Faut-il s’unir ou, au contraire, refuser "cette espèce d’assignation" qu’est la couleur de la peau ? L’intellectuel hésite encore.

Une rencontre lui enlève ses dernières inhibitions. En 2003, Patrick Lozès, un ancien pharmacien, qui s’était engagé en politique sous l’étiquette UDF, lui propose de créer une association, Cap-div (comme diversité), qui entend traiter de la question "noire", même si, par une dernière pudeur, le mot ne figure pas dans l’intitulé. Les émeutes de 2005 dans les banlieues confirment l’urgence d’une réflexion. En novembre de la même année, foin des contorsions de vocabulaire, est lancé le Conseil représentatif des associations noires (CRAN) dont Pap Ndiaye devient "un compagnon de route". Quitte à s’attirer la vindicte de ceux qui refusent ce classement par la couleur et dénoncent, avec l’écrivain d’origine antillaise Claude Ribbe, "une imposture raciale".

"Pap souffrait d’apparaître exotique et de ne pas l’être, justifie Jeanne Lazarus, sa compagne. Il est noir et il se sent mieux si cela est dit, même si ce n’est qu’une partie de lui-même." Aujourd’hui, l’intellectuel veut nourrir le débat sur une discrimination positive à la française. Proche des socialistes, l’universitaire regrette que sa famille politique rechigne à se saisir du dossier. "Il est vital que la gauche incorpore cette question dans son programme de rénovation politique. Une course de vitesse est engagée tant l’amertume et le ressentiment des Noirs sont grands. Si rien n’est fait, le risque est un repli identitaire." Foi de républicain."

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