Revue de presse

"Origine de l’homme, sexualité, vaccins… Les enseignants face aux contestations des élèves" (L’Express, 22 déc. 22)

29 décembre 2022

[Les éléments de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

"Du collège à l’université, certains professeurs sont confrontés à la défiance de certains élèves vis-à-vis de la science et du savoir.

Par Amandine Hirou et Alix L’Hospital

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Lire "Origine de l’homme, sexualité, vaccins… Les enseignants face aux contestations des élèves".

"’Ça ne s’est pas passé comme ça’ : voilà une phrase qui revient très souvent dans mes cours." Dans son livre, Ces petits renoncements qui tuent [1], le professeur de lettres Laurent Valogne (un nom d’emprunt), évoque sa lutte quotidienne contre la progression de l’obscurantisme parmi ses élèves. Un jour, à l’évocation de l’idée que la Terre tourne autour du Soleil, et non l’inverse, une jeune fille l’interrompt, arguant que sa théorie n’est pas prouvée. "Si Kenza, c’est prouvé, comme deux et deux font quatre. C’est scientifique", lui répond-il. La semaine suivante, l’adolescente revient avec le Coran, dans lequel un passage explique que la Terre, au centre de tout, est en concurrence avec le Soleil. "C’est très beau, très poétique, mais ce n’est pas une parole scientifique", lui rétorque le professeur, avant de s’engager dans une démonstration étayée par des preuves et des arguments irréfutables. Sans réussir à convaincre son élève. Cette dernière sortira furieuse de la classe, laissant derrière elle l’enseignant dépité.

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Laurent Valogne est loin d’être le seul à se frotter à ce type de réticences. Poids de la religion, propagation de fake news, défiance vis-à-vis de l’institution scolaire, des autorités médicales ou des médias… Pour des raisons parfois très diverses, collégiens et lycéens sont de plus en plus nombreux à mettre en cause certains contenus inscrits dans les programmes scolaires. C’est ce que confirme une récente étude Ifop, réalisée du 25 octobre au 7 novembre, pour la revue mensuelle Ecran de veille, auprès de 1 009 enseignants du premier et second degrés. Dans le public, 60 % des professeurs disent avoir été confrontés à des contestations de leur enseignement pour des motifs religieux, au moins une fois au cours de leur carrière, dont la moitié dans les quinze derniers mois. Pour 29 % (hausse de 5 points par rapport à 2020) lors de cours de sciences de la vie et de la Terre, et pour 32 % (hausse de 8 points) lors d’enseignements d’histoire-géographie.

"Dans le but de lutter contre les théories créationnistes, l’étude de la période de la préhistoire a été réintroduite dans le programme de sixième en 2016", explique François De Sauza, cofondateur du réseau Vigilance collèges lycées qui lutte contre les atteintes à la laïcité et à la liberté pédagogique. L’étude du chapitre intitulé "Les débuts de l’humanité", revenant sur l’apparition et l’évolution de l’espèce humaine, peut parfois susciter quelques crispations chez certains élèves rétorquant que "C’est Dieu qui a créé l’homme".

Lui-même professeur d’histoire, et membre des équipes Valeurs de la République de son académie, François De Sauza a récemment assisté à une scène inquiétante, à l’occasion d’un atelier laïcité orchestré par un organisme s’occupant de l’accueil de migrants. "Ce soir-là, l’un des responsables d’une association cultuelle qui gère une mosquée de Rennes prend la parole et pointe du doigt le fait que l’école française enseignerait de fausses théories sur l’évolution, raconte-t-il. Et cet homme de conclure que nous sommes tous des descendants d’Adam et Eve et que, pour les musulmans, la première des sciences est la croyance." Un discours qui contribue dangereusement à affaiblir la parole enseignante, qui plus est lorsqu’il est tenu par une personnalité faisant autorité.

Climatosceptiques, antivax...

Bon nombre d’enseignants disent surtout être démunis face à l’influence grandissante des réseaux sociaux. [...]

Depuis le début de la crise sanitaire, la question de l’éventuelle dangerosité des vaccins charrie son lot de fausses informations sur Internet… et, par ricochet, dans les salles de classe. "Il s’agit d’un thème récurrent. Bien avant le Covid-19, la crise du virus H1N1 avait déjà suscité la polémique à partir de 2009. Tout comme l’instauration des 11 vaccins obligatoires en 2018", se souvient David Boudeau. Les cours d’éducation à la sexualité font également souvent l’objet de vives contestations. "Beaucoup de jeunes filles me soutiennent, avec force conviction, que la pilule rend assurément stérile. Quand je leur demande d’où elles tirent cette information, elles me rétorquent que c’est arrivé à une tante, à une cousine ou à une soeur", raconte ainsi Stéphanie, professeure de prévention, santé, environnement dans un lycée professionnel de Seine-Saint-Denis. Au moment d’aborder le chapitre sur les infections sexuellement transmissibles, cette dernière se heurte souvent au désintérêt des élèves. "Pour beaucoup, seul ’le sida’ fait partie des IST possibles. Pour eux, la syphilis ou la chlamydia n’en sont pas", explique-t-elle. Quant au VIH, l’un de ses élèves avançait dernièrement, que seuls les homosexuels et les femmes étaient potentiellement à risque. [...]

Darwin de plus en plus contesté dans les universités

On aurait cru les amphithéâtres épargnés de telles dérives en raison du vœu originel de l’université : former les étudiants à la pensée critique et au débat, grâce à l’apport de savoirs scientifiques et culturels. Mais les convictions religieuses et politiques ne s’évanouissent pas une fois quittée l’enceinte du lycée. Le professeur de biologie de l’évolution Hervé Le Guyader a pu en faire l’expérience à l’université Pierre-et-Marie-Curie. "Mes parents pensent que ce que vous racontez sur l’évolution est faux et que la vie est issue de la Création", lui avait expliqué à la fin d’un cours l’un de ses élèves en première année de maîtrise, visiblement tiraillé entre sa religion (l’islam) et les savoirs scientifiques dispensés en cours. Surpris par cette remarque, le professeur avait alors entamé une discussion sous l’œil intéressé de son élève, afin d’établir une franche distinction entre science et théologie. L’année suivante, un cours facultatif à destination d’élèves de deuxième année de maîtrise abordait "l’évolution et le développement". Au premier rang, Hervé Le Guyader reconnaît la paire d’yeux qui, un an plus tôt, ne cachait pas ses tourments intérieurs. "Nous nous sommes fait un signe entendu du regard, et c’était parti !", confie le professeur aujourd’hui retraité. La scène n’emprunte rien à la fiction, mais elle a plus de vingt ans…

Aujourd’hui, un tel dialogue ferait rêver plus d’un professeur d’université. Depuis les salles de classe de l’université Paris-Est Créteil où il enseigne depuis vingt-cinq ans, le professeur en sciences de gestion Joan Le Goff a observé un tournant. Au sein des cours de culture générale dispensés à partir de la troisième année de licence, figurent des rappels concernant les grandes connaissances scientifiques, dont la théorie de l’évolution. "Jusqu’aux années 2010, cela ne suscitait aucun émoi de la part des élèves", explique l’enseignant. Mais ces dernières années ont été, à sa grande surprise, ponctuées de refus d’étudiants "agressifs" et pleins d’"assurance", de réaliser des exposés concernant la thèse de Charles Darwin ou même d’assister au cours l’abordant - se justifiant par un "C’est votre version". Selon Joan Le Goff, le caractère très minoritaire de ces contestations, plutôt le fait d’étudiants musulmans "rigoristes" n’enlève rien à leur gravité : "Nous sommes passés de jamais à un peu et puis un peu plus souvent." Les années passant, certains sujets ne sont donc plus abordés, au détriment de l’apprentissage de la majorité des élèves.

Mais les savoirs scientifiques sont loin de se heurter exclusivement aux croyances religieuses. Pensée décoloniale, défense des minorités, justice sociale… Selon Xavier-Laurent Salvador, maître de conférences et cofondateur de l’Observatoire du décolonialisme, "il faut distinguer le wokisme, qui est une affaire d’adultes, et la façon dont un ensemble de thèses, telles la théorie critique de la race, les questions relatives à la transidentité, sont digérées par les étudiants. Résultat : ils en arrivent à considérer que leur sensibilité doit primer sur tout le reste, que ce qu’ils sont est un savoir en soi et qu’à ce titre, ils peuvent être “pour” ou “contre” certaines thèses scientifiques qu’ils considèrent comme offensantes". [...]

L’abandon de la biologie par les sciences sociales

Certes, de tels cas de figure restent plus répandus dans les pays anglo-saxons. Mais les quelques-uns recensés en France constituent, selon Xavier-Laurent Salvador, la partie immergée de l’iceberg : "Les étudiants n’ont pas toujours besoin de contester leurs cours, la remise en question de la science étant déjà incluse dans les maquettes pédagogiques de nos diplômes". Et Gilles Denis, à l’origine du réseau Vigilance universités qui regroupe 250 membres dans une soixantaine d’établissements, d’ajouter que "les étudiants les plus intolérants sont aujourd’hui écoutés par les acteurs censés garantir le débat, tels les présidents d’université. Or, en cédant par “pas-de-vaguisme”, ils participent à légitimer ces petits censeurs".

En juin, L’Express révélait qu’un autre cours ancré dans la théorie de l’évolution, que Leonardo Orlando devait enseigner à Sciences Po au printemps 2022 avec la journaliste scientifique et docteure en philosophie Peggy Sastre, avait été annulé sans plus d’explications. Il n’en fallait pas davantage pour que d’anciens élèves, fervents critiques du professeur après avoir assisté au premier cours dispensé à la Sorbonne, y voient là la validation de leurs impressions et le fassent savoir sur Twitter. "L’abandon de la biologie par les sciences sociales est tel, résume Leonardo Orlando, que dans un cas, les cours cherchant à la prendre en compte n’ont tout simplement pas lieu, et dans l’autre les étudiants ayant la chance d’y être confrontés prennent le professeur pour un fou"."

[1Coécrit avec la journaliste Carine Azzopardi, éditions Plon (2022).



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