Revue de presse

"Normale Sup, la tradition et les « imposteurs »" (M. Maeso, lepoint.fr , 4 mai 18)

Marylin Maeso, normalienne et agrégée de philosophie, auteure de "Les Conspirateurs du silence" (L’Observatoire). 4 mai 2018

"Normalienne et agrégée de philosophie, Marylin Maeso dénonce les actes de vandalisme que vient de subir l’école et les insultes faites aux morts.

J’ai été élève à l’École normale supérieure de 2009 à 2013. J’y ai fait mes premières expériences politiques, j’ai assisté à ma première AG au sous-sol du 29, rue d’Ulm, et j’ai pris part, en 2011, à un mouvement de grève et de mobilisation en faveur des travailleurs précaires de l’établissement. Pendant de longs mois, des élèves ont accompagné la grève des membres du personnel d’entretien et de cuisine, des bibliothécaires et des jardiniers en apportant un soutien moral et financier aux grévistes. Mes camarades avaient pris des risques en participant à l’occupation des salons de la direction durant trois semaines, avant d’être délogés à l’aube par la police (certains d’entre eux se destinaient à passer l’agrégation, un concours pour lequel les candidats doivent fournir un extrait de casier judiciaire). J’en garde un souvenir ému, celui d’un juste combat tissé d’obstination et de solidarité, couronné par l’obtention de CDI pour tous les travailleurs impliqués.

Nous étions loin de nous accorder sur tout. Les divergences politiques et idéologiques étaient légion. À l’évidence, nous ne nous serions pas entendus au sujet de l’occupation comme moyen de lutte : certains seraient, aujourd’hui, du côté de ceux qui justifient les méthodes de blocage radicales visant à empêcher la tenue des cours et des examens là où d’autres défendraient farouchement la liberté pour chacun de choisir son degré et ses modes d’implication (ou de non-implication) dans le mouvement de protestation. Mais ce qui nous rassemblait, c’était, je crois, la conscience aiguë d’incarner, en quelque sorte, au modeste niveau qui était le nôtre, la continuité d’une longue tradition d’engagement social et politique portée avant nous par de grands intellectuels militants, dont beaucoup avaient laissé une marque indélébile sur leur école. Discuter d’aliénation et d’émancipation en salle Weil ou en salle Nizan, débattre sur l’Europe et l’antifascisme en salle Aron, évoquer la résistance au nazisme en salle Cavaillès, pour nous, cela voulait dire quelque chose. Il y avait là comme le silencieux rappel d’une dette et d’un legs à honorer.

Un esprit de révolte détourné par des imposteurs

Qu’en ce mois de mai 2018, certains, ivres, peut-être, de l’héritage mal digéré de Mai 68, aient pu profiter du blocage et de l’occupation de l’ENS pour taguer le monument aux morts et répandre des inscriptions dont l’affligeante inanité jure éminemment avec la vocation de ce temple dédié au savoir, en dit long sur ce que l’ignorance et la bêtise peuvent engendrer. Lire « École Nazionale Sozialiste » sur des murs qui ont accueilli Pierre Brossolette, Marc Bloch et Jean Cavaillès, tous torturés et/ou fusillés par les nazis ; apercevoir « Mort à la démocratie… » en un lieu où sont passés des résistants qui sont morts pour elle, nous renseigne sur ce qu’il advient de l’esprit de révolte quand il est détourné par des imposteurs chez qui le slogan tient lieu de pensée et la gesticulation d’action. « Qu’est-ce qu’un homme révolté ? » demandait Camus en 1951. « Un homme qui dit non. Mais s’il refuse, il ne renonce pas : c’est aussi un homme qui dit oui, dès son premier mouvement. » Le militant dont les aspirations révolutionnaires s’enracinent dans un authentique esprit de révolte ne peut séparer son opposition d’un attachement viscéral à quelque chose qu’il estime digne d’être défendu. Son refus d’un ordre qu’il juge injuste est simultanément adhésion pleine et entière à une cause et à des valeurs qu’il entend faire respecter. Nul respect, cependant, chez celui qui croit faire honneur aux vivants en crachant sur les morts. Nulle révolte chez l’agitateur voué à une subversion autotélique et qui s’imagine plus libre et plus malin que les autres parce qu’il n’admet aucune limite. À ceux qui croient que la colère générée par la violence sociale autorise tout, y compris le mépris envers les sacrifices des héros du passé, j’aimerais rappeler la mise en garde de Jacques Delors : « Les peuples qui n’ont pas de mémoire n’ont pas d’avenir. »

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