Revue de presse

"Non, "Charlie Hebdo" n’est pas raciste !" (Charb et F. Nicolino, Le Monde, 21 nov. 13)

Charb, directeur de publication "Charlie Hebdo", et Fabrice Nicolino, journaliste. 21 novembre 2013

"Charlie, notre Charlie Hebdo a mal aux tripes et au coeur. Car voilà qu’une incroyable calomnie circule dans des cercles de plus en plus larges, qui nous est rapportée chaque jour. Charlie Hebdo serait devenu une feuille raciste.

Un jour, un chauffeur de taxi arabe exige de l’un des collaborateurs du journal, reconnu par lui, qu’il descende aussitôt, au motif de dessins moquant la religion musulmane. Un autre jour, un interlocuteur nous refuse un entretien pour la raison qu’il "ne parle pas à un journal de gros racistes". Et, quand le crapuleux Minute s’en prend de la manière que l’on sait à Christiane Taubira, il se trouve des imbéciles, jusque dans les télévisions, pour accoler des couvertures de notre journal à celles de ce torchon raciste.

PROCÈS EN SORCELLERIE

Mais où est passée la conscience morale, si toutes les vilenies deviennent à ce point ordinaires ? Nous avons presque honte de rappeler que l’antiracisme et la passion de l’égalité entre tous les humains sont et resteront le pacte fondateur de Charlie Hebdo.

Bien entendu, le procès en sorcellerie que tant d’esprits faibles nous font ne peut être mené qu’en secret, loin de la lumière, en l’absence de toute défense. Car la lecture de notre journal est la preuve définitive de ce que nous affirmons ici. Ceux qui osent dire le contraire ne nous lisent pas, et se contentent de se délecter d’une abominable rumeur.

Pour les autres, qui respectent encore des valeurs élémentaires, voici en quelques phrases notre histoire. Créé après l’interdiction d’Hara Kiri hebdo par le ridicule pouvoir gaulliste de 1970, Charlie Hebdo est fils de Mai 68, de la liberté, de l’insolence, et de personnalités aussi clairement situées que Cavanna, Cabu, Wolinski, Reiser, Gébé, Delfeil de Ton…

Qui oserait leur faire un procès rétrospectif ? Le Charlie Hebdo des années 1970 aura aidé à former l’esprit critique d’une génération. En se moquant certes des pouvoirs et des puissants. En riant, et parfois à gorge déployée, des malheurs du monde, mais toujours, toujours, toujours en défendant la personne humaine et les valeurs universelles qui lui sont associées.

L’un des drames des calomniateurs, c’est que Cavanna, Cabu, Wolinski sont toujours là, fidèles au poste chaque semaine, sans avoir jamais renié une once de leur passé. Contrairement à tant d’autres, qui ont eu le temps, en quarante années, de changer plusieurs fois de costume social, l’équipe de Charlie continue sur la même route.

Nous rions, nous critiquons, nous rêvons encore des mêmes choses. Ce n’est pas trahir un secret : l’équipe actuelle se partage entre tenants de la gauche, de l’extrême gauche, de l’anarchie et de l’écologie. Tous ne votent pas, mais tous ont sablé le champagne quand Nicolas Sarkozy a été battu en mai 2012.

NOUS AVONS CHOISI NOTRE CAMP

Aucun d’entre nous ne songerait à défendre la droite, que nous combattrons jusqu’au bout. Quant aux fascismes, quant au fascisme, nous considérons évidemment cette engeance comme un ennemi définitif, qui ne s’est d’ailleurs jamais privé de nous traîner devant les tribunaux.

Ouvrez donc ce journal ! Jean-Yves Camus y suit avec la rigueur qu’on lui connaît l’activité des extrêmes droites. Laurent Léger dévoile les turpitudes des réseaux si étendus de la corruption. Bernard Maris décortique l’économie et le capitalisme comme aucun autre. Patrick Pelloux raconte avec douceur les horreurs des urgences hospitalières. Gérard Biard ferraille contre le sexisme et la pub. Zineb el Rhazoui critique – oui, et de belle manière – les insupportables manifestations de certain islamisme. Fabrice Nicolino regarde le monde en écologiste radical, mais humaniste. Sigolène Vinson détaille le quotidien absurde de tant de tribunaux. Luce Lapin défend avec une opiniâtreté sans borne les animaux, ces grands absents du débat. Antonio Fischetti raconte la science, les sciences avec drôlerie et impertinence. Philippe Lançon proclame chaque semaine la victoire de la littérature sur la télé. Et puis tous les autres ! Quant aux dessinateurs, qui ne connaît leur trait ?

De Charb à Riss, de Luz à Willem, de Riad Sattouf à Tignous, en passant par Honoré, Catherine et bien sûr Wolin et Cabu, ils font rire chaque semaine ceux qui n’ont pas renoncé à être libres.

Où seraient cachés les supposés racistes ? Nous n’avons pas peur d’avouer que nous sommes des militants antiracistes de toujours. Sans nécessairement avoir une carte, nous avons choisi dans ce domaine notre camp, et n’en changerons évidemment jamais. Si par extraordinaire – mais cela n’arrivera pas – un mot ou un dessin racistes venaient à être publiés dans notre hebdomadaire, nous le quitterions à l’instant, et avec fracas. Encore heureux !

Reste dans ces conditions à comprendre pourquoi. Pourquoi cette idée folle se répand-elle comme une maladie contagieuse ? Nous serions islamophobes, disent nos diffamateurs. Ce qui, dans la novlangue qui est la leur, signifie racisme. Où l’on voit combien la régression a gagné tant d’esprits.

NOUS CONTINUERONS, BIEN SÛR

Il y a quarante ans, conspuer, exécrer, conchier même les religions était un parcours obligé. Qui entendait critiquer la marche du monde ne pouvait manquer de mettre en cause les si grands pouvoirs des principaux clergés. Mais à suivre certains, il est vrai de plus en plus nombreux, il faudrait aujourd’hui se taire.

Passe encore que Charlie consacre tant de ses dessins de couverture aux papistes. Mais la religion musulmane, drapeau imposé à d’innombrables peuples de la planète, jusqu’en Indonésie, devrait, elle, être épargnée. Pourquoi diable ? Quel est le rapport, autre qu’idéologique, essentialiste au fond, entre le fait d’être arabe par exemple et l’appartenance à l’islam ?

Nous refusons de nous cacher derrière notre petit doigt, et nous continuerons, bien sûr. Même si c’est moins facile qu’en 1970, nous continuerons à rire des curés, des rabbins et des imams, que cela plaise ou non. Nous sommes minoritaires ? Peut-être, mais fiers de nos traditions en tout cas. Et que ceux qui prétendent et prétendront demain que Charlie est raciste aient au moins le courage de le dire à voix haute, et sous leur nom. Nous saurons quoi leur répondre."

"L’ensemble de la rédaction de « Charlie Hebdo » s’associe à cette tribune".

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