Note de lecture

N. Remadna : Mère Courage en banlieue

par Claude Ruche 22 février 2016

Nadia Remadna, Comment j’ai sauvé mes enfants, Calman-Levy, 255 p., 17 €.

Autant le dire tout de suite, lorsqu’une femme du peuple accède à la parole publique, le résultat est souvent extrêmement rafraichissant. L’Histoire et la littérature gardent le souvenir de l’épouse du maréchal Lefèbvre qui fut cantinière avant de devenir duchesse et d’intégrer la cour impériale. Son vocabulaire et ses manières populaires y firent sensation et elle était une des rares personnes à tenir tête à l’Empereur qui l’appréciait pour sa franchise et son franc-parler. Victorien Sardou la fit passer à la postérité sous le nom de "Madame Sans-Gêne".

Nadia Remadna est de cette trempe. C’est une femme de caractère, de celles que l’on ne peut pas endormir avec de belles phrases parce qu’elle a les yeux grand ouverts et le courage de regarder le monde tel qu’il est. N’ayant eu d’autre choix que celui de se battre, souvent seule contre tous, c’est en femme, en mère et en citoyenne qu’elle témoigne de ce qu’elle voit chaque jour dans son quartier. Le résultat est décapant, sans concession et tout rempli de cette verve populaire qui fit les beaux jours du cinéma français et la fortune de Michel Audiard.

C’est le récit d’une mère Courage qui n’a pas le temps de s’encombrer du politiquement correct mais qui sait tendre un miroir à ses contemporains. Le résultat est jubilatoire, même si les premières pages sont déstabilisantes, certainement à cause de cette sagesse populaire que nous avions oubliée et qui sait si bien mettre le doigt sur ce que nous ne voulons pas voir.

Pour Nadia, les réponses qui sont données, quelles soient politiques ou sociales, ne sont pas au niveau des problèmes rencontrés. C’est pourquoi elle a créé la Brigade des mères à Sevran dans le 93 où elle réside avec sa famille. Voyant la situation des habitants se dégrader chaque jour un peu plus, elles ont décidé de prendre les choses en main. Qu’il s’agisse d’un patron qui ne veut pas payer une voisine qui a travaillé pour lui, d’une baston entre des jeunes, de trafiquants de drogues ou de caïds qui n’ont peur de personne, ou d’une facture qui tombe mal, elle sont partout et osent tout car dans une société qui ne respecte plus rien, on respecte toujours sa mère et c’est sur ce pouvoir qu’elles ont fondé leurs actions.

Dans ce livre témoignage, rédigé avec Daniel Bernard, grand reporter à Marianne, Nadia Remadna raye trente ans de langue de bois et dénonce toutes les dérives d’une société qui ne croit plus en rien. Parce qu’elle est libre et qu’elle n’a rien à perdre, elle vide son sac. Les enseignants, les travailleurs sociaux, les politiques, les fonctionnaires, les jeunes, tout le monde en prend pour son grade. Stéphane Gatignon, le maire de Sevran, se fait rhabiller en un chapitre, digne de Ferdinand Bardamu. C’est pas que Nadia soit méchante, mais on sent qu’elle est exaspérée et surtout, qu’elle déteste les "imbéciles". Même traitement pour Clémentine Autain qui se fait descendre en flammes : "Cette meuf tu peux tout lui demander, en fait, sauf lui demander qu’elle t’écoute". Grâce à Clémentine, dit-elle, le gros macho arriéré a touché des subventions pour son association et "Clémentine, aujourd’hui, elle distribue des tracts à la sortie des mosquées". Sarkozy... blablabla. Hollande qui l’a reçu pour la Journée de la Femme, lui a promis de venir la voir à Sevran et elle l’attend de pied ferme.

La Brigade des mères c’est imposée parce que l’espoir a déserté la banlieue et Nadia et ses copines ont bien compris que le vent des discours politiques ne règle aucun problème du quotidien. C’est qu’à Sevran et dans tous les quartiers populaires, on a pas le temps de réfléchir au concept du "vivre ensemble" parce que l’on est sur la survie, sur la peur et sur l’épuisement. Mais ne comprendront vraiment que ceux qui ont vu leur mère pleurer, chaque fin de mois parce qu’il n’y avait plus rien à manger et plus d’argent.

Le livre de Nadia Remadna résonne comme le cri de désespoir de la banlieue qui, abandonnée de tous, ne peut compter que sur elle-même. C’est aussi le cri de toutes les femmes victimes de violences et de relégation sociale. Dans cette jungle urbaine, les mères qui craignaient que leurs enfants tombent dans la délinquance ont maintenant peur qu’ils deviennent terroristes.

Claude Ruche



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