Revue de presse

Burkini : "La loi de la peur est désormais plus forte que la peur des lois" (Riss, Charlie Hebdo, 31 août 16)

5 septembre 2016

"Le Conseil d’État a rendu sa décision concernant les arrêtés municipaux pris à l’encontre du port du burkini sur les plages. La gauche applaudit pendant que la droite proteste. Parce que la droite voit le burkini comme la manifestation d’un islam de plus en plus envahissant. Parce que la gauche pense que l’interdiction de porter ce vêtement est liberticide. Ce qui unit pourtant les deux camps, c’est que les deux ont tort.

Il est possible que l’origine de ce vêtement hideux soit une religion. Il est aussi possible que l’interdiction de le porter dans l’espace public soit une restriction à la liberté de s’habiller. Pourtant, la vérité est sous notre nez, mais personne ne la voit tant elle est énorme. Le burkini n’est rien d’autre que la manifestation du retour de l’ordre moral le plus rétrograde et le plus révoltant qui soit. Qu’importent les origines de ce vêtement pudibond. La gauche, d’habitude si prompte à se dresser contre toute forme de moralisme, est tétanisée par la dimension religieuse de ce pyjama de mer. La droite, d’habitude si prompte à défendre les bonnes mœurs, ne s’oppose pas au burkini pour son moralisme, mais parce qu’il est le symbole d’une religion qui défie selon elle l’identité de la France.

La gauche devrait combattre le burkini comme elle a combattu les adversaires réactionnaires du mariage pour tous. Car les catholiques qui défilaient contre cette réforme progressiste du mariage ont une vision des mœurs et de la famille aussi réactionnaire que les femmes qui se couvrent de la tête aux pieds pour se baigner. On ne peut pas, d’un côté, combattre l’ordre moral quand il est défendu par des catholiques réactionnaires et, de l’autre, ne pas le combattre quand il est défendu par des musulmans réactionnaires. La gauche n’a toujours pas compris que l’islam pouvait être aussi rétrograde que le catholicisme, et réciproquement. Les femmes qui portent le burkini et celles qui défilaient contre le mariage pour tous ont la même vision de leur place dans la société.

Si la gauche était encore la gauche, elle devrait tenir ce discours critique contre l’ordre moral diffusé par le burkini. Mais la gauche n’est plus qu’un cadavre qui sonne creux dès qu’un problème vient la percuter. Alors elle applaudit la décision du Conseil d’État, car elle pense qu’une décision de justice pourra effacer quarante années de ses propres lâchetés. Ce n’est pas le progressisme qui pousse la gauche à applaudir cette décision administrative, mais la peur. Peur de la religion, peur de déplaire à un électorat dont elle espère les voix, peur de tout ce qui est un peu trop compliqué pour elle.

La morale religieuse a toujours eu un problème avec le corps et la nudité. « Couvrez ce sein que je ne saurais voir », peut-on lire dans une célèbre pièce que beaucoup ont étudiée à l’école. Trois cent cinquante ans après, on rit toujours de Tartuffe, mais on ne s’est pas aperçu qu’aujourd’hui c’est lui qui impose sa morale hypocrite. Tartuffe a gagné. Molière a perdu. Merci le Conseil d’État. Que dit la gauche de cela ? Et que disent les artistes de cela ? Rien. Le néant intersidéral. Où sont les acteurs qui déploient leur talent sur scène pour ridiculiser l’hypocrisie du personnage de Molière ? Où sont les écrivains et les critiques, tous admiratifs de l’esprit incroyablement subversif de M. Jean-Baptiste Poquelin ? Ils sont invisibles, réfugiés dans l’obscurité des salles de théâtre pour éviter de s’exposer au soleil des plages où une pièce grotesque se joue avec des costumes d’un autre siècle.

La droite ne sera pas non plus d’un grand secours avec ses projets de loi qui ne régleront rien. Car l’ordre moral islamique se fiche pas mal des lois et des règlements. Sa tactique est celle du fait accompli. Pas de débat, pas de vote, pas de contestation. Nous n’avons pas le choix. À nous de nous habituer au voile, à la burqa et au burkini. La loi qui avait été votée contre le port de la burqa ne l’a pas fait disparaître. Les policiers ont trop peur de créer des émeutes, et les élus locaux ne veulent pas que leur municipalité fasse la « une » des journaux. Alors tout le monde se tait. Les décisions de justice ne sont prises en compte que lorsqu’elles sont favorables à l’ordre moral ou au fait religieux, sans aucun discernement, comme celle que vient de prendre le Conseil d’État. En revanche, quand la justice française décide que le délit de blasphème n’existe pas et qu’on peut caricaturer les religions, plus personne ne fait usage de ce droit.

Qui, à part les dessinateurs de Charlie Hebdo, a depuis osé dessiner le Prophète ? Les dessinateurs ont peur d’exercer un droit que la loi leur a pourtant donné, parce qu’ils ont peur de se faire tuer. À l’image de la loi sur la burqa, très peu mise en œuvre, le droit est complètement dépassé par ce nouvel ordre moral d’inspiration musulmane. La loi de la peur est désormais plus forte que la peur des lois."

Lire "Molière invalidé".


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