Revue de presse

"Mixité sociale à l’école : où est le problème ?" (Marie Duru-Bellat, alternatives-economiques.fr , 23 mai 23)

Marie Duru-Bellat, sociologue, professeure émérite à Sciences Po, rattachée à l’OSC et à l’Iredu. 23 mai 2023

[Les éléments de la Revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

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"[...] La question de la mixité sociale, à la différence d’enjeux plus univoques comme le niveau des élèves, met mal à l’aise. Elle révèle au grand jour une faille importante de notre école qui, se voulant « républicaine », entend au-delà des simples considérations d’efficacité et de rendement, former ensemble les jeunes générations, avec des objectifs de cohésion sociale et de civisme. Or dès l’école obligatoire, il y a, surtout dans les grandes villes, des écoles « chics » et des « écoles du peuple ».

Par exemple, à Paris, le collège le plus favorisé accueille… 0,3% d’enfants de milieu populaire. Autrement dit, ces collégiens passeront leur scolarité sans jamais croiser quelqu’un de socialement bien moins favorisé [1]. Qui peut défendre cette situation ?

Ce clivage social (qui dépend certes, pour moitié environ, de la ségrégation résidentielle) se retrouve entre secteurs d’enseignement, public et privé. Alors qu’il accueille environ 20 % des élèves du secondaire (35 % à Paris ou dans l’Ouest), le privé compte dans ses rangs environ 20 % de collégiens de milieu populaire, contre plus de 42 % dans le public. Le privé a la liberté de recruter ses enseignants et ses élèves, tout en étant financé à hauteur de 75 % par l’Etat. Une spécificité qui a des racines historiques profondes, mais qui paraît de plus en plus arbitraire.

Mais dira-t-on, si certains « préfèrent » le privé, après tout, pourquoi pas ? Le problème, c’est que ces conditions de travail composent un environnement qui permet en moyenne aux élèves de mieux réussir. On sait aujourd’hui que la réussite scolaire ne procède pas uniquement des caractéristiques personnelles des élèves, leur milieu social au premier chef. L’environnement scolaire est tout aussi décisif. Et une part significative de l’avantage dont disposent les élèves les plus favorisés s’explique par le fait qu’ils accèdent à des contextes plus propices aux apprentissages.

Indépendamment des conditions matérielles (dont l’impact, rarement évalué, semble secondaire), le profil des enseignants diffère en général selon les établissements : recherchant, et c’est compréhensible, des publics les moins difficiles possible, les plus anciens et les plus gradés d’entre eux évitent les établissements les plus populaires où vont du même coup se concentrer les débutants, ceux qui n’ont pas le choix et qui demanderont leur mutation dès qu’ils le peuvent ; or on sait que l’ancienneté dans la carrière et la stabilité des équipes sont des facteurs d’efficacité.

Tout aussi voire plus important, les élèves se forment entre eux, notamment par les normes qu’ils mettent en place et défendent : faire le travail demandé, suivre les consignes, trouver quelque intérêt aux contenus proposés, tout ceci varie beaucoup selon la composition sociale de la classe et va créer des climats plus ou moins favorables aux apprentissages.

Dans les classes où sont regroupés les élèves de milieu populaire et/ou les plus faibles, les enseignants vont par exemple passer un temps important à tenter de faire régner l’ordre, et seront amenés à considérer comme inaccessibles bien des points des programmes. Les ghettos d’élèves en difficulté les enferment, surtout si cela se combine avec une « offre scolaire » de qualité inégale.

Et c’est bien pour cette raison que la mixité scolaire est un enjeu : elle garantit que tous les élèves bénéficient des mêmes ressources pour apprendre. En l’état, la non mixité avantage les plus favorisés et désavantage ceux qui ont par ailleurs moins de moyens pour se faire entendre.

A l’heure où l’on évoque la « sécession des élites » (qui chercheraient à échapper aux règles générales pour se réfugier dans l’entre-soi), on peut craindre que dès l’enfance, les jeunes ne soient à l’aise qu’entre eux et nourrissent des stéréotypes à l’encontre de tout « étranger ».

D’un point de vue purement scolaire, les travaux qui évaluent les effets de la ségrégation sur la progression des élèves ne sont pas toujours consensuels, mais la plupart pointent le caractère délétère de la concentration des plus faibles dans les mêmes classes. Comme ces élèves sont ceux dont les apprentissages sont le plus sensibles aux conditions d’enseignement (depuis le climat des classes jusqu’aux caractéristiques des enseignants et leurs pratiques), c’est sans conteste pour eux que la question de la mixité est la plus importante. [...]

Il faudrait aussi tout faire par ailleurs pour réduire les inégalités scolaires réelles qui nourrissent ces travers. Pour ce faire, des travaux anciens (sur la pédagogie d’inspiration piagétienne par exemple, mais on peut penser aussi aux analyses de Philippe Meirieu) ont abondamment souligné que faire travailler ensemble des élèves forts et des élèves plus faibles est une voie efficace pour la progression de tous. Encore faudrait-il que les enseignants soient formés à « gérer l’hétérogénéité » dans leur classe, et les enquêtes internationales montrent que précisément sur ce point, les enseignants français se déclarent particulièrement mal armés. Plus de mixité peut donc, pour eux, constituer un problème.

Il n’empêche, la mixité sociale pose avant tout un problème aux parents qui ne voient plus l’école que comme le lieu où se détermine l’avenir de leur enfant : l’obsession de l’efficacité et le chacun pour soi fait passer au second plan les visées éducatives de la scolarité commune pour privilégier la compétition. Même si l’égalité des chances est le principe proclamé, les conditions quotidiennes de travail dans les établissements montrent que la concurrence est pour le moins faussée.

Et il importe d’énoncer au profit de qui : les questions scolaires sont insérées dans des rapports de force, et c’est bien pour cela qu’on aurait besoin d’une politique claire et résolue."

[1Tous les chiffres et les travaux cités sont référencés dans l’édition 2022 du manuel « Sociologie de l’école » (M.Duru-Bellat, G.Farges et A.van Zanten), publié chez Armand Colin.


Voir aussi dans la Revue de presse le dossier Ecole : ségrégation sociale dans la rubrique Ecole privée dans Ecole,
dans les Livres 1984 : "La bataille scolaire" (Marianne toujours ! de Patrick Kessel - extrait) (note du CLR).


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