Revue de presse

"Migrants et intégration des étrangers : où en est la France ?" (G. Chevrier, Y. Roucaute, atlantico.fr , 16 mai 16)

Guylain Chevrier, membre de la mission Laïcité du Haut Conseil à l’Intégration (2010-2013) ; Yves Roucaute, philosophe, enseignant. 18 mai 2016

"[...] Guylain Chevrier : [...] Il y a des facteurs très objectifs dans cette façon de distinguer les migrants, tel que le risque d’accueillir des djihadistes susceptibles de commettre sur notre sol des actes terroristes, comme cela fut le cas avec les attentats de novembre. Ce que l’on a longtemps dénié et que le ministre de l’intérieur a finalement confirmé. Aspect que le juge Trévidic avait déjà évoqué lors d’une interview en septembre 2015, prévenant de l’imminence d’un attentat de grande ampleur et des risques relatifs aux facilités de renvoyer de Syrie en France des volontaires (djihadistes) aguerris, qui s’infiltrent.

Le fait, dans ce prolongement, que les attentats commis en France, considérée comme une cible désignée autant comme chrétienne que comme mécréante, rejoignent ceux commis contre les chrétiens par des musulmans fanatiques partout où la guerre religieuse est à l’initiative.

Il y a peut-être surtout une proximité culturelle qui peut être ressentie vis-à-vis des chrétiens d’Orient, parce que la France a une partie de son histoire inscrite dans le catholicisme. Mais aussi, parce que les chrétiens sont dans un rapport à notre société où la sécularisation a fait son chemin et les montrent comme n’étant pas porteurs des mêmes risques que des musulmans, qui peuvent être ressentis comme rugueux à l’intégration et à la sécularisation du religieux. Nous vivons en France une montée des revendications religieuses à caractère communautaire, qui reflète de plus en plus le risque du communautarisme, venue d’une partie de nos concitoyens musulmans, ce qui ne cesse d’inquiéter une partie grandissante de l’opinion. D’autre part, les chrétiens d’Orient sont perçus comme fuyant la guerre et les exactions commises contre eux comme chrétiens, vis-à-vis d’autres migrants qui peuvent être perçus comme profitant du climat favorable à l’accueil, en raison de la guerre avec l’EI, pour rejoindre l’Europe sur des motifs économiques qui sont nettement moins prioritaires.

Le climat de victimisation des migrants entretenu par certains médias et une partie de la classe politique jusqu’à la gauche radicale, dans le déni de tout questionnement concernant la venue de milliers de musulmans de Syrie et d’autres pays d’islam, tels que des Libyens ou des Afghans, alors que des risques énoncés ici existent bien, crée encore plus de réticence, à la façon dont on redoute ce que l’on nous cache. [...]

La publicité qui a été faite à l’élection du nouveau maire de Londres [1], qui a mis en avant sa religion identifiée à une origine modeste et à l’extraction d’une minorité pour réussir, est un gadget qui sert de cache sexe à une politique libérale qu’il ne cessera pas de défendre bec et ongles, comme il l’a exprimé après son élection. Il s’agit de faire illusion au pays du multiculturalisme, ce système ultra-inégalitaire, qui cultive la séparation selon l’origine ethnique, culturelle ou la religion. Un système qui divise et entretient la reproduction des inégalités de façon sûre, grâce à un communautarisme qui prédestine ceux du groupe à ne pouvoir jamais s’émanciper de leur milieu d’origine. Comme le rappelle l’écrivain Monica Ali, londonienne originaire du Bangladesh : "Il y a (ici) un schéma bien établi qui veut que certains groupes ethniques se concentrent dans quelques poches géographiques définies par une culture et une activité économique (…) lié à l’héritage colonial de l’Empire Britannique" [2]. Et sans compter encore avec la charia dite "courte" qui règne par exemple dans la communauté à laquelle se réfère Monsieur Sadiq Khan, qui, si elle exclue les châtiments corporels, pratique une justice religieuse discriminatoire envers les femmes, reconnue par les tribunaux anglais au non du respect des cultures [3]. Un pays qui conserve le délit de blasphème. Autant d’aspects qui n’ont pas été évoqués par les grands médias français, de façon surprenante.

Il est vrai que ce qui se passe dans notre pays devrait rappeler à la réalité cette tendance à vouloir tout traiter sur le mode des identités culturelles, alors que nous vivons dans un affrontement de plus en plus évident entre les valeurs de notre république égalitaire et laïque, et une partie de nos concitoyens musulmans qui revendiquent des aménagements à leurs pratiques religieuses tendant à mettre en cause la règle commune, se tournent vers le salafisme, jusqu’au rejet par certains de la société française sous le signe du refus du mélange au-delà de la communauté de croyance et toute idée de mixité, qui a fait pourtant le fameux "creuset français".

Dernier exemple qui renforce l’inquiétude, le rassemblement qui réunit chaque année le plus de musulmans, celui de la sulfureuse "Union des organisations islamiques de France" (UOIF). Elle a mis au programme de son édition 2016 des individus connus notoirement pour leurs appels totalement contraires aux droits de l’homme et à la dignité humaine [4]. Le Soudanais Issam Al-Bachir, résolument salafiste, jihadiste, pro-Hamas qui est contre l’existence d’Israël ou encore, sieur Omar Abdelkafy, d’origine égyptienne qui est interdit de résidence en Égypte, qui développe des positions radicales au sujet du voile dit islamique, au sujet des juifs et de la théorie du complot , qui explique dans une vidéo que « La femme qui sort les cheveux découverts au vu de tout le monde, celle-là aura commis un péché qui mérite le châtiment de la tombe et le châtiment au jour du jugement dernier »... Concernant les attentats de Charlie Hebdo, il plaide l’innocence des jihadistes islamistes en accusant de mise en scène les autorités, d’un "complot", comme d’ailleurs pour les attentats du 11 septembre 2001.

Des idées qui circulent sur les réseaux sociaux alors que l’on tente de prévenir le risque de radicalisation de jeunes et moins jeunes, dont le nombre de candidats pour la Syrie ne cessent d’augmenté, passant d’environ 4000 à 8000 en un an. Comment cela ne fait-il pas la Une de nos journaux télévisés pour en dénoncer non seulement l’existence, mais le lien avec un salafisme qui s’enracine dans nos banlieues comme une bombe à retardement, alors que de nombreux jeunes sont en crise d’identité entre une origine et leur pays d’adoption, et que toute confusion devient à haut risque ?

A l’opposé de l’Angleterre du chacun pour soi et des séparations communautaires, la politique d’intégration de la France favorise le mélange et la promotion sociale de tous, si on y regarde bien. Selon les données publiées par l’INSEE et l’INED, dans le cadre de l’enquête TeO (Trajectoires et Origines), si les pères immigrés appartiennent aux professions peu qualifiées, leurs fils connaissent une réelle promotion sociale. Si 62 % des pères occupent un poste d’ouvrier qualifié ce sont 74% de leurs fils qui en occupent un. Si les professions intermédiaires ne représentent que 9% pour les pères, il en va de 22% pour les fils, 4% des pères sont cadres et 9% les fils. C’est environ 100.000 personnes qui bénéficient de l’acquisition de la nationalité française par naturalisation chaque année en France. [...]

Les attentats ont révélé, à travers ceux qui se revendiquent comme n’étant pas Charlie dans le prolongement des perturbations de la minute de silence demandée dans les établissements scolaires pour les victimes et la liberté d’expression, qu’une partie importante des enfants de la République rejettent les valeurs sous lesquelles elle grandit et dont elle bénéficie. De trop nombreux musulmans pratiquants plaident que, la laïcité serait faite pour les empêcher de pratiquer leur religion, alors que ce qui apparait de plus en plus du côté de ces derniers, c’est le refus de s’adapter à une République gouvernée au nom de la raison, d’accepter la modernité démocratique qui comprend la liberté de pensée, de caricaturer, de critiquer les religions, et pour les femmes de ne pas êtres soumises à un ordre patriarcal.

Rappelons qu’une enquête de l’Institut Sociovision avait révélé en octobre 2014 [5] que 80% des catholiques en France étaient "pour une société qui respecte la NEUTRALITÉ en matière de religion et où les pratiques religieuses restent dans le domaine privé", alors que seulement 50% des musulmans convergeaient dans ce sens, et 37 % de ces derniers qui trouvaient acceptable "le refus de serrer la main à une personne du sexe opposé ou de fréquenter certains lieux publics mixtes (ex : piscine)."

Les prêches comme ceux de l’imam de Brest, qui désignent la musique comme "créature du diable" ou encore présentent le port du voile à l’âge de 9 ans comme un exemple, et désignent les femmes qui ne le portent pas comme n’ayant pas d’honneur et ne devant pas s’étonner si elles se mettent en risque de se faire abuser [6], sont insupportables, condamnables et dangereux. Ils ne sont pourtant pas désavoués unanimement et sans ambiguïté par les représentants de l’islam de France. Ghaleb Bencheikh, islamologue, président de la Conférence mondiale des Religions pour la paix, n’avait pas hésité au lendemain des attentats de novembre 2015 à dire que "Certains responsables religieux musulmans sont comptables et coupables des crimes perpétrés au nom de dieu" [7]. La prise de position du Premier ministre se disant favorable à l’interdiction des signes religieux ostensibles à l’université et donc du voile, relativement à une pression communautaire de plus en plus prégnante et attentatoire aux libertés des autres, exprime aussi ce malaise qui ne peut pas ne pas rejaillir sur les migrants syriens et sur ceux venus d’ailleurs.

Une situation où un antisémitisme débridé est partagé par bien des jeunes des quartiers, comme l’a révélé le reportage de la série Infrarouge, "Français, c’est les autres" diffusé le 3 février dernier sur France 2 [8], où l’on voit une classe de collège de banlieue, reflet de la diversité culturelle, se lâcher sans retenue dans des clichés qui rejoignent ceux des pages les plus sombres de l’histoire ! La ministre de l’Education vient seulement en mars dernier de s’exprimer sur ce sujet pour dire qu’ "il faut stopper le racisme à l’école", alors qu’elle fait dans sa communication le constat d’un antisémitisme qui pousse le enfants juifs des banlieues à quitter l’école publique pour se diriger vers des établissements privés, ce qu’elle entend freiner. Mais il est déjà bien trop tard ! Elle plaide une fois de plus pour le renforcement de l’enseignement dit "laïque" du fait religieux à l’école, appuyant sur les différences en comptant encore sur la reconnaissance de celles-ci pour intégrer les élèves, ce qui se solde aujourd’hui par un cuisant échec, quand on devrait essentiellement y parler de règles et valeurs communes qui sont de moins en moins respectées, là et ailleurs. On se rappellera qu’elle a voulu imposer l’enseignement de l’islam comme obligatoire et celui des penseurs des Lumières comme optionnel, ce sur quoi elle a reculé. Un épisode qui en dit long des abandons qui créent ce climat de crise des valeurs qui rend vulnérable la société française à bien des dangers, aux ruptures du lien social, à des défiances. L’attitude des Français au regard des migrants quant à leur choix plus favorable aux chrétiens d’Orient, résonne des contradictions qui traversent la société française et risquent bien, si on n’y prête pas l’attention nécessaire, à la faire trembler sur ses bases."

Lire "Migrants et intégration des étrangers : où en est la France après 9 mois de crise aiguë ?".

[2Monica Ali, "La Face cachée de l’Angleterre", Le Nouvel Observateur, 28 septembre 2010.

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