Revue de presse

M. Winock : « Les Français n’ont jamais été un peuple vraiment démocratique » (Le Point, 20 oct. 22)

Michel Winock, historien, universitaire, docteur es lettres, agrégé d’histoire. 31 octobre 2022

[Les éléments de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

Michel Winock, Gouverner la France, préface de Mona Ozouf, éd. Gallimard coll. Quarto, sept. 2022, 33 €.

"Propos recueillis par Saïd Mahrane

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[...] Les chiffres croissants de l’abstention montrent bien le scepticisme et l’éloignement du politique. Tout comme l’effondrement des deux grands partis de gouvernement. J’y vois la conséquence d’une déception vis-à-vis de ceux qui, au pouvoir, n’ont pas maîtrisé les défis qui se posaient aux Français. Je songe, notamment, au chômage de masse. Jusqu’en 1975 nous connaissions le plein-emploi et la croissance. Puis nous avons basculé dans une autre ère. Les gouvernements successifs ont donné l’impression d’une totale impuissance. Rappelez-vous le mot de Mitterrand : « Dans la lutte contre le chômage, on a toutessayé. » Comment peut-on faire confiance, dès lors, à ces gouvernements ? Il faut aussi faire sa part au vide intellectuel qui, depuis l’effondrement de l’URSS, affecte aussi bien la gauche que la droite : dans ce pays aux affrontements très idéologiques, on ne sent plus de véritable compétition entre des visions du monde différentes. La crise de l’avenir commencée au siècle dernier s’est accentuée. Le présentisme écrase tout sens de l’Histoire.

Sur quoi se porte, dès lors, l’intérêt des citoyens ?

Sur eux-mêmes ! On constate une montée de l’individualisme dans son sens péjoratif, entendu comme la tendance à ne s’occuper que de soi, nous sommes devenus une société des individus. Cette tendance n’a fait que se renforcer avec ce qu’on appelle la société de consommation et le confort acquis. On se cultive soi-même, son corps, sa famille, son intérieur et on se désintéresse du bien commun. Tocqueville écrivait déjà dans De la démocratie en Amérique : « Je vois une foule innombrable d’hommes semblables et égaux qui tournent sans repos sur eux-mêmes pour se procurer de petits et vulgaires plaisirs, dont ils emplissent leur âme. Chacun d’eux, retiré à l’écart, est comme étranger à la destinée de tous les autres. » [...]

Les Français sont des anarcho-bonapartistes. Un oxymore, oui ! Il y a en effet une tension chez les Français en général entre leur soif d’égalité (Chateaubriand disait qu’ils préféraient l’égalité à la liberté) et leur demande d’autorité. La petite propriété qui a été longtemps la base de la structure économique de la France a laissé des traces. Marx avait défini le second Empire comme le régime de la paysannerie « parcellaire ». Ces petits producteurs, qui ne pouvaient former une classe en raison de leur dispersion, craignant à la fois l’accaparement des terres par la bourgeoisie et la mainmise sur leurs biens par les « partageux », en appelaient à la protection de Napoléon III. Goncourt décrivait dans son Journal le bonapartisme : « L’égalité baisant les bottes de César ». Au fond, les Français n’ont jamais été un peuple véritablement démocratique, car la démocratie exige une conscience individuelle responsable et l’idée du bien commun. Le Français défend ses intérêts d’abord, même s’il peut s’allier ponctuellement avec ceux qui ont les mêmes que lui. Tocqueville, encore lui, parle d’un « individualisme collectif », celui de ceux qui se regroupent sur des points communs. [...]

L’individualisme que vous mettez en exergue n’est-il pas aussi le résultat de la disparition d’institutions pourvoyeuses de sens commun (églises, service militaire, partis politiques…) ?

Progressivement ces encadrements sociaux qui permettaient une vie collective et un regard sur les autres se sont effondrés. Les deux grandes « églises » de l’après-guerre ne sont plus opérantes : je veux dire le communisme et le catholicisme. C’est la fin de l’utopie d’une société sans classe, d’un côté et la fin de la croyance, de l’autre. Elles ne sont plus que des buttes- témoins, comme on dit en géologie. La gauche n’a pas réussi à remplacer le Parti communiste, car elle est déchirée entre sa tendance radicale et sa tendance réformiste et pragmatique. Elle n’a jamais eu la possibilité de constituer une social-démocratie, soit la fusion du mouvement ouvrier de type syndical avec une représentation partisane élue au Parlement. Nous avons été nourris, depuis les guerres de Religion et plus encore depuis la Révolution, par la culture de la radicalité. Le camp du bien contre le camp du mal, disait Robespierre. [...]"

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