Revue de presse

M. Bock-Côté : « Quand le “fact checking” cache la censure » (lefigaro.fr/vox , 7 août 20)

Mathieu Bock-Côté, universitaire, docteur en sociologie, essayiste, chroniqueur au "Journal de Montréal" et au "Figaro". 8 août 2020

[Les articles de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

"L’avènement des différentes équipes de « vérification des faits », dans les grandes rédactions, a été accueilli comme une étape indispensable dans la lutte contre les fausses nouvelles et pour l’assainissement du débat public. Ces équipes sont supposées vérifier les informations « problématiques » qui circulent sur internet et contrecarrer des rumeurs absurdes.

Mais certains, qui revendiquent le titre de correcteurs au service de l’exactitude factuelle, sont des militants qui entendent surtout déterminer le sens des événements, en proscrivant toute interprétation ne cadrant pas avec leurs opinions.

Jean-Pierre Denis, l’ancien directeur de la rédaction de l’hebdomadaire La Vie, vient d’en faire l’expérience. Samedi dernier, par un message sur son compte Facebook, il a été le premier journaliste à annoncer que venait d’être adopté, à l’Assemblée, dans le cadre du projet de loi bioéthique, un amendement ajoutant aux motifs autorisant une interruption médicale de grossesse (IMG) jusqu’au neuvième mois la « détresse psychosociale ». Ajoutant un commentaire personnel à ce fait, Jean-Pierre Denis s’interrogeait sur le risque que cet amendement contribue à transformer, à terme, l’interprétation qui est faite du droit à l’IVG, en l’alignant par étapes sur l’IMG. Et l’auteur ajoutait à son texte un extrait du projet de loi bioéthique.

Or il a vu son message… censuré par le géant d’internet. Facebook ne l’a pas averti, mais le journaliste a été alerté par des internautes qui suivent son compte et qui, désireux de lire son texte, se voyaient avertis par Facebook que Jean-Pierre Denis relayait une information « partiellement inexacte » (sic).

L’intéressé est un journaliste réputé et intègre. D’où venait donc cette stigmatisation le présentant comme un désinformateur ? C’est « Checknews », le service de vérification de Libération, qui a un partenariat avec Facebook. Il s’est permis d’étiqueter le message de Jean-Pierre Denis, suite à une dénonciation anonyme, et sans jamais sentir le besoin de le contacter. De son côté, Facebook déclarait que le texte du journaliste ainsi blâmé avait été contrôlé par des « médias de vérification indépendants ».

Jean-Pierre Denis a tenu tête à « Checknews », disant leur fait à ces commissaires politiques sur son compte twitter avec fermeté, précision et humour. Sa détermination a payé. L’affaire a suscité une petite tempête sur les réseaux sociaux. Et, de piteuse manière, le service de Libération a dû s’excuser ou, plus exactement, a fait semblant de s’amender. La cellule de « fact checking » a multiplié les explications biscornues pour ne pas avouer qu’elle s’était adonnée à une pratique délatrice relevant de la censure. Elle a soutenu que le texte de Jean-Pierre Denis était « partiellement faux » et « incomplet » tout en confessant sa « maladresse » et en promettant de mieux faire la prochaine fois.

Les décodeurs de Libération se sont simplement permis de déterminer quelle interprétation on peut faire d’un amendement, et laquelle on doit proscrire. Il s’agissait, concrètement, de fixer les termes du débat public et d’indiquer les bornes qu’il ne fallait pas franchir. Libération lançait ici un rappel à l’ordre.

Les « vérificateurs » ne sont pas toujours neutres et certains se comportent objectivement comme une police de la pensée. Souvent, cette dernière a pour fonction d’empêcher de dire ouvertement ce que le régime cherche à faire discrètement, sans l’avouer, sans l’assumer. On retrouve la question des formes nouvelles de la censure et du dispositif qui rend possible son application. Les réseaux sociaux ont contribué un temps à désenclaver l’espace public d’un système médiatique autoritaire qui entend tenir le débat collectif dans des paramètres très serrés.

Mais certains journaux, aujourd’hui, au nom de leur « crédibilité médiatique » s’emploient en réalité à reprendre le contrôle du débat public. À travers eux, le régime diversitaire retrouve le pouvoir de désigner les contradicteurs légitimes et ceux qui ne le sont pas.

Il arrive aussi que les réseaux sociaux se permettent tout simplement de bannir des courants de pensée, en les accusant d’entretenir la « haine » comme, autrefois, on accusait un ennemi du régime d’être contre révolutionnaire. Au Canada, de plus en plus de journaux traitent le concept d’immigration illégale comme un terme relevant des « fake news ». Seul le terme immigration irrégulière serait autorisé. On pourrait multiplier les exemples. De quelle manière mettre en récit le cours des événements ? Cette question est au cœur de l’expérience démocratique. On ne saurait confier à quiconque le pouvoir de déterminer pour tous le sens de l’histoire, comme si certains en avaient une connaissance intime, privilégiée, et exclusive."

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