Revue de presse

"Les « trigger warnings », ou la mise sous cloche du monde" (Charlie Hebdo, 14 av. 21)

20 avril 2021

"Vous les avez sans doute déjà vus sur les réseaux sociaux, notamment quand il s’agit de parler d’agression sexuelle. Ce sont les trigger warnings (abrégés en TW), pour prévenir quand un contenu peut être traumatisant. Ils se justifient parfois, mais leur usage pourrait se propager, certains souhaitant même les imposer... dans la littérature ! Ils sont dans la droite ligne de cette « génération offensée » qui veut être mise sous cloche, ne plus jamais être perturbée par le réel.

[...] Une professeure de droit, Jeannie Suk Gersen, se plaignait déjà en 2014 dans le New Yorker : « Imaginez un étudiant en médecine qui souhaite devenir chirurgien et qui a peur à la vue du sang  ? Que devraient faire ses enseignants  ? Les professeurs de droit font face au même type de problème avec des étudiants qui ont peur d’étudier la question du viol. » Elle pointe même un paradoxe : « Jusqu’aux années 1980–1990, les lois concernant le viol n’étaient pas étudiées, car ce n’était pas considéré comme important. » Maintenant que ça l’est, on refuse de s’y confronter… Des élèves lui demandent même de ne plus utiliser du tout le terme « viol », y compris pour dire « violer la loi », car le mot en lui-même serait traumatisant. Dans certaines universités, des étudiants ont demandé que des livres au programme, comme Gatsby le magnifique, soient présentés avec des TW comme « violence misogyne ».

[...] On trouve quelques classiques, comme La Ferme des animaux, de George Orwell, qui, rappelons-le, est une fable mettant en scène des animaux, mais destinée à dénoncer le totalitarisme. Les trigger warnings appliqués à ce livre sont tout à fait orwelliens, quand on connaît l’histoire : « animal abuse », « animal murder ». Autre exemple, Beloved, de Toni Morrison, dénonciation de l’esclavage, se retrouve avec toute une liste de TW. Au lieu de se plonger dans un livre qui met l’esclavage en accusation, on se retrouverait donc à l’éviter, car trop dérangeant  ? Y figurent aussi Les Misérables, de Victor Hugo, avec ces alertes : « sang », « mort », « violences avec armes », « maladie ». Voilà comment un chef-d’œuvre peut être réduit à quelques mots. [...]"

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