Revue de presse

"Les comptes bien peu orthodoxes de l’Eglise grecque" (Le Monde, 15 juil. 15)

15 juillet 2015

"Alors que l’Etat grec, ruiné, est sommé de pratiquer une fiscalité rigoureuse, les richesses de l’Eglise restent intouchables

[...] Sujet explosif et désormais tabou. Qui convoque l’Histoire et les fondements de l’identité grecque. Qui exige un rappel du rôle fédérateur et protecteur joué par l’Eglise orthodoxe sous l’occupation ottomane, puis de son intégration naturelle à l’Etat grec lors de sa création en 1830. " Les livres scolaires insistent avec outrance sur la façon dont les prêtres ont combattu pendant la révolution, note Effie Fokas, chercheuse à la Fondation hellénique pour la politique européenne et étrangère (Eliamep). Ce n’est pas vrai du haut clergé. L’implication de l’Eglise devrait être nuancée. "

De fait, dans un pays dont la Constitution est écrite " au nom de la Trinité sainte, consubstantielle et indivisible ", Etat et Eglise sont imbriqués l’un dans l’autre. Les salaires et retraites du clergé sont payés par l’Etat (200 millions d’euros en 2014). L’enseignement religieux est obligatoire dans les programmes. Des icônes sont présentes dans les tribunaux, et les personnages les plus importants de l’Etat doivent prêter serment devant l’archevêque ou son représentant. Les chefs de l’Etat et de l’Eglise président conjointement célébrations et cérémonies officielles. L’archevêque est enterré avec les honneurs de l’Etat… Et quiconque remet en cause l’étroitesse de ces liens et les privilèges de l’Eglise déclenche les foudres d’un clergé puissant, conscient de son immense pouvoir d’influence dans une nation où, pour plus de 80 %, la population se déclare orthodoxe.

En 2000, toutefois, le gouvernement prit la décision de retirer la mention de l’appartenance religieuse sur les cartes d’identité grecques. Il se conformait ainsi aux exigences d’une directive européenne sur la protection des données personnelles, mais l’archevêque de l’époque, le terrible Christodoulos, dénonça une attaque contre l’identité grecque et exigea, en vain, un référendum. Trois millions de signatures (pour 11 millions d’habitants) n’ont pas réussi à faire reculer le gouvernement, mais elles ont démontré, s’il en était besoin, le pouvoir menaçant de l’Eglise. " Et depuis, constate Mme Fokas, aucun parti politique n’a proposé de changement majeur dans les relations de l’Eglise et de l’Etat. Au contraire ! Les politiques continuent de consulter l’archevêque pour certaines décisions importantes et même de lui demander sa bénédiction avant les élections. Même Syriza se couche, brusquement louangeur sur le travail caritatif des popes. "

Mais les impôts ? Est-il possible, au moment où l’Etat grec, ruiné, est sommé de pratiquer une politique fiscale rigoureuse, d’en exempter encore l’Eglise ? Les évêques consultés, quoique toujours affables, entrent dans de grandes colères lorsqu’on leur pose la question. " Ça suffit, les clichés, s’insurge Mgr Gabriel, évêque de Nea Ionia. L’Eglise est désormais imposée comme tous les citoyens grecs. Impôts sur les revenus locatifs et commerciaux, impôts sur la propriété. Le budget de mon diocèse est de 82 000 euros, et je paie 25 000 euros d’impôts. Mon salaire mensuel est de 1 502 euros et l’impôt sur le revenu est de 3 000 euros. En 2014, l’Eglise a versé 2,5 millions pour l’impôt sur la propriété. Vous voulez d’autres chiffres ? "

Oui, bien sûr, on aimerait. Par exemple, une estimation de l’ensemble des biens de l’Eglise – terres, forêts, immeubles, actions, hôtels, appartements, parkings. Mais là, il n’y a pas de réponse. Impossible de savoir. Il n’existe pas de centralisation des archives et titres de propriété, pas de cadastre, pas d’inventaire. Les 6 700 églises, monastères, fondations constituent autant de personnes juridiques et ne rendent de comptes à personne. Sans parler de la République monastique du mont Athos, immensément riche, propriétaire de grands bâtiments au centre d’Athènes et qui bénéficie d’un statut à part. Une commission parlementaire avait étudié le sujet en 2013 et évalué l’étendue des terres à 170 000 hectares, mais le patrimoine des 500 monastères, gigantesque, est impossible à estimer. Quant au portefeuille immobilier de l’Eglise, il comporterait plus de 1 400 propriétés foncières dans tout le pays, dont des immeubles de grande valeur à Athènes, une centaine d’appartements disponibles à la location, ainsi que des propriétés dans des sites protégés comme celui de Vouliagmeni, que l’Eglise rêve d’exploiter à des fins touristiques, promettant même à l’Etat de partager avec lui la moitié des revenus. Mais tout est si opaque. Et organisé pour le rester.

Une liste de questions adressées à Syriza pour connaître sa position sur le statut de l’Eglise et son imposition nous a valu une réponse indigente. C’est à Yannis Ktistakis, avocat spécialisé et professeur à la faculté de droit de Thrace, qu’il revient de décrypter le statut fiscal de l’Eglise. Impôt sur les revenus : 20 % depuis 2010. Taxes sur les donations et legs : 0,5 % (formidablement bas). Exemption de l’impôt foncier de toutes les propriétés dédiées au culte, à l’éducation ou à la philanthropie (c’est-à-dire la plupart) et de ce qui n’est pas loué. Exemption de la taxe spéciale créée en 2011 pour les bâtiments reliés à l’électricité. Exemption des taxes municipales. " La solution à ce statut choquant est évidemment la séparation de l’Eglise et de l’Etat, affirme Me Ktistakis. Pas une séparation unilatérale ! Il faudrait une négociation. Mais il n’y a aucune raison pour que l’Etat continue d’entretenir le clergé. "

Mais qu’à cela ne tienne, répondent les évêques, que l’Etat nous rende alors ces biens que nous lui avons cédés pour les réfugiés d’Asie Mineure, pour les agriculteurs, pour les hôpitaux. L’avocat s’étrangle : " La prise en charge des salaires du clergé s’est faite au début de la guerre civile, puis sous la dictature, pour des raisons strictement politiques. En aucune façon en vertu d’un échange contre des propriétés. " Et quand il y a eu transfert de biens à l’Etat, précise-t-il, ce fut toujours dans un cadre juridique précis : expropriation ou donation." Il n’y a donc aucune raison de revenir sur ces opérations légales. "

Le dossier est venimeux et, pour le moment, seul le parti libéral Drassi se prononce clairement pour une franche séparation. Tsipras, lui, marche sur des œufs et soigne ses bonnes relations avec l’archevêque. " Si l’on nous pénalise, nous ne pourrons pas poursuivre notre immense travail caritatif, prévient Mgr Antonios, évêque de Salona. Nous offrons chaque jour des dizaines de milliers de repas. Imaginez le nombre de Grecs qui auront faim… " Un chantage qui, en ces temps de crise, s’avère d’une efficacité redoutable."

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