Revue de presse

"Les abayas et les qamis sont-ils des « signes religieux ostensibles » à l’école ? Les chefs d’établissement veulent des « consignes claires »" (lemonde.fr , 4 oct. 22)

8 janvier 2023

[Les éléments de la Revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

"Ces robes et tuniques longues sont portées par de plus en plus d’élèves, sans que principaux et proviseurs sachent si elles sont prises en compte par la loi de 2004.

Par Sylvie Lecherbonnier

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Les abayas (robes longues de tradition moyen-orientale, portées au dessus d’autres vêtements) et les qamis (tuniques longues pour les hommes) sont-ils des « signes religieux ostensibles » de nature à être interdits à l’école, en vertu de la loi de 2004 ? Pour les principaux et proviseurs de collèges et de lycées confrontés à ces vêtements, la réponse n’est pas évidente. « Des collègues nous disent ne pas savoir comment traiter le sujet. Dans la même ville, certains chefs d’établissement peuvent juger que ces vêtements longs ne sont pas problématiques et d’autres qu’ils le sont », rapporte Franck Antraccoli, responsable du syndicat de proviseurs ID-FO.

Une note envoyée mi-septembre par le pôle « valeurs de la République » du ministère de l’éducation nationale aux recteurs, dont Le Monde a eu copie, vise à apporter « une réponse unifiée » à cette interrogation. Sans satisfaire, pour l’heure, les chefs d’établissement qui en ont eu connaissance.

Ce courrier rappelle les principes édictés par la loi de 2004 et le vade-mecum de la laïcité, ainsi que la jurisprudence en vigueur. Une volonté de clarification alors que « les élèves et parfois leurs familles dénient fréquemment toute dimension religieuse au port de ces tenues mettant en avant leur caractère culturel ».

Si le voile ou la kippa « manifestent ostensiblement par leur nature même » une appartenance religieuse, un signe ou une tenue « qui ne sont pas par nature des signes d’appartenance religieuse » peuvent le devenir et être interdit « au regard du comportement » de l’élève. Abayas et qamis appartiennent à cette seconde catégorie. Parmi les éléments d’appréciation à prendre en compte pour caractériser ce signe ostentatoire ou non : le fait que la tenue soit portée de manière régulière, « la persistance du refus de l’ôter », de même que « le fait qu’il s’agisse de tenues traditionnelles portées lors de fêtes religieuses ».

Une marge d’interprétation qui ne satisfait pas les principaux et les proviseurs. « Nous aimerions une règle claire que nous n’avons pas à interpréter. Nous ne pouvons pas faire porter cette responsabilité aux proviseurs et aux principaux qui sont en première ligne chaque matin devant les grilles de leur établissement », s’inquiète Didier Georges, proviseur d’un lycée parisien et membre de l’exécutif du SNPDEN-UNSA, qui syndique près d’un chef d’établissement sur deux. « Nous avons besoin de clarifications et de consignes claires », abonde Franck Antraccoli.

Si le phénomène n’est pas massif, le port de tenues jugées litigieuses est en augmentation depuis près d’un an et singulièrement depuis le printemps. Le ministre de l’éducation, Pap Ndiaye, l’a confirmé, vendredi 30 septembre, lors d’un déplacement dans un collège du 18e arrondissement de Paris : « Les remontées confirment une hausse des signalements », « en particulier les signalements de port de vêtements, les fameuses abayas, qui semblent se multiplier ». Au premier trimestre 2022, 139 atteintes à la laïcité étaient liées au port de signes ou de tenues jugées non conformes à la loi de 2004. Soit 22 % des cas litigieux recensés (en hausse de sept points), selon les dernières statistiques connues.

« Notre réponse est et sera ferme à ce sujet : le rappel de la loi de 2004 qui interdit le port de signes religieux ostensibles dans le cadre scolaire, ça, c’est la base. C’est la loi de 2004 et il ne s’agit pas de transiger sur cette loi, nous sommes tout à fait stricts à ce sujet », a-t-il martelé, tout en précisant que « l’interprétation d’un signe comme étant religieux ou d’un vêtement religieux ne peut pas se faire à partir d’une circulaire que nous produirions. Ce n’est pas la longueur de la robe ou la couleur qui à elles seules permettent de déterminer sa nature religieuse. C’est un ensemble de signes qui peuvent pointer dans cette direction. » « Nous faisons confiance aux chefs d’établissement, et aux cellules valeurs de la République qui sont là pour les épauler, pour pouvoir juger si la tenue est de nature religieuse », a en outre affirmé Pap Ndiaye, mardi 4 octobre sur Franceinfo.

« Bien sûr que les abayas sont des marqueurs religieux », et celles qui portent ce vêtement « le font en provocation », a pour sa part déclaré la secrétaire d’Etat à la citoyenneté, Sonia Backès, sur Franceinfo, samedi. Elle veut que « les enseignants sachent que l’Etat sera là pour les protéger ».

Sur le terrain, les chefs d’établissement s’interrogent néanmoins. Il y a ceux pour qui le port d’une abaya ou d’un qamis est un « signe religieux ostensible évident », ceux pour qui « ce n’est pas si compliqué que ça à trancher », ceux qui, à l’inverse, « se sentent un peu perdus » et ceux pour qui « on ne va pas interdire toutes les jupes longues ».

« Nous savons traiter la question du voile, même lorsqu’il peut y avoir des contournements avec le port d’un bandeau large par exemple. Qualifier le port d’une abaya, c’est plus compliqué », fait valoir un proviseur dans l’académie de Créteil, qui souhaite rester anonyme. « Il est parfois difficile de faire la part des choses entre ce qui relève du religieux, de la rébellion adolescente ou d’une tenue ample pour dissimuler son corps, à un âge où on n’est pas toujours bien dans sa peau. Suivant les jeunes, le port de ces vêtements n’a ni la même signification ni les mêmes valeurs », insiste-t-il, tout en reconnaissant qu’il « ne peut pas tenir un registre des tenues portées par ses 2 500 élèves ».

« Nous pouvons rencontrer des jeunes filles aux cheveux teints en rouge et qui portent des abayas. L’adolescence est une période de construction de soi, où la quête identitaire est profonde », fait valoir cet autre proviseur de la banlieue lyonnaise toujours sous anonymat. Néanmoins, il a vu le nombre de jeunes filles en abaya croître au sein de son établissement ces derniers mois. « Avec l’équipe de vie scolaire, nous les recevons pour leur rappeler les principes de laïcité. De telles interventions prennent du temps et, si les cas se multiplient, cela devient compliqué à tenir », fait-il remarquer. Ce proviseur constate « des réponses plus formatées qu’auparavant » de la part des élèves : « certaines remarques, comme “c’est mon style”, “c’est la mode”, reviennent plus fréquemment, sous l’influence des réseaux sociaux », estime-t-il.

Si le vade-mecum sur la laïcité, qui date de 2018, pourrait mentionner prochainement explicitement abaya et qamis, « la loi est rédigée de manière à pouvoir s’appliquer à toutes les religions et de manière à répondre à l’apparition de nouveaux signes, voire à d’éventuelles tentatives de contournement de la loi », précise l’actuel document. Pour l’heure, le ministère de l’éducation nationale, par le biais de la note envoyée aux recteurs, insiste sur la nécessité d’instaurer un dialogue avec l’élève et sa famille, même s’il ne doit pas conduire à des « négociations sur des modalités de port de ces tenues ».

Si l’élève persiste dans son refus, « une procédure disciplinaire doit être diligentée ». Les chefs d’établissement peuvent solliciter « au moindre doute » les équipes « valeurs de la République », constituées à l’initiative de Jean-Michel Blanquer dans chaque académie, insiste le ministère. Rémy-Charles Sirvent, porte-parole du comité national d’action laïque au sein du syndicat SE-UNSA, le rappelle : « Certains points méritent d’être expliqués et réexpliqués mais la quasi-totalité des atteintes à la laïcité trouve une solution par le dialogue. »"



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