« La gauche, la droite... et la laïcité », 8 fév. 14

Patrick Kessel : "Pourquoi tant d’atermoiements ?" (Colloque du CLR, 8 fév. 14)

Introduction, par Patrick Kessel, Président du Comité Laïcité République, au Colloque du CLR « La gauche, la droite... et la laïcité », 8 fév. 14. 7 février 2014

Plus la France est diverse, plus elle a besoin de laïcité pour garantir le vivre-ensemble, la liberté de conscience et l’égalité des droits pour tous les citoyens quels que soient leurs origines, leur couleur, leur sexe. Plus elle a besoin de volonté politique pour que les valeurs fondatrices de la République, la Liberté, l’Egalité, la Fraternité ne soient pas des astres en voie d’extinction mais des principes inspirant la vie concrète de notre pays.

Tel n’est malheureusement pas le cas et on assiste au contraire au retour du religieux en politique et à la montée des communautarismes qui fragilisent la laïcité, l’unité et la paix civile.

L’idéal universaliste, enfant des Lumières, est battu en brèche, dénoncé comme colonialiste ! C’est l’arroseur arrosé !
Dans les quartiers, beaucoup de jeunes se définissent comme black, blanc, reub, feuj, homo, Corses, Bretons, Basques, rouges jaunes ou verts, avant même d’imaginer qu’ils sont d’abord citoyens français avec les mêmes droits et les mêmes devoirs.
Il est vrai qu’au fil des ans, on a délaissé l’école publique, dont la mission est de former les jeunes à devenir de futurs citoyens libres et responsables. Comme si on était résigné, à l’image de ce qui se passe aux Etats-Unis, à ce que l’école de la République devienne l’école des pauvres et des immigrés.

Certains disent qu’il n’y a pas de problèmes de laïcité en France ! Nous ne devons pas regarder du même côté !

Les autorités confessionnelles et communautaires ont réinvesti le champ politique et s’opposent aux réformes étendant le domaine des libertés individuelles. On l’a constaté ces derniers mois lors de la révision des lois de bioéthique, à propos du droit à mourir dans la dignité et tout récemment, lors des manifestations contre le mariage pour tous. Au-delà des questions d’éthique, elles revendiquent ouvertement, au nom de particularismes, des dérogations à la loi commune. Quand elles n’exigent pas tout simplement des adaptations de la loi de 1905 !

Le communautarisme s’est développé dans les crèches, les écoles, les universités, mais aussi à des degrés divers dans la justice, les prisons, les entreprises, les "quartiers perdus", comme l’écrivait le rapport Obin il y a déjà une dizaine d’années.

Mais, le plus inquiétant, c’est la fragilité du camp républicain dont une partie semble séduite par l’idéologie communautariste.
Terrible confusion intellectuelle du post-modernisme. Certains croient , avec les meilleures intentions, favoriser une société de la diversité. En fait, on enterre Locke, Voltaire, Condorcet, Diderot, Rousseau et on réhabilite la philosophie des anti-Lumières, des ennemis de la Révolution française, Burke, Joseph de Maistre, Taine, voire pour certains Barrès et Maurras, en imaginant que ce serait un progrès de renvoyer les individus aux déterminismes de leurs communautés d’origines.

La confusion intellectuelle a désormais gagné le champ politique.
Tandis que les partis républicains tergiversent, voire reculent, davantage par marketing politique que par conviction, l’extrême droite s’est engouffrée et tente de détourner la laïcité aux fins que l’on sait. Ce n’est pourtant pas elle, dont l’histoire est intimement liée aux courants les plus conservateurs et intégristes de l’Eglise, qui peut se poser en défenseur de la liberté de conscience !

Le consensus républicain qui semblait acquis se révèle fragilisé.
L’Etat et les collectivités locales ont donné le mauvais exemple qui, de plus en plus, contournent la loi de séparation et financent des associations culturelles qui ne sont souvent que le faux-nez d’associations cultuelles.

Il faudrait être aveugle pour ne pas voir que la jonction des fractures sociale et culturelle est porteuse de menaces pour la démocratie elle-même.
C’est en France que pour la première fois depuis 1945, on s’en prend à une ministre pour la couleur de sa peau, que se dessine une coalition des extrémismes politiques et religieux, que des manifestants désinhibés crient des slogans antisémites et n’’hésitent plus à se revendiquer ouvertement du national-socialisme !
Sans jouer à nous faire peur, nous avons de légitimes raisons d’être inquiets.

Pourquoi les partis républicains de gauche et de droite ne réagissent-ils pas plus nettement pour combattre ces dérives extrémistes et soutenir la République ?
L’analyse était plus simple lorsque la droite était pour l’essentiel de droite et cléricale et la gauche, toutes tendances confondues, laïque et universaliste.

En fait les attaques contre la laïcité ne datent pas d’hier. Depuis la Libération, on a vu la droite adopter les lois Marie/Barangé, Debré, Germeur, ouvrir de larges allées au financement public des écoles privées et confessionnelles. Avec la loi Carle, votée sous le quinquennat précédent, on est parvenu à la parité entre écoles publiques et privées !

Au moins le Président Chirac a-t-il fait voter l’interdiction du port ostentatoire des signes religieux à l’école. Regrettons que n’aient pas été également retenues les autres recommandations de la commission parlementaire de Jean- Louis Debré, alors Président de l’Assemblé Nationale.

Le quinquennat du Président Sarkozy a marqué un tournant particulièrement négatif pour la laïcité :

  • discours de Latran affirmant que le prêtre était mieux placé pour enseigner la morale que l’instituteur,
  • discours de Ryad,
  • tentative de "toilettage" de la loi de 1905 ( entrepris en fait lorsqu’il était ministre de l’Intérieur avec la mise en place de la commission Machelon),
  • circulaire Guéant sur la mise en place de conférences départementales religieuses au mépris de l’article 2 de la loi de 1905 qui stipule que la République ne reconnait aucun culte,
  • reconnaissance des diplômes universitaires du Vatican,
  • refus de la révision des lois de bioéthique,
  • refus du droit à mourir dans la dignité,
  • tentative de réécriture du préambule de la Constitution pour y introduire le droit à la différence auquel s’opposa courageusement Simone Veil,
  • tentative de réforme du CESE pour y introduire un collège des communautés.

Pour être équitable, il faut constater que la gauche n’ a pas pour autant brillé par son engagement en faveur de la laïcité et on peut parler à tout le moins d’atermoiements coupables. On se souvient

  • de l’échec du projet de service public unifié de l’Education Nationale
  • du financement public de la cathédrale d’Evry,
  • des accords Lang-Cloupet.

Mais c’est de 1989, à l’occasion de la 1ère affaire du voile quand un Premier ministre de Gauche préféra transmettre le dossier au Conseil d’Etat plutôt que de le trancher, que date cette rupture culturelle à gauche qui n’a de cesse de s’élargir.

Animée d’intentions louables, cette dérive s’est banalisée avec

  • les horaires réservés dans certains espaces publiques
  • les financements de crèches et d’écoles privées dans les grandes métropoles- le financement public de la maison de l’islam dans la capitale dont les cloisons adaptables permettent en cours de journée de transformer un lieu de culture en lieu de culte,
  • la publication sur le site du Premier ministre, probablement par maladresse, d’un rapport sur l’intégration prônant l’abrogation de l’interdiction des signes religieux à l’école publique. Nous voulons espérer que le prochain projet de politique d’intégration ne sera pas l’occasion d’une nouvelle avancée des discriminations positives au détriment de l’égalité républicaine.
  • l’affaire de la crèche Baby-Loup, loin d’être close puisque les collectivités locales, en dépit des efforts du sénateur Philippe Esnol, n’ont toujours pas accordé les financements nécessaires au redémarrage de la crèche dans une autre municipalité !

Robert Badinter, à l’occasion d’un récent colloque organisé par le groupe socialiste à l’Assemblé Nationale s’est déclaré "inquiet pour la République" estimant qu’ "à gauche, nous avons des visions qui ne sont plus celles de la Gauche républicaine et qui font la part belle aux revendications communautaristes et différencialistes".

Dans son discours du Bourget, le candidat François Hollande a fait naître de grands espoirs dans la Gauche Républicaine. Et de fait, élu Président, il n’a pas manqué de réaffirmer à plusieurs reprises l’importance qu’il accorde à la laïcité pour un réel-vivre ensemble.

Si la proposition 46 du programme du candidat visant à intégrer les principes de la loi de 1905 dans la Constitution afin d’en empêcher le contournement, n’a pas été concrétisée, plusieurs réformes ont vu le jour :

  • mariage pour tous,
  • révision des lois de bioéthique,
  • mise en place de la charte de la laïcité,
  • mise en place de l’Observatoire de la laïcité

Mais le verre n’est qu’à moitié plein. On pense entre autre à une loi sur les crèches, à la question de l’accompagnement scolaire par des parents, à l’application réelle de la loi de 1905, au Concordat.

L’immense majorité des français, à 85%, souhaite que la laïcité soit renforcée. Dès lors pourquoi les partis républicains ne répondent-ils pas à cette attente et ne se retrouvent pas pour défendre la laïcité, comme ce fut le cas au moment de la loi Veil sur l’IVG ou sur les signes religieux à l’école ?

C’est pour chercher des réponses à ces questions que le Comité Laïcité République a décidé d’organiser ce colloque.

L’approche des élections municipales nous a conduit à modifier le programme, certains orateurs étant retenus pour raison électorale dans leur circonscription. Et si nous avons séparé ce colloque en deux parties, c’est afin d’éviter de stériliser le débat en un affrontement gauche-droite et d’étudier l’opposition interne sur chacune des rives de la République.

Nous entendrons ainsi successivement Charles Coutel, philosophe ; Gérard Delfau, ancien sénateur ; André Henry, ancien ministre ; Guy Lengagne, ancien ministre ; Odile Saugues, députée, et, cet après-midi, Françoise Hostalier, ancienne députée ; Jacques Myard, député ; Anicet Le Pors, ancien ministre ; Alain Seksig ; Jacques Toubon, ancien ministre, et Philippe Foussier, ancien Président du CLR.

Je remercie tous les intervenants ainsi que le député Christian Bataille grâce à qui nous sommes hébergés dans cette belle salle Colbert.

A l’issue de ce colloque nous vous ferons la proposition d’une adresse aux Présidents de l’Assemblée Nationale et du Sénat proposant la mise en place d’une commission parlementaire sur l’actualité de la Laïcité.

Et maintenant, laissons la parole à nos invités que je remercie d’avoir accepté de limiter leur temps de parole à quinze minutes de façon à garder du temps pour échanger avec la salle.



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