Edito

Laïcité : encore un effort ! (20 fév. 12)

par Patrick Kessel, président du Comité Laïcité République 20 février 2012

A deux mois de l’élection présidentielle, la laïcité refait surface dans les propositions des candidats, pour le meilleur mais aussi pour le pire. C’est là un constat inquiétant à un moment où elle se révèle indispensable face au retour du religieux en politique et à la montée des communautarismes.

- La laïcité « positive » de Sarkozy contre la laïcité

A peine entré en campagne, Nicolas Sarkozy a réenfourché son cheval de bataille : la laïcité « positive », autant dire, le contraire de la laïcité.

En ajoutant des qualificatifs, « moderne », « ouverte » et plus récemment « positive », expression que le président sortant partage avec le pape Benoit XVI, les tenants d’une soi-disant "modernisation" n’ont eu de cesse de la vider de sa substance. En prétendant « toiletter » la loi de séparation des églises et de l’Etat, pour la mettre en quelque sorte au goût du jour, il s’est agi de contourner les principes que posent les deux premiers articles de la loi de 1905. Ces derniers garantissent la liberté de conscience et de pratiquer une religion, mais précisent aussi que « la République ne reconnaît ni ne subventionne aucun culte » [1]. Et c’est bien là que le bât blesse pour ceux qui veulent en finir avec la laïcité en ouvrant la voie au financement public des communautés religieuses.

A défaut de pouvoir frontalement changer la loi, à laquelle une très large majorité de Français est attachée, la "commission Machelon" [2], mise en place par Nicolas Sarkozy, avait ouvert la voie en identifiant une série de mesures de contournement de la loi. Les arrêts du Conseil d’Etat allaient ouvrir cette brèche.

A l’issue du mandat du Président sortant, l’œuvre de détricotage de la laïcité est bien avancée.
Le bilan est affligeant. Citons principalement :

  • Le discours de Latran (qui place le prêtre au-dessus de l’instituteur)
  • La loi Carle (qui instaure la parité dans le financement public entre écoles privées et publiques),
  • la mise en place, sous l’autorité des préfets, de commissions départementales de la liberté religieuse (reconnaissant ainsi les autorités ecclésiastiques comme interlocutrices des pouvoirs publics, contrairement à l’article Premier de la loi de 1905)
  • les arrêts du Conseil d’Etat de plus en plus "libéraux" [3]
  • la reconnaissance des diplômes universitaires du Vatican

En cinq ans, la laïcité a été dénaturée. Utilisée à l’encontre d’une seule religion à des fins électoralistes. Objectif : récupérer les voix orientées vers l’extrême droite.

Le chantier n’est pas achevé et Nicolas Sarkozy entend bien le poursuivre jusqu’à faire de la laïcité une simple loi de tolérance entre les religions sur le modèle libéral-communautaire américain. Dès son entrée en campagne, il vient d’envoyer un message fort aux plus conservateurs de ses troupes en réaffirmant les valeurs chrétiennes de la France [4]. Et en s’associant les conseils de Patrick Buisson [5] et Emmanuelle Mignon [6], connus pour leurs proximités avec le traditionalisme « romain » et le conservatisme politique. Sa réélection, n’en doutons pas, conduirait à la liquidation de la laïcité comme pilier de la République.

- Le hold up de l’extrême-droite

C’est dans ce contexte, et parce que les républicains des deux rives ont abandonné le terrain, que le Front National a pu mener un véritable hold-up visant à instrumentaliser la laïcité contre une religion Si la montée des communautarismes pose de sérieux problèmes à la République, nous ne pouvons accepter que la laïcité, soit détournée, instrumentalisée à des fins de stigmatisation. La laïcité est un outil essentiel du combat contre toutes les formes de ségrégation et de racisme. Pas le contraire !

- La gauche : un pas dans la bonne direction mais...

Seuls les deux principaux candidats de la gauche se sont clairement déclarés en faveur de la laïcité. Jean-Luc Mélenchon a confirmé un engagement qui s’était déjà traduit par une proposition de loi visant notamment à abroger le concordat.

François Hollande a annoncé, lors de son premier meeting public de campagne au Bourget, qu’il faisait sienne la proposition de constitutionnaliser les principes de la loi de 1905. Il s’agit là d’un pas important dans la bonne direction. Ainsi que l’a déclaré Elisabeth Badinter, c’est un geste courageux qui retire le sujet des mains de l’extrême droite. Pour la première fois depuis des années, la gauche affirme vouloir se réapproprier un thème qui fait partie de sa culture historique. Cela permettrait de mettre un terme aux dérives des collectivités locales, qui, sous couvert des arrêts du Conseil d’Etat [7], de plus en plus financent les cultes, directement ou par le biais d’ "associations culturelles" qui sont souvent le faux-nez d’associations cultuelles. Une large brèche, au nom d’un bien curieux « intérêt public local », a ainsi été ouverte qui permet de contourner la loi et de financer la montée des communautarismes.

A l’usage, il s’avère en effet, contrairement à ce qu’affirme Nicolas Sarkozy, que l’article premier de la Constitution définissant la République comme laïque, n’est plus suffisant pour empêcher le contournement de la loi

La disposition annoncée par François Hollande permettrait de mettre un terme à ces dérives. En confirmant que cela « permettra à la jurisprudence d’être plus ferme » et que « l’Etat ne finance aucun culte » [8], le candidat confirme que sa proposition 46 concernera bien tout le titre premier de la loi de 1905. Sous réserve de cette confirmation, ce projet très positif ne peut que réjouir tous les républicains attachés à la laïcité.

En revanche, l’annonce du projet de constitutionnalisation du concordat a jeté un froid. Le principe d’indivisibilité de la République ne peut-être négocié au coup par coup en fonction d’ "intérêts locaux". Pour autant, l’exception des départements Alsace-Moselle et de certains départements d’Outre-mer a une histoire. Elle justifierait une étude sérieuse, un dialogue approfondi avec les partis concernés, pour définir comment réaliser l’homogénéisation de l’application de la loi de 1905 qui, par ailleurs, ne remettrait pas en cause les avantages sociaux des populations. Cela prendrait du temps. Mais Jules Ferry, n’a pas imposé d’un coup le retrait des crucifix des salles de classe. Et la loi de 1905 n’a-t-elle pas été précédée de 13 rapports ?

L’annonce brutale, transformant une « exception » en principe constitutionnel, ne peut qu’inquiéter les associations laïques.

Pour autant, le coup de froid qui a suivi, ne doit pas démobiliser les laïques. La réaction de Nicolas Sarkozy, parlant de « vision intégriste de la laïcité », éclaire sur la nature des véritables adversaires de la laïcité.

Au moment où le pays connaît un impérieux besoin d’égalité des droits et des devoirs entre tous les citoyens, quels que soient leurs origines, leur couleur, leurs appartenance, de justice sociale, de respect, les laïques ne se trompent pas d’adversaires. Ils ont besoin d’être clairement rassurés sur l’avenir des valeurs qu’ils défendent.

Encore un effort !

Patrick Kessel

Président du Comité Laïcité République

[1Article 2 du Titre premier de la loi de 1905.

[2Commission mise en place par Nicolas Sarkozy lorsqu’il était ministre de l’Intérieur et des Cultes, la "commission Machelon" a élaboré les dispositifs de contournement de la loi de 1905, à l’attention en particulier des collectivités territoriales, amenées de plus en plus souvent à traiter de demandes de financements des cultes, directement ou indirectement.

[3Depuis 2006, des arrêts du Conseil d’Etat vident la loi de son contenu en la réduisant à une simple neutralité entre religions, contrairement à l’article 2 de la loi de 1905.

[4Le Figaro Magazine, 11 fév. 12.

[5Patrick Buisson, journaliste, ancien collaborateur de Minute, engagé à l’extrême droite.

[6Emmanuelle Mignon, catholique conservatrice, rédactrice du projet 2007, avait inspiré le discours de Latran au Vatican.

[7Arrêts du Conseil d’Etat de 2006 à juillet 2011 qui réduisent la laïcité à une simple neutralité entre les religions et relativisent le principe de séparation (art 2 de la loi de 1905)

[8Marianne 18/02/2012


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