Contribution

La discrimination positive, une politique anti-républicaine

janvier 2007

Depuis que la France est devenue une République pérenne, il y a quelque 130 ans, et mise à part la période de l’Occupation, le principe fondamental d’égalité des droits n’a jamais été aussi menacé qu’aujourd’hui. Le fer de lance de cette offensive est la discrimination positive, une proposition portée par de nombreux relais d’opinion et organisations, et, dans la perspective des échéances électorales de 2007, au cœur des propositions ou réflexions des principaux partis susceptibles de gouverner demain.

I

Le passé d’une illusion

Origine et terreau idéologique de la « discrimination positive ».

LA DISCRIMINATION POSITIVE : UN CONCEPT IMPORTÉ

Le concept de discrimination positive s’inspire des politiques d’« affirmative action » instaurées à partir des années 1960 aux Etats-Unis d’Amérique dans la foulée de la lutte des Noirs pour l’égalité des droits. L’Affirmative Action, destinée à lutter contre les discriminations, instaure alors diverses mesures de « discrimination inverse » consistant à attribuer des droits supplémentaires spécifiques aux personnes relevant de minorités ethniques auparavant victimes d’inégalités. A leur profit, des quotas sont imposés dans le recrutement pour des emplois privés et publics, des bonifications de barème sont accordés à l’entrée de l’enseignement supérieur, une part des commandes publiques est réservée à leurs entreprises, etc.

Cette politique entraîne des phénomènes surprenants. Ainsi du recensement. Depuis 1960, ce n’est plus au recenseur mais au recensé de choisir sa « race » ; toute personne ayant ne serait-ce qu’une goutte de sang noir peut se faire recenser comme Noir. « De plus en plus de gens utilisent des tests d’ADN pour prouver leur appartenance à une minorité et bénéficier ainsi de certains avantages » liés à l’Affirmative Action (Courrier international, 15 juin 2006, reprenant un article du New York Times).

LE TERREAU IDÉOLOGIQUE DE LA DISCRIMINATION POSITIVE : LE VICTIMISME AU SERVICE DU COMMUNAUTARISME

La discrimination positive participe d’une politique communautariste en ce qu’elle fait primer une appartenance à un groupe au détriment des qualités propres de la personne, ses talents, sa responsabilité et son libre arbitre.

Les revendications de discrimination positive relèvent moins de la lutte contre les discriminations ou de la défense des « identités culturelles » que d’une stratégie opportuniste d’obtention de passe-droits, de privilèges et de pouvoirs.

I.1. La première étape consiste à se fabriquer un statut de « victime ». C’est d’autant plus facile pour les communautaristes que notre société est en proie à une obsession victimaire : la victime y a acquis un poids qu’elle n’a jamais eu (Guillaume Erner, La Société des victimes, La Découverte, 2006). La « notion de victime sert à désigner toute condition perçue comme insupportable par notre époque ». Dans La Vie devant soi, d’Emile Ajar (Romain Gary), le narrateur confie : « Quand je serai grand j’écrirai moi aussi Les Misérables, parce que c’est ce qu’on écrit quand on a quelque chose à dire. ».

• Dans leur exploitation du victimisme, les communautaristes ont réussi à imposer une conception extensive des discriminations.

D’abord en traitant toute différenciation en discrimination. Or, comme l’explique la juriste Anne-Marie Le Pourhiet [1], si une discrimination apparaît d’autant plus injuste qu’elle porte sur une caractéristique que l’individu n’a pas choisie (sexe, origine ethnique), certaines différenciations sont dépourvues de caractère discriminatoire. Quand les femmes bénéficient de congés de maternité, de prime d’allaitement, ou de détection gratuite du cancer du sein ou de l’utérus, personne ne s’émeut qu’il n’en soit pas de même pour les hommes. Réserver des toilettes distinctes pour les Noirs et les Blancs est inadmissible, mais la même distinction pour les hommes et les femmes ne pose pas problème.

Par ailleurs, à partir de l’idée que la différence des sexes serait une « illusion anthropologique », certains prétendent que l’homosexualité ne se différencierait pas de l’hétérosexualité, et donc que toute différenciation serait illégitime et relèverait de la discrimination. Mais le postulat de départ étant discutable, la réservation aux couples hétérosexuels du droit à l’adoption et à la procréation médicalement assistée ne peut être présentée comme une atteinte à l’égalité des droits et aux droits de l’homme.

La nationalité est une autre différenciation qui ne peut être considérée comme une discrimination sans lui faire perdre sa raison d’être : le principe d’égalité entre nationaux et étrangers ne saurait exister en tant que tel, sauf à faire disparaître l’Etat-nation. Quand on réserve les emplois publics ou le droit de vote aux nationaux, un Martiniquais y a droit, mais pas un Polonais. Le droit du sol prime sur le droit du sang. En revanche, ces mêmes mesures pratiquées entre les ressortissants d’un même Etat, sur certaines parties de son territoire (la « préférence locale », appliquée en Nouvelle-Calédonie après une révision constitutionnelle), sont discriminatoires.

Ensuite, les communautaristes entretiennent la confusion sur la représentation, au niveau des fonctions professionnelles ou électives. Le fait que la composition de diverses instances (Parlement, médias, etc.) ne reflète pas les proportions en vigueur dans la société est présenté comme un signe de discrimination. Ernest Renan appelait ce genre de comptabilité de la « zoologie » et y voyait un « retour au droit des orangs-outans », rappelle Anne-Marie Le Pourhiet. « Depuis quand l’entreprise, les médias, l’armée ou l’administration ont-ils vocation à représenter le sexe, la couleur de peau ou les mœurs de leurs clients ou usagers ? », s’exclame-t-elle (Le Débat, mars-avril 2001). « Quant aux assemblées politiques, elles ont, en principe, à représenter les différents courants d’opinion, les programmes politiques et les conceptions distinctes du bien commun, non pas des testicules, des ovaires ou des pigmentations de peau. […] Les minorités que la démocratie libérale veut laisser s’exprimer dans les assemblées politiques sont des minorités d’idées sur la meilleure façon de gérer la chose publique, et non des caractères d’ordre privé dont la représentation ne signifie rien d’autre que la privatisation de la res publica et donc le retour à la féodalité, fût-elle déguisée en “modernité”. Cette déformation de la notion de représentation traduit, en réalité, une conception du pouvoir selon laquelle celui-ci ne serait plus destiné à “servir” mais à “se servir”, ce qui ne peut que favoriser la corruption, le népotisme et le clientélisme ».

• La stratégie victimiste n’est pas nouvelle ; la nouveauté est qu’en ce qui concerne certains groupes, les pouvoirs publics et la plupart des intellectuels la prennent pour argent comptant. Ils cèdent à une culpabilisation issue d’une idéologie « post-marxiste » qui analyse les rapports sociaux en termes de dominants/dominés. « Dans l’humanisme, c’est l’homme qui est la mesure de toute chose ; dans le victimisme, c’est la victime » (G. Erner). Le politique doit montrer qu’il a le monopole du cœur, selon la célèbre formule giscardienne. « La société des victimes reconfigure notre conscience sociale, la pratique du droit et le fonctionnement de nos institutions. […] Le consensus compassionnel en vient à constituer une menace pour les valeurs républicaines. »

• Or, les minorités ou catégories supposément opprimées ne sont pas par nature vertueuses, comme le montrent trois exemples particulièrement significatifs.

En janvier 2004, Sébastien Nouchet, homoxexuel, était retrouvé brûlé vif dans son jardin à Nœux-les-Mines (Pas-de Calais). L’affaire faisait grand bruit et jouait un rôle décisif dans l’adoption de lois contre l’« homophobie », notamment des amendements à la loi sur la presse réprimant spécifiquement la diffamation et l’injure en raison de « l’orientation sexuelle ». En septembre 2006 les poursuites contre les agresseurs présumés aboutissent à un non-lieu, la justice n’ayant pas déterminé si M. Nouchet avait été réellement agressé ou s’il avait fait une tentative de suicide.

En janvier 2004, sur proposition de M. Sarkozy, ministre de l’Intérieur, le gouvernement nomme Aïssa Dermouche préfet du Jura. Le premier « préfet musulman », communique (à tort) la place Beauvau. En mai 2005, M. Dermouche est condamné pour « abandon de famille », pour n’avoir pas réglé la totalité des pensions alimentaires qu’il devait à son ex-femme et à ses enfants.

En juin 2004, Stéphane Chapin et Bertrand Charpentier étaient « mariés » à Bègles (Gironde) par le maire Vert Noël Mamère. Un événement très médiatisé destiné à promouvoir la cause du mariage homosexuel. En octobre 2006, les deux hommes sont condamnés à de la prison avec sursis pour avoir volé la vieille dame qui les hébergeait…

I.2. Une fois que les « représentants » d’une « communauté » ont associé celle-ci au statut de victime, la deuxième étape consiste à transformer en droit n’importe quelle revendication, de telle sorte que toute contestation soit condamnée. La victimisation devient le levier d’une bataille politique et sociale pour obtenir des dispositions spécifiques, voire pour conquérir le pouvoir.

La discrimination positive se traduit par l’attribution de passe-droits aux membres de catégories ethnico-culturelles ou sexuelles au nom de la « réparation » des injustices (persécutions, colonisation, discriminations) dont ils seraient ou ont été victimes. L’idéal républicain d’assimilation est présenté, dans une conception ethnique de la nation, comme un processus proche de l’ethnocide culturel, dont auraient été victimes « les Bretons », « les Alsaciens », « les Corses », etc. « Les immigrés » et « les populations d’outre-mer » auraient été victimes successivement de la colonisation et du racisme ; tous ces « dominés » mériteraient des compensations sous forme de privilèges divers et variés. On voit fleurir les demandes de réparation, qui émanent non plus seulement de ceux qui ont eu à souffrir d’un préjudice mais aussi de leurs descendants, comme si la souffrance pouvait s’hériter et donner droit à réparation.

Pourtant, comme le relève le philosophe Christian Godin (Marianne, 13 jan. 2007), « il n’y avait pas que des esclaves parmi les ancêtres des immigrés africains mais aussi des rois trafiquants d’esclaves ». Olivier Pétré-Grenouilleau, le meilleur spécialiste français de l’histoire de l’esclavage, a été l’objet d’une campagne de calomnies de la part de groupuscules communautaristes, pour avoir rappelé que la traite « négrière » n’avait pas été une exclusivité européenne : il y eut aussi des traites musulmane et intra-africaine, d’une importance numérique comparable.

De même, « préférer recruter un chômeur français à un étranger est révélateur d’une “xénophobie populiste” mais réserver les emplois et professions des collectivités d’Outre-Mer aux autochtones est une judicieuse prise en compte de la “situation de l’emploi local” » (Anne-Marie Le Pourhiet).

Se développe une concurrence sur le thème de la communauté la plus maltraitée. Les pouvoirs publics se laissent entraîner dans des arbitrages sans fin au lieu de servir l’intérêt général.

Signe de leur victoire idéologique, les lobbies de la discrimination communautariste sortent de l’ombre et bénéficient d’une grande publicité médiatique, tel le club Averroes, censé œuvrer à la promotion des « minorités visibles », et dont le rôle dans celle d’un de ses membres, le journaliste Harry Rozelmack (avec le concours de Nicolas Sarkozy, qui avait annoncé la nouvelle avant même la direction de TF1), a été largement mis en avant.

II

Les pompiers pyromanes

Non seulement la « discrimination positive » n’est pas une solution contre la discrimination, mais elle la renforce.

II.1. La discrimination positive, dans sa mise en œuvre, ne remplit pas son objectif affiché de lutte contre les discriminations

La discrimination positive est-elle efficace, du simple point de vue de son objectif proclamé ? Des études montrent le contraire : sur le long terme, elle renforce ce qu’elle est censée combattre, la discrimination tout court (ou « négative »).

Des chercheurs étatsuniens ont constaté que la discrimination positive entrave les aspirations universitaires des étudiants, noirs, qui sont censés en être les bénéficiaires. Ceux qui entrent dans des universités prestigieuses par ce biais obtiennent de moins bonnes notes que leurs camarades, et ils perdent confiance en eux. Des statistiques montrent que les étudiants noirs issus des universités d’élite ont deux fois moins de chances de faire une carrière universitaire que ceux qui passent par des établissements plus populaires. Une étude sur le parcours des étudiants en droit avance que la moitié des Noirs se retrouvent parmi les derniers de leur promotion, ce qui les conduit souvent à abandonner leurs études. Phénomène qui serait bien moins massif sans la discrimination positive, c’est-à-dire si une bonne partie de ces étudiants avaient intégré des universités moins prestigieuses.

Richard H. Sanders, professeur de droit à l’Université de Los Angeles, estime, dans un article du Los Angeles Times (cité par Courrier international, 3-9 février 2005), que « dans un système qui ne prendrait pas les races en compte, la proportion d’étudiants noirs qui obtiendraient leurs diplômes et réussiraient l’examen du barreau du premier coup passerait de 45 % à au moins 65 %, et le nombre des nouveaux avocats noirs assermentés chaque année augmenterait de 7 % ».

Parallèlement, la promotion de professeurs aux compétences inférieures aboutit à déprécier les établissements où ils ont exercé, et donc les élèves qui les ont fréquentés. Les avocats, médecins, etc. issus de ces établissements seront considérés comme des professionnels de seconde zone, adapteront leurs tarifs à la baisse, et n’auront pour clientèle que les populations modestes, pour une grande part des personnes issues des « minorités »… La boucle est bouclée.

Ward Connerly, orphelin noir, vivant de petits boulots à 14 ans, devenu membre du conseil d’administration de l’enseignement supérieur californien, est un des principaux adversaires de l’Affirmative Action : « Chaque jour dans ce pays, des milliers de femmes ou de membres de minorités ethniques sont embauchés ou font l’objet de promotions, remportent des contrats. Le sexe ou la race ne jouent souvent aucun rôle dans ces décisions. Mais pour beaucoup ils sont suspectés de bénéficier de faveurs exceptionnelles. C’est l’effet le plus odieux de l’Affirmative Action, une nouvelle forme de discrimination qui frappe la réussite des minorités que l’on voulait, précisément, protéger. » Connerly estime que l’Affirmative Action « profite à la classe moyenne noire, pas aux pauvres qui en ont besoin. […] Pire, à cause d’elle, l’Etat s’octroie un certificat de bonne conscience qui l’empêche de se pencher sur leurs problèmes » (Libération, 1er mars 1995).

Quarante ans après leur adoption, les mesures d’Affirmative Action ont été pour partie remises en cause par l’autorité judiciaire ou le pouvoir politique, en même temps que la société prenait progressivement ses distances avec le « politiquement correct », respect de la différence érigé en système.

A l’occasion de référendums locaux (comme dans le Michigan en novembre 2006), les électeurs abolissent la « discrimination positive » (Le Monde, 10 jan. 2007).

Le « malaise de l’homme blanc » fut l’« une des grandes explications du raz de marée républicain aux élections législatives de novembre 1994 » (« Etats-Unis : le malaise de l’ “homme blanc” », Le Monde, 18 février 1995). Des grandes entreprises ont dû « organiser des séminaires pour aider les hommes blancs à gérer leur anxiété et leur démontrer que, non, ils n’avaient pas perdu leur position dominante ». En 1978, la Cour suprême a sanctionné les quotas d’admission par race dans les universités. « Des dizaines de procès ont été intentés à des administrations ou des entreprises par des Américains blancs qui s’estiment injustement écartés en raison de préférences accordées, selon eux, à des femmes ou à des Noirs » (Libération, 1er mars 1995).

En 1996, en Californie, la « Proposition 209 » a interdit tout traitement préférentiel basé sur la race, le sexe, la couleur, l’appartenance ethnique ou la nation d’origine dans les admissions aux universités publiques (Le Monde, 10 jan. 2007).

Quand Le Monde objecte à Ward Connerly, un des promoteurs de la Proposition 209, que la part des minorités à l’Université de Californie est redevenue dérisoire, il répond que « pour les Noirs, c’est un appel à se réveiller. Les portes sont ouvertes, mais vous devez être prêts et étudier au lieu de faire du sport, de vous amuser ou de faire du rap. 40 % des Noirs abandonnent leur scolarité au niveau de la classe de troisième ! »

La Justice commence aussi à remettre en cause le « busing », qui consiste à « assigner d’office un quota d’élèves blancs aux écoles noires et un quota d’élèves noirs aux écoles blanches et assurer leur transport gratuit en autobus », mesure qui contraint des millions d’écoliers à passer une ou deux heures par jour dans les transports scolaires (Le Monde, 17 septembre 1999).

II.2. La discrimination positive, dans son principe, renforce la discrimination

La discrimination positive viole le principe fondamental de la République qu’est l’égalité des droits. Principe auquel les pouvoirs publics ont déjà porté des coups fatals, à travers des révisions constitutionnelles et des lois.

II.2.1. L’égalité des droits, principe fondamental de la République, a été fragilisée par les pouvoirs publics

• La discrimination positive viole un droit fondamental de l’homme et du citoyen. La Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen (DDHC) du 26 août 1789, socle fondamental de la législation républicaine, édicte :

(art. 1) « les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune »

(art. 6) « la loi est l’expression de la volonté générale. Elle doit être la même pour tous soit qu’elle protège soit qu’elle punisse. Tous les citoyens étant égaux à ses yeux sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics selon leurs capacités et sans autre distinction que celles de leurs vertus et de leurs talents »

Ce qui implique que le législateur peut déterminer des différences de droits. Mais, pour être légitimes, celles-ci doivent être justes.

La Constitution de la Ve République édicte, elle aussi dans son premier article, que « la France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. »

Cette disposition appelle une réserve : elle fait un amalgame entre différences choisies (religion) et celles qui ne le sont pas (race, origine).
Il n’en reste pas moins que, dans chacun de ces deux textes, l’égalité « en droits » et « devant la loi » est édictée dès le premier article. Elle est donc première dans les bases fondamentales du régime en vigueur actuellement en France.

Mais les pouvoirs publics ont porté de très graves coups de canif dans le principe d’égalité des droits.

Appelé à interpréter la Loi fondamentale, le Conseil constitutionnel a affirmé que « le principe d’égalité ne s’oppose pas à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général pourvu que, dans l’un et l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport avec l’objet de la loi qui l’établit » et qu’elle se fonde sur des « critères objectifs et rationnels ». Donc le juge constitutionnel se fie à l’intention affichée par le législateur, en oubliant que l’enfer est pavé de bonnes intentions.

Certes, quand les contribuables n’acquittent pas le même impôt, quels que soient leurs charges ou leurs revenus, l’inégalité n’est guère contestable.

Mais le Conseil constitutionnel a introduit l’incertitude par des décisions qui peuvent apparaître comme contradictoires.

D’un côté, il a expliqué que ces « principes constitutionnels s’opposent à toute division par catégories des électeurs ou des éligibles ». Il a donc invalidé les quotas par sexe dans les élections.

De l’autre, il a, en 2000, laissé passer une remise de dettes sociales et fiscales à toutes les entreprises des départements d’outre-mer.

De leur côté, les parlementaires (droite et gauche confondues) ont révisé la Constitution pour permettre d’imposer la « préférence locale » dans certaines collectivités d’outre-mer et en Corse, ainsi que la parité femme-homme (égale représentation dans des institutions), etc.

La loi sur la parité, votée en juin 2000 sous un gouvernement de gauche, est un acte fondateur de la « discrimination positive », car c’est le premier texte de loi qui, pour la première fois depuis Vichy, introduit du biologique dans le politique, fait dépendre les droits d’une personne de ses caractéristiques de naissance.

Le précédent en la matière est une décision du gouvernement de Vichy, qui, en novembre 1940, avait imposé aux conseils municipaux de comprendre une femme, pour s’occuper des questions sociales…

Donc, le juge constitutionnel et le législateur ont, sur le plan juridique, contribué à relativiser le principe d’égalité des droits. « La Constitution comme les lois et la jurisprudence se mettent à juxtaposer des normes ou solutions contradictoires n’obéissant plus à aucune logique intellectuelle » (Anne-Marie Le Pourhiet, Le Droit à la différence, dir. Norbert Rouland, Presses universitaires d’Aix-Marseille, 2002).

• La discrimination positive est déjà à l’œuvre

Exemples

  • Le droit du sang prime sur le droit du sol dans les territoires de la République situés hors métropole : localisme dans le recrutement, ségrégation entre Français dans le droit électoral en Nouvelle Calédonie... [2] Cette politique tend désormais à être étendue aux « quartiers difficile » en métropole même.
  • Dans l’éducation, l’Institut d’études politiques de Paris (Sciences-Po) joue un rôle de pionnier (avec la complicité des grands médias) : son directeur Richard Descoings a passé une convention avec certains lycées, dont les élèves bénéficient d’une voie d’accès spéciale les dispensant du concours, lequel reste la règle pour la grande majorité des candidats. M. Descoings se taille ainsi le costume d’un chevalier blanc de la lutte contre les discriminations, alors qu’en réalité pendant qu’il met en place une petite « réserve de pauvres », la sélection du reste des étudiants n’a jamais été aussi socialement sélective (explosion des droits de scolarité, etc.) – énorme partie de l’iceberg qui reste immergée, grâce à la complaisance des médias. « Plutôt que de modifier le concours d’accès à Sciences-Po, qui comporte en effet des épreuves socialement injustes (langues, culture générale) on préfère créer, à la marge, une voie d’accès aux règles différentes » (Jean-François Amadieu, directeur de l’Observatoire des discriminations, Marianne, 11-17 décembre 2004). La cooptation d’une petite élite visible « issue des minorités » illustre comment la discrimination positive devient alibi pour continuer a discriminer tranquillement. C’est pourtant une recette que certains voudraient généraliser à l’ensemble des formations dites « d’excellence ».

II.2.2. La « discrimination positive » (oxymore) alimente la discrimination

La discrimination positive relève aussi d’un processus d’exclusion, tandis qu’elle enferme ses supposés bénéficiaires dans leur “déterminisme”.

II.2.2.1. S’il « n’y a pas assez de », c’est qu’il « y a trop de »

• Avec la discrimination positive, l’interdiction de « discriminer » se contredit elle-même en imposant la discrimination du moment qu’elle bénéficie aux « opprimés » supposés : femmes, homo-bi-trans-sexuels, « issus de l’immigration » élargis récemment aux « issus de la diversité » (« Combien de candidats issus de la diversité ont-ils été désignés pour les législatives de 2007 ? » questionne Le Monde daté 31 octobre 2006, tandis que Le Figaro évoque le 31 août 2006 « les farouches partisans de la diversité à la télévision »), etc.

Or, « dès lors qu’est introduite une discrimination, elle sera toujours positive pour celui qui en bénéficie et négative pour celui qu’elle exclut » (Anne-Marie Le Pourhiet, (Le Débat, mars-avril 2001)). Il n’y a pas, en réalité, de discrimination positive ou de discrimination négative, il n’y a que des discriminations.

De la même façon que s’il y a victime, il y a un bourreau, dire « il n’y a pas assez de » revient à dire « il y a trop de ». La banalisation du comptage catégoriel justifie ainsi des démarches telles que celle de Renaud Camus, qui en 2000, dans son livre La Campagne de France, faisait scandale en s’offusquant que tous les participants d’une émission de France Culture étaient juifs.

Ou celle de Georges Frêche, président (PS) du conseil régional de Languedoc-Roussillon, quand il s’étonne de la surreprésentation des Noirs dans l’équipe de France de football.

Quand l’Institut d’études politiques de Paris (Sciences Po) ménage un recrutement sur dossier pour une fraction choisie de la population, il élimine d’autres jeunes relevant eux du droit commun du concours.

• En minimisant les talents et le mérite au profit d’autres critères, la discrimination « positive » suggère pour le sens commun que ses bénéficiaires sont moins compétents. D’où, logiquement, l’idée selon laquelle on est moins compétent quand on est noir, femme, etc. (comme on a pu l’observer avec l’Affirmative Action aux Etats-Unis d’Amérique, voir plus haut II.1.) Donc la discrimination positive alimente les aprioris racistes, sexistes, bref, les réflexes qu’elle est censée combattre.

Recevant les patrons des chaînes publiques de télévision, le 22 novembre 2005, le président de la République Jacques Chirac s’est opposé aux quotas, car c’est « un système qui a pour résultat de montrer du doigt celui qui en bénéficie et d’être difficilement explicable à celui qui en est exclu » (Le Monde, 24 nov. 2005).

Valider l’origine ethnique comme un des critères d’accès a certains droits est precisément la revendication de base des racistes. Au nom du « droit à la différence », on établit une différence des droits. On reconnaît aisément des théories « différencialistes » popularisées à partir des années 1970 par le courant d’extrême droite dit « Nouvelle Droite ».

II.2.2.2. L’assignation à résidence communautaire

En France, le discours communautariste n’est pas majoritaire au sein des prétendues « communautés » : la majorité silencieuse ne perçoit pas comme prioritaire sa composante identitaire spécifique. Les « leaders » communautaires sont, au mieux, les élus indirects d’une nébuleuse associative et militante, au pire des chefs de groupuscule. Par exemple, relève Julien Landfried, directeur de l’Observatoire du communautarisme (dans Témoignage Chrétien, 10 novembre 2005), les adhérents des organisations membres du Crif s’élèvent, d’après les chiffres fournis par celui-ci, à environ 100 000 personnes, sur environ 600 000 Juifs en France. Et « pour les organisations musulmanes, l’UOIF doit avoir entre 30 000 et 40 000 adhérents, ce qui est très peu par rapport au nombre de musulmans en France. Quant à la “communauté” homosexuelle, une organisation comme Act-up ne regroupe tout au plus qu’une cinquantaine de militants, l’Inter-LGBT est aussi un groupuscule. » C’est avec la complicité des médias et souvent des politiques que les activistes communautaristes usurpent la légitimité et confisquent la parole des groupes qu’ils prétendent représenter, afin de démultiplier l’influence de leurs propres idées.

Pour « maintenir l’ordre », les leaders communautaristes – et non pas communautaires – qualifient de déviant ou d’aliéné le membre du groupe qui refuse de suivre le troupeau, utilisant des méthodes d’intimidation : stigmatisation des « traîtres » à la cause, « outing », etc. Les personnes qui entendent rester libres et refusent tout fanatisme de la différence identitaire s’exposent à être marginalisées, stigmatisées, calomniées, comme on le constate pour des jeunes filles d’origine musulmane dans certains quartiers, établissements scolaires, etc.

L’intimidation est le « bâton » du pouvoir communautariste ; la discrimination positive sera la « carotte ».

Instrument du communautarisme, la discrimination positive est néfaste non seulement pour l’ensemble des citoyens, mais aussi pour les membres des prétendues « communautés », puisque, s’ils veulent bénéficier des avantages liés à l’appartenance communautaire, ils doivent renoncer à leur libre-arbitre, à leur liberté de se reconnaître ou pas dans telle ou telle démarche communautaire. C’est d’ailleurs pourquoi les idéologues communautaristes s’attachent à imposer un concept de « communauté » là où l’individu n’a pas son mot à dire quant à son appartenance ou non : sexe, religion de ses ascendants, origine ethnique, voire préférences sexuelles. C’est l’« assignation à résidence communautaire » (Pierre-André Taguieff).

La discrimination positive, en créant des inégalités au bénéfice de certains, et en identifiant par leur appartenance à un groupe « identitaire » les bénéficiaires de ces inégalités, les incite à se replier sur cette « identité ». Ainsi, aux Etats-Unis d’Amérique, l’Affirmative Action n’a fait que renforcer les revendications d’appartenance ethnique. « Si elle a favorisé la promotion de quelques-uns, elle a desséré encore plus un lien social fragilisé » (Alain-Gérard Slama, Pouvoirs, nov. 2004). L’Affirmative Action a conforté les communautés dans leurs particularismes, au lieu de les intégrer.

La discrimination positive est donc particulièrement pernicieuse à long terme puisqu’elle agit chez l’individu comme un dissolvant des concepts de citoyenneté et de l’intérêt général.

Conclusion

La revendication de « discriminations positives » relève non d’une lutte contre l’injustice, mais de stratégies de leaders communautaires plus ou moins représentatifs aspirant à accroître leur pouvoir.

La « discrimination positive » ne permet pas de lutter contre les discriminations. Au contraire, elle les alimente. Le principal effet de la « discrimination positive » est de légitimer la discrimination et de jeter aux oubliettes l’égalité des droits, principe républicain fondamental. Loin d’intégrer, elle fait éclater la société. Elle ne répare pas la « panne » de l’« ascenseur social » mais met en panne la République.

Pourtant, c’est une orientation qui, certes pour des raisons différentes, transcende les clivages politiques. M. Sarkozy (UMP) revendique ouvertement cette option, dans le cadre de la politique communautariste qu’il promeut. Mais la discrimination positive est aussi promue par des courants d’idées et des personnalités du Parti socialiste.

L’échec avéré des politiques fondées sur l’égalité des chances et la méritocratie est un prétexte pour mettre en pièce l’idéal républicain lui-même. On jette le bébé (la République) avec l’eau du bain (les manquements dans l’application des principes républicains). Or, la discrimination positive ne change rien à la discrimination. Elle en assure au contraire la pérennité. Elle est un cache-misère qui évite de s’attaquer en profondeur aux racines de l’inégalité des chances.

A contrario, une démarche républicaine exige d’explorer au moins deux pistes.

Lutter contre les discriminations négatives

C’est la voie privilégiée par toutes les autres démocraties – hors la sphère anglo-saxonne –, notamment les pays scandinaves, par exemple pour assurer l’égalité de droits entre les femmes et les hommes. Certaines mesures dérogatoires à la règle commune (zones franches urbaines, zones d’éducation prioritaire) tendent à favoriser les conditions de l’égalité des citoyens devant la loi, en supprimant les discriminations négatives : les bourses, les subventions, la défiscalisation des zones prioritaires bénéficient à tous et ne lèsent personne ; il est donc abusif de les amalgamer à de la « discrimination positive », sauf si elles visent un groupe défini par son origine.

C’est la différence, dans le système éducatif, entre l’ESSEC (soutien en amont dans la préparation du concours d’entrée) et Sciences-Po (exemption du concours d’entrée) : « le premier aide à franchir l’obstacle alors que le second l’enlève » (Anne-Marie Le Pourhiet), le premier respecte la règle du jeu méritocratique et l’égalité des droits, le second la bafoue.

Aux Etats-Unis, « l’accent est de plus en plus mis sur l’éducation comme méthode d’intégration, plutôt que l’inverse » (Sylvie Kauffmann, Le Monde, 17 septembre 1999) : « un enfant tirera peut-être meilleur parti de l’enseignement de l’école de son quartier si elle dispose d’autant de ressources que les écoles des quartiers blancs ». En France, le rapport du Haut Conseil à l’intégration (2004) préconise pour les « jeunes en difficulté » de généraliser les expériences d’apprentissage, de développer les « stages en entreprises, la découverte des métiers ».

« Il ne suffit pas, peut-on lire dans Politis (15 juin 2000) d’escamoter le symptôme (l’absence visible de personnes d’origine étrangère à la télévision) pour conclure que la maladie est enrayée. C’est tout un travail d’accès à l’égalité sociale qui fait défaut. […] Le travail de visibilité des blacks ou des beurs à la télévision passe par un travail invisible d’éducation et d’émancipation. l’image télévisée doit l’accompagner, pas s’y substituer ».

En ne sacrifiant pas les principes à l’utilité sociale, la lutte contre les discriminations négatives écarte les effets pervers des discriminations positives et s’inscrit dans la défense de l’intérêt général.

Faire prévaloir l’intégration et la responsabilité

Hannah Arendt (Essai sur la Révolution) écrivait : « La pitié prise comme ressort de la vertu s’est avérée posséder un potentiel de cruauté supérieur à celui de la cruauté elle-même. »

Il est évidemment plus difficile à des enfants d’immigrés de réussir rapidement dans la société d’accueil qu’à des nationaux de souche. Mais ce handicap naturel est aggravé par le culte de la différence (« multiculturalisme » ou le « relativisme culturel »), porté par des associations qui ont l’oreille des pouvoirs publics.

Une certaine gauche, mais aussi des pans entiers du système scolaire, incitent notamment les plus jeunes à refuser les valeurs et les règles de vie communes et alimentent une méfiance croissante du reste de la société. Méfiance que l’on qualifie à tort de racisme puisque ce qui est en cause n’est pas l’origine mais le comportement.

Aussi est-il temps de réhabiliter la notion de responsabilité, devenue tabou du fait de l’imprégnation de la société par le communautarisme (« je n’ai aucune part dans ce qui m’arrive car cela est dû à mon appartenance communautaire »).

E. M.


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