La burqa pour quoi faire ?

par Marc Antoine 18 juillet 2009

L’Assemblée nationale vient de créer une mission d’information sur le port de la burqa et du niqab. Notre première interrogation porte sur l’engouement suscité par l’initiative du député André GERIN et de quelques-uns de ses collègues.

Chaque semaine à l’Assemblée nationale une vingtaine de propositions de loi, de commissions d’enquête, de missions d’information ou de résolutions sont déposées dans la plus grande indifférence. Ces propositions existent mais la mécanique médiatique ne les relaie pas car elles ne semblent pas correspondre aux yeux des journalistes aux préoccupations de nos concitoyens. Dans le présent cas la réponse médiatique et sociale fut quasi immédiate et son ampleur provoqua même l’intervention du président de la République et du gouvernement.

L’immédiateté et l’engouement que provoqua cette proposition de mission
parlementaire sont probablement révélateurs des peurs profondes que
provoquent la radicalité de ces signes (burqa et niqab) et du groupe religieux qui impose son port (salafiste). Peur du signe ou peur du groupe : les deux se
confondent et sont consubstantiels même si leurs champs d’application diffèrent, le signe occupant le champ symbolique et le groupe le champ politique.

I. La burqa est-elle un signe religieux comme les autres ?

Nous n’entrerons pas dans les débats de spécialistes sur le caractère
religieux, sectaire ou non, de ces signes et sur l’étendue de la prescription de leur port par certains courants de l’islam.

Si jamais nous considérons que la burqa et le niqab sont des signes
religieux comme les autres (le voile simple, la kippa ou la croix) alors nous devons leur appliquer le même régime de liberté. Régime de droit commun qui autorise le port de signes religieux en privé et en public sauf, au nom de la laïcité, de la part des agents publics et assimilés lorsqu’ils sont en fonction et les élèves dans les écoles publiques.

Mais à ce jour la burqa et le niqab ne sont pas considérés juridiquement
comme des simples signes attachés à une pratique religieuse. Ces vêtements
couvrant l’ensemble du corps et du visage des seules femmes sont le signe d’une radicalité de la pratique religieuse que le Conseil d’Etat considère (Décision n°286788 du 27 juin 2008, Leban) comme « incompatible avec les valeurs essentielles de la communauté française et notamment avec le principe d’égalité des sexes ». Cette considération conduira le Conseil d’Etat à refuser la naturalisation d’une femme portant la burqa pour non respect de la condition d’assimilation posée par le code civil.

De même la Halde qui est en général connue pour ses avis très bienveillants
à l’égard des signes et pratiques religieuses (même de la part de personnes
collaborant occasionnellement avec le service public), a considéré qu’il n’était pas contraire à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme (CEDH) d’obliger au retrait de la burqa ou du niqab pour suivre une formation.

Par ailleurs, est-ce qu’un signe ou un comportement doivent nécessairement être acceptés parce que son origine serait religieuse ? La loi française et la CEDH protègent l’exercice du culte mais avec des limites. L’origine religieuse d’une coutume n’implique pas la disparition de toutes règles républicaines contraires.

Certains revendiquent, par exemple, le droit de pratiquer l’excision au nom de la religion ; la loi républicaine le proscrit et les juridictions françaises condamnent les auteurs de telles mutilations sur les jeunes filles.

Dans cet esprit, le Conseil d’Etat a également considéré que le traitement particulier réservé à ces voiles intégraux n’a « ni pour objet, ni pour effet de porter atteinte à la liberté religieuse de l’intéressée [et] ne méconnaît, ni le principe constitutionnel de liberté d’expression religieuse » ni l’article 9 de la (CEDH).

La burqa et le niqab ne sont dont pas juridiquement des signes religieux comme les autres.

II. La burqa est-elle un signe symbolique comme les autres ?

La particularité de ces deux signes est de recouvrir l’ensemble du corps et du visage pour ne laisser entre-apercevoir que les yeux (par le niqab). Cet habit, ce signe, marque la disparition de l’individu au profit de la seule appartenance au groupe qui prescrit cette coutume. L’individu s’efface pour laisser place à du nonêtre. La violence de l’anéantissement total de la singularité révèle la puissante radicalité du groupe dans lequel les porteuses se fondent.

Ces vêtements sont subjectivement les signes les plus violents de la négation de l’individu qui se voit réduit à n’avoir pour seule fonction que la mise en exergue de sa communauté.

Certains objecteront que, dans d’autres pays, la portée symbolique est toute
autre. Cela est fort probable car tout signe ou symbole est perçu dans un cadre culturel donné. Ce qui ailleurs est présenté comme un éventuel signe de la pudeur est considéré ici comme particulièrement ostentatoire.

Il est paradoxal que, ce qui a pour fonction de cacher, ait un effet inverse de
mise en évidence.

Les symboles ne sont pas des « en soi absolus » ; ils existent dans une
société donnée et à une époque particulière. En France, aujourd’hui, ces
vêtements symbolisent la négation de la singularité et la soumission voire
l’oppression des femmes par les hommes.

Etant entendu que la servitude peut être volontaire, en France le
consentement n’a pas pour effet systématique d’enlever à un acte son caractère illégal. Par exemple, il est interdit sur la voie publique de tout montrer, c’est-à-dire de se promener nu, même si la personne dévêtue consent à s’exhiber ainsi.

Pourquoi, alors qu’il est interdit de tout montrer par excès d’exposition de sa singularité, ne serait-il pas interdit de tout cacher par excès de négation de l’individualité ?

III. La burqa est-elle un objet de domination sexuelle ?

Nous avons évoqué la négation de l’individualité mais soyons honnêtes, les
seules individualités ainsi niées sont celles des femmes.

Cette disparition ne s’applique jamais aux hommes car elle est le signe de la
soumission (et les hommes membres de ces groupes religieux ne se soumettent qu’à Dieu). L’égalité entre femmes et hommes est un long chemin et notre société n’est pas exempte de toute critique. Mais pouvons-nous accepter que les coutumes de groupes particuliers prétendent venir en concurrence avec les règles et les valeurs de notre société ? Tolérons-nous qu’aujourd’hui en France des femmes acceptent et exhibent « la soumission totale aux hommes de [leur] famille » (Conseil d’Etat DC 27 juin 2008, conclusion commissaire du gouvernement) ?

Ce serait une régression pour ces femmes, en particulier celles auxquelles on nie l’individualité et l’égalité des droits. Mais c’est aussi une oppression pour les musulmanes en France qui, depuis des années, pratiquent un islam moderne et qui pourront se sentir contraintes par ces signes de radicalité les présentant comme de « mauvaises musulmanes ».

Enfin, c’est un affront fait à l’ensemble des femmes de France qui, par ces
seuls signes, perçoivent la fragilité de l’égalité qui leur est accordée par la loi et comprennent que la République ne les protègera pas forcément de la servitude. La loi se doit de garantir aux femmes et aux hommes les mêmes droits et d’exiger les mêmes devoirs, même au-delà de leur volonté singulière.

Le droit français ne se réduit pas à l’échange de consentements sur une
norme commune. Il existe une place pour la convention et une place pour la loi ; les droits fondamentaux - parmi lesquels l’égalité des sexes - ne peuvent dépendre de la volonté particulière. Ils ne sont pas négociables.

IV. La burqa viole-t-elle la laïcité ?

L’honnêteté intellectuelle nous oblige à reconnaître que le port de la burqa
dans la rue ne porte pas atteinte directement à la forme laïque de l’Etat, ne
contrevient pas au principe selon lequel l’Etat ne reconnaît aucun culte. Il en
serait autrement si la burqa était portée à l’école publique ; cela contreviendrait à la loi de 2004 sur l’interdiction des signes religieux à l’école publique.

Même si la forme laïque de l’Etat n’est pas directement remise en cause,
l’idée de laïcité de la République est-elle sérieusement écornée ? Car il s’agit bien en l’espèce du rapport que notre société entretient avec un signe religieux expression de radicalité. L’Etat laïque n’est pas violé mais la société française, fondée sur des valeurs humanistes, de respect de l’individu, de liberté et d’égalité est interpellée.

L’espace civique est le lieu dans lequel la liberté doit pouvoir s’exprimer mais il n’existe aucune liberté sans borne, sans cadre. Même les libertés les plus absolues de conscience et de pensée ne peuvent se déployer que dans les limites culturelles et temporelles d’une société donnée (les philosophes les plus éclairés reconnaissent que leur pensée et qu’eux mêmes n’étaient – ne sont ? – que des êtres de leur temps).

A fortiori, la coutume et la volonté des individus ne sauraient être omnipotentes dans un Etat de droit. Toute liberté comporte des limites au titre des autres libertés fondamentales. Ces limites sont souvent fondées sur le refus du trop grand déséquilibre entre les parties. Le contrat ou la coutume acceptés ne peuvent pas transformer en droit un rapport de force trop déséquilibré ou disproportionné. Le voile intégral est l’expression de ce déséquilibre profond dans les rapports entre homme et femme.

Quelles sont donc ces bornes, ces valeurs de la société que la Burqa transgresserait ? La liberté d’abord, que les citoyens ne peuvent aliéner même par consentement. L’égalité ensuite, car ce signe marque une discrimination sexuelle. La laïcité enfin, car notre société française ne peut accepter le communautarisme et l’intégrisme religieux qui tendent à imposer à un groupe des normes concurrentes et contraires à l’ordre public républicain.

V. Le voile, un acte politique !

Le signe en lui-même est un symbole, mais le groupe qui impose son port se comporte en acteur de la vie politique. Nous savons notamment, depuis la
précédente commission parlementaire présidée par Monsieur Debré et la
commission Stasi, que le port de ces signes religieux fait l’objet, de la part des frères musulmans et de l’UOIF, d’actions concertées ayant pour objet de tester les limites de la République et sa résistance aux aspirations communautaristes.

Le caractère laïque de notre régime politique et le refus du communautarisme par la République heurtent les organisations religieuses les moins matures et les plus radicales.

Il existe une concurrence normative entre les religions et la nation puisque
chacune de ces institutions prétend imposer l’application de son corps de règles à ses ressortissants. Notre République laïque a tranché : la religion peut s’exprimer dans la sphère privée et l’espace civique mais n’a pas à s’immiscer dans la sphère publique. Cette séparation déplaît à certains clergés qui régulièrement cherchent à faire bouger les lignes. Les tentatives existent lorsque la République paraît faible sur les principes qu’elle défend. Et les tensions s’estompent lorsque notre société assume pleinement les valeurs de liberté de penser et d’égalité (des sexes notamment) qui sont les siennes.

J’en veux pour preuve la loi de 2004 sur l’interdiction des signes religieux
à l’école publique. Avant cette loi les incidents se multipliaient dans de très
nombreuses écoles. Les statistiques ministérielles sous-estimaient, camouflaient, niaient le phénomène, de peur de le voir exister. Certains groupes religieux incitaient leurs membres à multiplier et médiatiser les incidents pour faire passer leurs filles pour des victimes de l’intransigeance laïque. Leur communication fut intelligente et efficace car elle était dirigée par des esprits excellemment formés et doués d’un sens politique affirmé.

Mais cette fois-ci le communautarisme ne l’a pas emporté. La loi a réaffirmé avec clarté et force la laïcité et les valeurs auxquelles nous tenons. Alors
les incidents se sont dissipés puisque les limites posées par la loi étaient à
nouveau assumées par l’Etat.

C’est cette fonction que devrait à nouveau remplir la mission d’information
parlementaire. Une loi ne sera peut être pas nécessaire s’il s’avère que les
musulmans de France proscrivent le port du voile intégral et que celui-ci n’est effectivement pas porté. Mais si ce n’est pas le cas, nous appellerons alors une loi de nos voeux pour rappeler que, sur le territoire français, l’Etat combat les velléités communautaristes, accorde aux femmes et aux hommes les mêmes droits et promeut un espace civique dans lequel la liberté de conscience peut se construire et se déployer.

Marc Antoine


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