Note de lecture

L. Slimani : Lire contre les fous de dieu

par Pierre Biard. 26 janvier 2017

Leïla Slimani, Le diable est dans les détails, L’Aube/Le1, 64 pp., 9,90 €.

Dans des articles qui s’inspirent en partie de la réalité vécue, une écrivaine franco-marocaine réfléchit à la question musulmane au Maroc et en France.

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Ces six textes, rassemblés sous le titre de la nouvelle qui ouvre ce petit livre de moins de soixante pages, devraient retenir l’attention de tous les lecteurs. Ces récits ont d’abord paru, entre 2014 et 2016, dans Le 1, hebdomadaire atypique, par son titre et par son contenu : chaque semaine, des intellectuels de renom, journalistes, chercheurs, politistes, artistes, romanciers et poètes, sont invités à s’exprimer librement sur une question d’actualité [1]. En octobre 2014, Eric Fottorino, directeur du 1, sollicite une jeune écrivaine, qui vient de publier un premier roman [2].

Cet ouvrage, que l’on pourrait juger sulfureux, a attiré l’attention de la critique, en partie par le contenu, surtout par la qualité de l’écriture qui augure bien de l’avenir. Deux ans plus tard, après un second roman [3], Leila Slimani obtient le prix Goncourt. Cette Franco-Marocaine a passé son enfance et son adolescence au Maroc. Après des études supérieures à Paris, où elle s’est installée, elle s’est mise à écrire, comme journaliste d’abord puis, en se consacrant presque entièrement à sa vocation d’écrivaine.

Les six textes qu’elle a donné au 1, avant de les réunir en un seul livre, ont paru entre 2014 et 2016, le premier ayant été placé par le journal sous le titre "Réflexions sur la question musulmane". De fait, ces dernières années, un certain nombre de croyants se réclamant de l’islam, ont incontestablement posé un grave problème aux responsables politiques comme à tous les citoyens, ce n’est pas faire injure à une religion que d’inviter à réfléchir à son sujet.

Il est vrai que le titre du premier récit, pas plus que celui de l’ouvrage, n’invite à poser la question en ces termes et une prise de connaissance trop rapide pourrait faire douter de l’homogénéité du contenu. Une lecture plus attentive fait clairement apparaître la cohérence des différentes parties. Le texte d’ouverture, ainsi que le troisième ("En attendant le Messie") se situent au Maroc, ils se présentent tous les deux comme des fictions, mais celles-ci s’inspirent fortement de ce qu’a vu et entendu Leïla Slimani.

De ce qu’elle a dit aussi. Car, vivant dans une famille francophile où on lisait les philosophes des Lumières, elle avait acquis un sens critique aiguisé : à huit ans, à l’école où l’on apprenait par cœur le Livre saint, elle s’était fait gifler par la maîtresse, pour avoir osé contester la véracité d’une sourate ! Au Maroc, tel qu’il est, semble t-il, de plus en plus pratiqué, l’islam vécu pourrit littéralement la vie quotidienne des croyants restés, comme auparavant, sages et modérés, et encore plus celle des esprits ouverts à l’occident. C’est cet islam rigoriste et fort peu éclairé qui s’est exporté en Europe et dont certaines composantes animent les fous de Dieu.

Contre ceux-là, Leila Slimani lance un cri d’alarme. Dans le quatrième article (" Intégristes je vous hais"), ce n’est plus seulement la romancière qui parle, mais la journaliste engagée qui appelle à se mobiliser. Horrifiée par les actes de ceux qui sont allés jusqu’à assassiner froidement des enfants (Mohammed Merah, 2012), par le délire de ceux qui ont tué à Charlie, à l’Hyper Cacher, au Bataclan, à Nice et ailleurs, elle n’hésite pas, malgré les risques encourus, à écrire : "Moi, née musulmane, Marocaine et Française, je vous le dis, la charia me fait vomir" (p. 40). Et elle fustige ceux qui, par lâcheté, ou par démagogie, par un hypocrite respect de toutes les cultures, refusent de voir la vérité en face.

Mais si l’indignation est relativement aisée, il est plus difficile de découvrir les moyens de la lutte. Pas pour Leïla Slimani. Dans le cinquième texte ("Française, enfant d’étrangers"), en guère plus de deux pages, elle donne un bel exemple de sagesse par l’évocation des réunions festives des membres de sa famille, si différents par l’origine (un oncle juif, une grand-mère alsacienne et germanophone, un grand père musulman et algérien...), si joyeux de se retrouver ensemble à Noël. Et surtout (textes 2, "Une armée de plumes", et 6, "Un ailleurs") et c’est sans doute là la grande originalité du livre, elle mobilise ce qu’elle nomme joliment une armée de plumes, c’est à dire d’écrivains.

Car la littérature "plus que jamais nécessaire" peut constituer une arme puissante, non pas qu’elle prétende terrasser l’hydre du crime, mais parce qu’elle a une profonde influence sur la vision que chacun se fait du monde. L’œuvre de fiction "peut tout dire... côtoyer le mal, raconter l’horreur..." et ainsi ausculter sans fard et sans complaisance, "ce que nos sociétés produisent de plus laid, de plus dangereux et de plus infâme" (p. 22) L’écrivain porte donc une lourde responsabilité, et c’est pourquoi il faut le soutenir, surtout lorsqu’il ne recule pas devant les menaces de mort, comme l’ont fait Salman Rushdie, Kamel Daoud ou le grand écrivain Alaa El-Aswany.

Le texte qui clôt l’ouvrage est celui qui convainc avec le plus de force qu’il est possible de l’emporter sur la barbarie. C’est aussi le plus émouvant. Il parlera au cœur de ceux qui, enfants, se sont évadés d’un milieu dont l’horizon était limité, où leur naissance, la pauvreté, l’ignorance ou les traditions pesantes les avaient enfermés. C’est le plus bel hommage que l’on peut rendre au pire ennemi des fanatiques, au livre. Pas à un livre, au seul qui compte pour les adeptes obscurantistes du Livre saint, tous les autres devant être brûlés. Non, à tous les livres et à toutes les bibliothèques qui les conservent.

Il faut lire et faire lire aux enfants la belle histoire que conte Leïla Slimani, celle de cette jeune fille qui est cloîtrée chez ses parents - il n’est pas bon qu’une fille aille jouer dehors, qu’elle marche dans la rue et se mêle à la foule. Et pourtant elle s’évadera, elle voyagera loin, très loin, dans le monde entier. Grâce aux livres, dont par chance elle pouvait disposer parce que son père, qui n’en lisait plus aucun, en avait acheté un grand nombre.

Pierre Biard

[1Le 1, "Une question d’actualité, plusieurs regards", se vend en kiosque (2,80 €), dans certaines librairies ou par abonnement, tél. 01 44 70 72 34 ou abo@le1hebdo.fr .

[2Leïla Slimani, Dans le jardin de l’ogre (Gallimard, 2014).

[3Chanson douce (Gallimard, 2016).


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