Revue de presse

J.-Y. Camus : « Ce sont les catholiques qui ont évolué, pas Marine Le Pen » (lavie.fr , 21 avril 22)

Jean-Yves Camus, politologue spécialiste de l’extrême droite, directeur de l’Observatoire des radicalités politiques de la Fondation Jean-Jaurès. 22 avril 2022

[Les éléments de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

"Quel rapport entretient Marine Le Pen à la foi et à l’Église ? Comment cela nourrit-il sa politique et son électorat ? L’analyse du politologue Jean-Yves Camus.

Interview Alice d’Oléon

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Selon un sondage La Croix, Marine Le Pen a recueilli 21 % des voix des catholiques pratiquants réguliers au premier tour de l’élection présidentielle. En 2017, 38 % des catholiques pratiquants avaient voté pour elle au second tour (soit deux fois plus que pour son père en 2002 - 17 %).

Jean-Yves Camus, politologue spécialiste de l’extrême droite, est directeur de l’Observatoire des radicalités politiques de la Fondation Jean-Jaurès. Il revient sur l’évolution du vote catholique de ces dernières années et du positionnement de Marine Le Pen.

Marine Le Pen confie souvent avoir été très pieuse enfant, puis s’être détachée de l’Église, choquée de la rudesse avec laquelle le clergé traitait les Frontistes. Quelles conséquences son parcours de foi personnel et familial a-t-il encore aujourd’hui sur sa vision de la France et sur sa politique ?

Dans le premier tome de ses mémoires, Jean-Marie Le Pen raconte avoir de son côté un rapport compliqué avec la pratique religieuse. Il fait partie de ceux qui ont reçu une éducation religieuse classique, il est né dans une famille catholique comme c’était souvent le cas dans la Bretagne de l’époque, mais il a pris ses distances avec la religion au cours de sa scolarité. Distances qu’il impute au fait qu’il n’a pas été admirablement bien traité par les enseignants de son internat jésuite à Vannes. Il est cependant resté attaché à la foi de son enfance et à une certaine vision de l’Église comme gardienne de l’ordre (il penche pour les lefebvristes), davantage qu’à son contenu doctrinal.

Marine Le Pen est, quant à elle, je pense, assez indifférente à la chose religieuse et en cela, elle est assez représentative de sa génération. Mais elle s’est aussi éloignée de l’Église parce que l’épiscopat de son adolescence avait des mots très durs à l’égard du Front national. Je ne peux rien dire de sa foi, je pense que cela ne l’a pas altérée. Mais en parallèle je pense qu’elle a fait le constat que ce pays s’était déchristianisé extrêmement rapidement et que compter sur l’électorat des messalisants pour arriver au pouvoir était devenu un pari très risqué. Qui plus est, elle a compris qu’à l’intérieur même du FN, ceux qui naguère représentaient le courant traditionaliste n’étaient plus si nombreux. C’est sur Bruno Gollnisch que ce courant s’était porté en 2011 et non sur elle.

En interne, elle a pourtant dû, pour s’imposer à la tête du parti, affronter les membres de la tendance traditionaliste. Est-ce que cela a profondément modifié le parti et sa cible électorale ?

Entre le début des années 1980 et le début des années 2000, il y a eu un poids réel de personnalités actives dans le monde catholique traditionaliste, mais ces militants ne sont plus ou s’ils sont encore vivants, comme Bernard Antony, leur impact est aujourd’hui minime. Les « tradis » au sein du FN avaient du poids jusqu’aux années 2000 mais ne constituent plus une sensibilité à ménager en interne.

L’électorat de Marine Le Pen est aujourd’hui culturellement catholique, encore attaché à un minimum de référentiel se résumant à ce que la France est historiquement un pays catholique, mais ce sont, comme elle, des « catholiques de parvis » peu pratiquants.

Est-ce elle qui s’est éloignée de l’électorat catholique ou s’agit-il de deux mouvements concomitants finalement ?

Les « tradis », pour employer le terme consacré, il en existait une partie très politisée qui pouvait pencher vers le Front, mais beaucoup étaient avant tout des conservateurs, qui pouvaient très bien se contenter du parti de la droite de gouvernement. Sens Commun (mouvement conservateur créé en 2013 en opposition à la loi Taubira, ndlr) n’a jamais été le moins du monde attiré par le FN. Si on remonte plus loin, il y a pu y avoir un certain tropisme de la Cité catholique (organisation catholique traditionaliste créée en 1946, ndlr) vers l’extrême droite, mais pas que, car sa raison d’être était de constituer un cercle d’influence touchant les élites. Si vous voulez que vos idées passent, il faut chercher à les disséminer dans des partis qui ne sont pas seulement émergents, comme l’était alors le FN, mais au RPR et à l’UDF d’alors.

En parallèle, quand on a l’ambition de devenir président, on ne peut caler son logiciel idéologique sur une minorité dans la minorité. Ce que Marine Le Pen a compris alors que c’est sans doute ce qui a coûté à Éric Zemmour beaucoup de voix au premier tour. Il y avait chez lui une volonté de s’adresser constamment aux milieux catholiques traditionalistes, il a donc trop parlé à ceux-là, et pas assez aux autres.

Les relations entre les évêques de France et le FN ont souvent été houleuses (certains allant jusqu’à refuser le baptême à des élus frontistes). Aujourd’hui, l’épiscopat français ne se prononce pas de manière si évidente. Que s’est-il passé ? Marine Le Pen a-t-elle rendu le parti moins « incompatible avec les valeurs de l’Évangile » ? Ou est-ce le clergé qui a changé ?

Il n’y a pas eu de déclaration récente, et je crois qu’aucun membre de l’épiscopat n’a pris position sauf l’évêque de Strasbourg (Mgr Luc Ravel, ndlr), mais est-ce leur rôle de prendre parti dans un second tour d’élection présidentielle ? Finalement, est-ce que l’épiscopat ne s’est pas aussi aperçu que le surengagement qui avait été le sien, n’avait pas divisé dans l’Église ? Depuis 2012, on voit que de plus en plus de catholiques ostracisent moins l’extrême droite, pour des raisons qui n’ont rien à voir avec les évêques mais plutôt avec la question identitaire. Le monde catholique a évolué, on a vu une nouvelle génération de catholiques engagés émerger au moment de la Manif pour tous en 2013, dont les voix sont passées majoritairement chez Éric Zemmour. Ce sont les catholiques qui ont évolué en fait, pas Marine Le Pen.

Qu’entendez-vous par cela ? Comment les catholiques ont-ils évolué ?

On a une évolution du vote catholique, à replacer dans un contexte plus général de crise sur les valeurs sociétales, mais aussi de montée de l’islam politique et des attentats, ce qui compte énormément. Il faudrait pouvoir mesurer l’impact dans l’électorat catholique de la mort du père Hamel ou de l’attentat de Nice par exemple. Cela a dû infuser dans cet électorat et on ne peut pas le lui reprocher. Si votre église devient une cible, si des fidèles peuvent être abattus en plein office, il y a, incontestablement, un palier qui est franchi. Mais le vote qui glisse à droite n’est alors pas une réponse religieuse, il est plutôt une réponse identitaire.

D’un côté, Marine Le Pen évoque en interview « des catholiques traditionalistes, des païens, et des nazis » gravitant autour d’Éric Zemmour et, de l’autre, elle multiplie les allusions aux « racines chrétiennes de la France » qui lui sont chères. Marine Le Pen compte-t-elle encore sur cet électorat catholique conservateur selon vous ?

Elle a bien vu qu’il existait un mouvement de glissement à droite d’une partie de l’électorat catholique et avant que la candidature d’Éric Zemmour ne se matérialise, cet électorat, qui s’était retrouvé dans la candidature de François Fillon en 2017, était devenu une terre labourable à ses yeux. Elle doit donc s’adresser à cet électorat, mais est-ce que parler des « racines chrétiennes » de la France suffit ? Dire que la France a des racines chrétiennes c’est une évidence première, nos paysages en attestent assez largement. Mais qu’est-ce que cela nous dit sur la politique ? Rien.

Son projet politique n’est pas conforme à ce que les « tradis » attendent : sur la loi Taubira, on l’a peu entendue, sur l’IVG, on l’a très peu entendue, elle ne reviendra pas sur la loi Veil. Quant à la PMA et à la GPA, très honnêtement, la ligne de fracture traverse tous les camps, la gauche est plus réceptive (je suis une exception) mais même LREM est divisée. Sur La question de la fin de vie, les avis divergent également largement à l’intérieur d’un même camp politique et quand l’affaire Vincent Lambert a agité la France, on ne l’a pas entendue non plus. Peut-être est-ce tout simplement parce qu’elle n’a pas d’idée définitive sur la question, comme beaucoup.

Marine Le Pen peut-elle encore compter sur cet électorat catholique ? Leurs voix peuvent-elles se reporter sur sa candidature au second tour ?

Il est probable qu’une grande majorité de ceux qui ont voté pour Éric Zemmour reporte leur voix sur Marine Le Pen mais attention à la négociation du virage, car il s’agit à la fois d’un électorat catholique et identitaire, je ne sais donc pas comment il va prendre le recul de Marine Le Pen sur l’interdiction du port du voile dans l’espace public par exemple. Même s’il s’agit en fait d’un recul très modéré, d’un simple échange de priorité et d’une simple question de calendrier. Le tout, par ailleurs, selon un mécanisme juridique incompréhensible et rigoureusement inapplicable. À ceux qui veulent faire la police du vêtement religieux dans la rue, il faut tout de même rappeler que les premiers visés, dans les années précédant la loi de 1905, étaient les prêtres en soutane."

Lire "Jean-Yves Camus : « Ce sont les catholiques qui ont évolué, pas Marine Le Pen »".


Voir aussi dans la Revue de presse la rubrique Le "vote catho" aux élections 2022 (note du CLR).


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