Revue de presse

J.-P. Le Goff : « L’État détient la violence légitime, il doit en user » (Le Figaro, 15 nov. 15)

Jean-Pierre Le Goff, philosophe, sociologue. 17 novembre 2015

"[...] Dans ses premières déclarations « à chaud », le président de la République a fait référence à un terrorisme et à une barbarie sans nom ; il n’a pas prononcé les mots d’« islamistes » et de « djihadistes ». Une fois de plus, nous avons du mal à désigner précisément notre ennemi, à expliquer dans quelles conditions il a pu naître et se développer, à évaluer l’efficacité des moyens pour le combattre. Le terrorisme en question ne s’apparente pas à une pathologie ou à une catastrophe naturelle, il est né dans un contexte géopolitique particulier, dans des conditions sociales et politiques déterminées, il se réclame d’une interprétation islamiste de la charia et du djihadisme... Autant d’éléments qu’il importe d’analyser et de comprendre si nous voulons sortir de l’émotion et des lamentations, de l’invocation de valeurs générales et généreuses. Il importe, avant tout, à l’État d’être à la hauteur d’une telle situation. Mais les citoyens doivent être informés et éclairés sur ces questions.

L’esprit du 11 janvier était-il une illusion ?

Plutôt que d’invoquer un « esprit » du 11 janvier, rempli de bons sentiments, il s’agit de comprendre l’ambivalence de l’événement, qui n’était pas une illusion.
D’un côté, un sursaut patriote et républicain, des manifestations comme la France en connaît dans son histoire où le peuple sait se rassembler dans les épreuves. De l’autre, une incompréhension sur ce qui est arrivé : « Comment a-t-on pu commettre de tels actes barbares ? », une grande difficulté à affronter la réalité, à admettre que la France est en guerre, à croire que les démocraties puissent avoir des ennemis qui veulent les détruire... On a du mal à désigner l’ennemi par crainte de stigmatiser nos compatriotes musulmans. Les manifestations du 11 janvier avaient les aspects d’une « grande marche blanche » silencieuse à travers toute la France pour manifester en silence, partager sa douleur.
Cela témoigne d’une nouvelle sensibilité émotionnelle et compassionnelle qui est présente au plus haut sommet de l’État. En témoigne la photo du visage d’Angela Merkel posant sa tête sur l’épaule de François Hollande, tout aussi ému.
En même temps est apparue ouvertement une réalité sur laquelle les pouvoirs publics avaient été alertés depuis longtemps : l’islamisme radical se greffe sur un phénomène de déstructuration anthropologique qui concerne une partie de la jeunesse et qui débouche sur le fanatisme et le terrorisme. L’antisémitisme a prospéré dans les territoires perdus de la République ; on a laissé des imams prospéré dans les territoires perdus de la République ; on a laissé des imams autoproclamés issus de pays fondamentalistes prêcher la haine contre la démocratie, les juifs et les chrétiens, les « blasphémateurs » et tous les « mécréants ». Les pays en question sont en même temps des alliés qu’on ne tient pas à trop contrarier. Telles sont les réalités dérangeantes que le 11 janvier a fait apparaître, et l’on a pu croire que cette fois on ne pourrait plus les dénier ou les minimiser... [...]

Nos sociétés démocratiques sont-elles prêtes à faire la guerre ?

Ces événements tragiques interpellent une nouvelle fois une mentalité angélique et pacifiste qui se refuse à admettre le fait que nous sommes en guerre, qu’en démocratie l’État est le « détenteur de la violence légitime » et qu’il doit frapper comme il se doit. Dans la marche du 11 janvier à Paris, on a pu voir certaines scènes de fraternisation avec la police qui se manifestaient par des appels à des « bisous »... Il se trouve que le terrorisme islamiste a frappé le jour même où certains avaient décrété une « journée de la gentillesse », ce qui montre à quel point on peut vivre en dehors de la réalité. Cela n’implique pas pour autant d’abandonner toute vigilance vis-à-vis des atteintes possibles aux libertés et des exploitations politiciennes d’une telle situation d’exception. [...]"

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