Revue de presse

J.-É. Schoettl : Lutter contre l’islamisme impose une révision de la Constitution et une renégociation de nos engagements internationaux (Le Figaro, 22 oct. 20)

Jean-Eric Schoettl, conseiller d’Etat honoraire, ancien secrétaire général du Conseil constitutionnel. 23 octobre 2020

[Les articles de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

"[...] Ancien secrétaire général du Conseil constitutionnel, Jean-Éric Schoettl, conseiller d’État honoraire, explique avec clarté et précision le cadre juridique très strict qui limite la capacité d’agir de l’État et même, selon lui, la paralyse. Et il préconise des solutions à la hauteur du péril.

Propos recueillis par Guillaume Perrault

LE FIGARO.- Est-il exact que les « armes » de l’État contre le terrorisme djihadiste et en matière d’expulsion et de droit des étrangers ont été rognées depuis trente ou quarante ans ?

Jean-Éric SCHOETTL.- Depuis une quarantaine d’années, les normes juridiques supérieures (Constitution, traités et surtout jurisprudence des cours suprêmes) en matière de droits fondamentaux ont toujours plus étroitement enserré la marge d’action des pouvoirs publics.

Aussi, les idées audacieuses lancées dans le débat public pour lutter contre l’islamisme (internement des fichés S les plus dangereux par exemple), ou pour contenir la pression migratoire (telles des quotas migratoires) se heurtent-elles au mur des droits fondamentaux.

Il est malhonnête de proposer des mesures intenables en l’état des contraintes constitutionnelles ou résultant des traités si on n’est pas résolu à remettre celles-ci en cause, en le disant clairement et par avance.

Pour les pouvoirs publics, l’alternative est en effet la suivante : soit se tenir dans les limites de l’État de droit tel qu’il est actuellement défini par les textes de valeur supérieure et la jurisprudence des cours suprêmes nationales et européennes (nous n’en avons pas moins de cinq : le Conseil constitutionnel, le Conseil d’État, la Cour de cassation, la Cour de justice de l’Union européenne, la Cour européenne des droits de l’homme) ; soit se préparer à « renverser la table » en modifiant la Constitution et en dénonçant, renégociant ou suspendant unilatéralement certains de nos engagements européens au nom de l’intérêt supérieur du pays.

Les contraintes juridiques que vous évoquez restreignent-elles la liberté d’action de l’État dans la lutte contre le terrorisme djihadiste ?

La rétention administrative des radicalisés dangereux est impossible dans l’état actuel de la Constitution et compte tenu de nos engagements européens. Même les possibilités d’assignation à résidence ont été réduites depuis la sortie de l’état d’urgence antiterroriste, compte tenu des réserves d’interprétation émises par le Conseil constitutionnel (décision du 29 mars 2018) sur la loi du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme.

Se conformant aux injonctions du Conseil constitutionnel, la loi ne limite la liberté de mouvement des islamistes les plus dangereux, lorsqu’ils ne sont pas - ou plus - l’objet de poursuites judiciaires (par exemple en fin de peine), que sous la forme d’une assignation dans la commune du domicile et pendant douze mois tout au plus, de manière continue ou non.

En matière de réponse au danger terroriste, la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme interdit de surcroît l’expulsion d’un étranger, si dangereux soit-il, s’il est exposé, dans son pays d’origine à de mauvais traitements (décision Daoudi, 3 décembre 2009) ou s’il risque d’y faire l’objet de poursuites pénales non conformes aux canons européens du procès équitable (décision Othman Abu Qatada, 17 janvier 2012). Cette jurisprudence a conduit les pouvoirs publics français à mettre en œuvre une législation permettant, non sans aléas, l’assignation à résidence hôtelière des intéressés.

Le Conseil constitutionnel a, par ailleurs, censuré diverses dispositions qui auraient pu être d’utiles armes dans la lutte contre le terrorisme djihadiste ou ses prémices. En 2017, il censure à deux reprises des dispositions, pourtant très encadrées, créant un délit de consultation habituelle et injustifiée de sites djihadistes. Le 18 juin 2020, il censure, par une motivation aussi sévère qu’impressionniste, le cœur de la « loi Avia », qui instituait, à la charge de différentes catégories d’opérateurs de services de communication en ligne, de nouvelles obligations de retrait de contenus véhiculant des discours de haine. Le 7 août 2020, il censure la mesure de sûreté - là encore très encadrée et ne comportant pas de mesure privative de liberté - prévue à l’égard des personnes condamnées pour actes terroristes, à la fin de leur peine, par la loi instaurant des mesures de sûreté à l’encontre des auteurs d’infractions terroristes.

Plus généralement, en matière de maintien de l’ordre public, la protection souvent maximaliste et abstraite des droits fondamentaux induite par la jurisprudence de cinq cours suprêmes en perpétuelle émulation, combinée à la hantise d’un incident et à la crainte d’être désavoué par les médias et les juges, « engourdit » l’État régalien.

Quel est le cadre juridique qui enserre la possibilité d’agir contre l’islamisme ?

En sortant de l’état d’urgence, nous avons perdu des moyens d’action, alors que le péril demeure au même niveau d’intensité.

Un exemple : l’article L. 227-1 du code de la sécurité intérieure, dans sa rédaction issue de la loi du 30 octobre 2017, telle qu’interprété par le Conseil constitutionnel, ne permet de fermer une mosquée radicale que si le préfet établit que les théories qui y sont diffusées ou les activités qui s’y déroulent provoquent à la réalisation d’actes de terrorisme. Des prêches haineux ou obscurantistes ne suffisent donc pas. Et même si un préfet parvient à obtenir la fermeture d’une telle mosquée, la durée de la fermeture ne peut pas excéder six mois.

Le projet de loi contre le séparatisme semble vouloir étendre la possibilité de dissoudre (par décret en Conseil des ministres) une association au cas où son activité est contraire aux valeurs de la République. Mais le Conseil constitutionnel a toutes les chances de trouver une telle expression trop imprécise pour fonder une atteinte à la liberté d’association.

Cette dernière est d’autant plus protégée par la jurisprudence constitutionnelle que la décision fondatrice de 1971, par laquelle le Conseil s’est donné le pouvoir de contrôler une loi au regard de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 et du préambule de la Constitution de 1946, portait justement sur la liberté d’association.

Mêmes difficultés pour imposer des obligations de discrétion religieuse dans l’espace public ou aux usagers des services publics : de telles obligations seraient aisément considérées comme attentatoires à la liberté religieuse, qui est aussi, selon la Convention européenne des droits de l’homme, celle de manifester sa croyance. Elles pourraient être également regardées comme des discriminations indirectes en vertu du droit européen dérivé (c’est-à-dire au regard des règlements et des directives des institutions européennes actuellement en vigueur, NDLR).

Et cependant, il ne faut transiger avec le communautarisme ni à l’école ni dans les autres services publics. Il faut soutenir les entreprises qui prennent des règlements intérieurs pour couper court à ce type de revendication. Il y a un combat culturel à mener dans lequel chacun a un rôle à jouer (l’instituteur devant sa classe, en particulier) pour affirmer les valeurs de la République et pour inspirer le sentiment d’appartenance à la nation. Personne ne doit se sentir seul.

Il faut également imposer, dans tous les cas d’accès à la nationalité, une vérification de l’assimilation et, lorsque cette condition est d’ores et déjà prévue par le code civil, l’appliquer plus rigoureusement qu’aujourd’hui. Sur ce point au moins, je n’aperçois pas d’empêchement constitutionnel.

Que peut encore faire l’État pour réguler les flux migratoires ?

Les questions migratoires sont incontournables car bien évidemment liées, compte tenu des cultures d’origine des migrants, à la sauvegarde du modèle républicain. Or, depuis une quarantaine d’années, notre législation et nos pratiques évoluent dans un sens globalement de plus en plus libéral à l’égard de l’accueil et du séjour des étrangers : délivrance peu discriminée des visas, appréciation de plus en plus lâche des capacités d’intégration et de la maîtrise de la langue française lors de la délivrance du premier titre de séjour, renouvellement automatique de la carte de résident, examen insuffisant des demandes d’asile au regard des problèmes que peut poser le demandeur pour l’ordre public. Je renvoie à une actualité sinistre.

Inversement, les règles d’éloignement sont de plus en plus complexes pour l’administration tant du point de vue de la procédure (qui fait intervenir à la fois le juge judiciaire et le juge administratif) que des conditions de fond. Il est devenu beaucoup plus difficile aujourd’hui qu’il y a une quarantaine d’années d’expulser un étranger dont la présence met en péril l’ordre public.

Plus généralement, les pouvoirs de police administrative relatifs à l’entrée et au séjour des étrangers se sont restreints au cours des quarante dernières années. Par hantise de l’arbitraire administratif et dans le souci de mieux protéger les droits fondamentaux des étrangers, on a dépouillé le ministère de l’Intérieur de beaucoup de ses marges de manœuvre. Il en est résulté une perte d’efficacité de l’action de l’État (que traduisent les statistiques) et un déséquilibre dans la conciliation nécessaire entre droits individuels des étrangers et intérêts supérieurs de la nation.

Un certain nombre de ces dispositions et de ces pratiques pourraient certes être revues dans un sens plus rigoureux, de manière à limiter l’entrée ou le maintien d’indésirables sur notre sol. Mais tout durcissement entrerait en délicatesse avec la jurisprudence des cours suprêmes.

S’agissant du contrôle des flux migratoires, les jurisprudences des cours suprêmes et supranationales « formatent » en effet les politiques publiques.

Qu’entendez-vous par « formatent » ?

Un bon exemple de formatage d’une politique publique par la jurisprudence des cours suprêmes est le regroupement familial, qui est (avec le droit d’asile et les entrées irrégulières) une importante source de l’immigration en France. Il recouvre deux mécanismes : le regroupement familial stricto sensu, dans lequel le « regroupant » est un étranger résidant régulièrement en France (13 000 personnes par an) ; et le cas, d’impact six fois plus important sur les flux migratoires, du Français issu de l’immigration faisant venir en France son conjoint épousé dans le pays d’origine.

Dans la première hypothèse, le Conseil d’État avait annulé (arrêt Gisti, 1978) un décret de 1977, qui revenait sur une réglementation libérale antérieure, au motif que la protection de la vie familiale normale était un « principe général du droit ». Ce faisant, il n’interdisait pas au législateur d’intervenir dans un sens restrictif puisque, dans la jurisprudence du Conseil d’État, les « principes généraux du droit », s’ils sont de rang supérieur à un décret, ne sont pas de rang supérieur à la loi.

Cependant, le regroupement familial se voit reconnaître par le Conseil constitutionnel, en 1993, une protection constitutionnelle, au nom du droit de mener une vie familiale normale (décision du 13 août 1993). Se fondant sur le dixième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 (« La Nation assure à l’individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement »), auquel renvoie le Préambule de la Constitution de 1958, et qui fait donc partie intégrante du « bloc de constitutionnalité », le Conseil constitutionnel juge que « les étrangers dont la résidence en France est stable et régulière ont, comme les nationaux, le droit de mener une vie familiale normale ».

Le droit au regroupement familial dispose également d’un fondement inébranlable dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), surtout à partir du début des années 2000. Cette jurisprudence est abondante. Sa base textuelle se trouve dans le « droit à la protection de la vie privée et familiale » (article 8 de la Convention). La portée ainsi attribuée à son article 8 aurait surpris les représentants des États signataires de la Convention.

Le regroupement familial est désormais gravé dans le marbre du droit de l’Union européenne, puisque la Charte des droits fondamentaux de l’Union rend applicable l’ensemble du droit issu de la Convention aux politiques menées, aux niveaux tant européen que national, dans le champ du droit de l’Union et qu’une directive du Conseil de l’Union européenne du 22 septembre 2003 organise ce droit en conformité avec la jurisprudence de la CEDH.

Les États peuvent certes s’opposer à un regroupement familial pour des motifs d’ordre public, mais seulement au cas par cas et au sens strict de la notion d’ordre public. Ils peuvent aussi imposer un niveau minimal de ressources « autonomes » à condition de ne pas fixer ce niveau au-dessus de celui des foyers « autochtones » modestes, présentant la même composition familiale.

Tout ce qui vient d’être dit du regroupement familial stricto sensu vaut a fortiori pour la venue en France du conjoint d’une personne de nationalité française.

Si l’obstacle constitutionnel était levé, demeurerait donc l’obstacle de la CEDH et des conséquences qu’a tirées de sa jurisprudence le droit européen dérivé (règlements et directives européens). Or le droit de l’Union prévaut sur le droit français, quel que soit le niveau de celui-ci dans la hiérarchie nationale des normes.

L’invocation d’un besoin national impérieux (alléger les flux pour mieux résoudre les problèmes d’intégration) serait inopérante, car, précisément, le regroupement familial est conçu positivement par la CEDH et par le droit européen dérivé comme contribuant à une bonne insertion des étrangers, à la paix civile et au bien-être économique.

Est-il satisfaisant, dans une démocratie représentative, qu’un élément aussi significatif de la politique migratoire que le regroupement familial - dans ses deux composantes - soit à ce degré déterminé par les juges, au regard de principes intangibles, plutôt qu’assumé par les représentants du peuple et ajusté par eux en fonction de l’évolution des circonstances et du degré de consentement de la nation ?

Le droit européen limite-t-il à d’autres égards l’action des pouvoirs publics français en matière d’immigration et d’asile ?

Les jurisprudences de la CEDH et de la Cour de justice de l’Union européenne configurent les politiques d’immigration sous bien d’autres aspects.

Ainsi, en matière d’accueil des demandeurs d’asile, la CEDH condamne la reconduite d’une embarcation interceptée en mer à son pays de provenance, même dans le cadre d’un accord bilatéral assurant la sécurité des intéressés (décision Hirsii Jamaa c/ Italie, 23 février 2012). L’examen doit se faire au cas par cas, dans le pays de destination. La Cour de justice de l’Union européenne ajoute que le placement en rétention du demandeur doit être exceptionnel. Les motifs d’ordre public pour lesquels ce placement est possible « supposent, en tout état de cause, l’existence, en dehors du trouble pour l’ordre social que constitue toute infraction à la loi, d’une menace réelle, actuelle et suffisamment grave, affectant un intérêt fondamental de la société ». L’idée de « hot spots » fermés est donc condamnée par cette jurisprudence. Tout demandeur doit pouvoir se déplacer librement tant que son dossier n’est pas clos. S’il est débouté, il ne sera reconduit dans son pays d’origine que dans de rares cas, soit parce qu’il s’est évanoui dans la nature, soit parce que ses autorités nationales ne coopèrent pas à son retour, soit parce que ce retour le met en danger, ce qui, juridiquement, interdit la mesure d’éloignement.

En matière d’entrées irrégulières sur le territoire de l’Union européenne, la Cour de justice de l’Union européenne regarde les contrôles de police dans la bande de 20 km en deçà d’une frontière intérieure à l’espace Schengen comme un détournement des règles de Schengen, contraire au principe de libre circulation des personnes (arrêt Melki, 22 juin 2010). Cette jurisprudence a conduit à reporter la charge du contrôle sur les seuls États membres présentant une frontière extérieure, avec les difficultés que l’on sait en Grèce et en Italie.

En matière d’éloignement des étrangers en situation irrégulière, la Cour de justice de l’Union européenne écarte tout traitement pénal de l’irrégularité du séjour, qu’il s’agisse du placement en garde à vue (arrêt Achughbabian, 6 décembre 2011) ou des peines d’emprisonnement (arrêt El Dridi, 28 avril 2011). Pour la Cour de justice de l’Union européenne, la « directive retour » de décembre 2008 serait « privée d’effet utile » (autrement dit vidée de son contenu) si une garde à vue, qui relève de la procédure pénale, était possible contre un étranger en situation irrégulière, sans avoir épuisé au préalable les procédures d’éloignement prévues par cette directive. Or la garde à vue était, en France, la première étape de l’éloignement. C’était la condition matérielle de la mise en œuvre des procédures de reconduite, admises par la directive… Pour se conformer à cet arrêt, que personne n’avait prévu, il a fallu inventer une « retenue » ayant toutes les caractéristiques objectives de la garde à vue, sans en porter l’étiquette : solution à la fois compliquée et hypocrite.

Les jurisprudences du Conseil constitutionnel et des deux cours européennes sur le regroupement familial et l’asile interdisent de soumettre la plus grande partie de l’actuel flux d’entrées à une politique de quotas d’immigration, pourtant mise en avant par nombre de personnalités politiques françaises et soutenue majoritairement par l’opinion.

La Constitution et les engagements internationaux de la France ne facilitent pas l’adoption de mesures de régulation, c’est le moins qu’on puisse dire.

En matière d’asile, il faudrait prendre en compte les capacités d’assimilation et le risque pour l’ordre public non seulement de ceux qui ont commis ou participé à des actes terroristes, mais également de ceux qui adhèrent à l’idéologie qui en constitue le terreau. Mais la Convention de Genève, telle qu’elle est interprétée par les cours suprêmes, ne le permet pas.

Comment expliquer, sur ces questions, un tel décalage entre l’attachement intact des Français à un État censé être protecteur et tout-puissant et la réalité qui évoque un Gulliver entravé ?

Sur des sujets aussi brûlants dans le débat public, l’opinion ne perçoit pas les limites juridiques auxquelles se heurtent les projets des politiques. La plupart de nos concitoyens sont convaincus que les flux migratoires peuvent être régulés en vertu de choix politiques nationaux. Notre peuple aspire à ce que ses dirigeants se donnent « les coudées franches » en matière d’immigration comme de sécurité. En France, contrairement à ce qui se passe aux États-Unis avec une Cour suprême bicentenaire, le public n’a pas intériorisé le pouvoir du juge et pense que le politique peut tout faire s’il y est mandaté par le suffrage universel.

Bien sûr, comme l’Histoire nous l’a appris, la démocratie ne saurait se réduire à la volonté majoritaire qui peut être tyrannique et dont les risques de dérapage sont redoutables. Les chartes des droits et les juges qui en assurent le respect effectif sont de nécessaires garde-fous. Mais doivent-ils être des corsets face à une volonté populaire constamment manifestée sur des sujets qui la touchent directement, parce qu’ils ont trait à la continuité de sa culture et à la pérennité de son mode de vie ? Or c’est bien la situation à laquelle nous sommes parvenus, en France comme dans la plupart des pays occidentaux.

Est-il souhaitable et possible de ramener à la raison les juridictions dont on estimerait qu’elles s’opposent de façon idéologique aux décisions de l’État ?

La révision constitutionnelle permet de restituer aux pouvoirs publics des marges de manœuvre dans des domaines où existent des obstacles constitutionnels (ou résultant de la jurisprudence des cours suprêmes) à l’efficacité des politiques publiques, qu’il s’agisse - dans le domaine qui nous occupe - de l’intervention obligatoire du juge judiciaire en matière de rétention administrative des étrangers en voie d’éloignement, ou de l’isolement des radicalisés dangereux, ou du plafonnement des flux migratoires.

Une option plus forte, à vrai dire révolutionnaire, serait d’inscrire dans la Constitution une possibilité parlementaire de « passer outre » aux jurisprudences paralysantes des cinq cours suprêmes qu’on a évoquées. On peut imaginer à cet égard de « forcer » au maintien en vigueur d’une disposition législative déclarée inconstitutionnelle par le Conseil constitutionnel (ou contraire à un traité européen par une cour européenne), dès lors que le Parlement français se prononcerait expressément en ce sens par un vote à la majorité qualifiée intervenant dans un certain délai à compter de la censure. Voilà qui résoudrait la contradiction croissante entre démocratie des droits et démocratie représentative.

À la suite de Montesquieu, qu’il soit permis d’énoncer deux évidences : la liberté est inséparable de l’action positive (et non pas seulement de l’abstention) de l’État en faveur de la sûreté de chacun ; l’État de droit doit rester le correctif de la souveraineté, non dévitaliser cette dernière. Or traités, révisions constitutionnelles et percées jurisprudentielles concourent, depuis un demi-siècle, à la contraction des marges de manœuvre des pouvoirs soumis au suffrage, particulièrement dans le domaine régalien ; à la précarité de la loi, vulnérable à de multiples contentieux ; au déclin de la souveraineté.

Remonter la pente imposerait, au-delà du changement des mentalités et de la révision de la Constitution, une renégociation de nos engagements internationaux restituant leur indispensable primauté tant à la souveraineté nationale qu’à la loi votée par les élus de la nation.

S’agissant de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, la France pourrait rétablir la réserve qu’elle avait initialement faite (et levée en 1981) au recours individuel devant la Cour de Strasbourg (c’est-à-dire la Cour européenne des droits de l’homme, institution du Conseil de l’Europe, qui siège à Strasbourg, NDLR). S’agissant de la Cour de justice de l’Union européenne (institution de l’Union européenne, qui siège à Luxembourg, NDLR), les traités européens pourraient être modifiés pour priver de valeur normative la Charte européenne des droits fondamentaux et exclure la compétence de la Cour dans les domaines régaliens. Un traité se renégocie. La Constitution se révise."

Lire "Jean-Éric Schoettl : « Contre l’islamisme, en sortant de l’état d’urgence, nous avons perdu des moyens d’action »".



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