Note de lecture

J. Dion dénonce "la prolophobie qui s’assume" (G. Durand)

par Gérard Durand. 9 avril 2020

Jack Dion, Le mépris du peuple, éd. Les Liens qui libèrent, 2015, 160 p., 15,50 €

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Privé par le confinement de mes ballades quasi quotidiennes dans les librairies et peu enclin à faciliter le travail d’une certaine multinationale très avare de paiement d’impôts, je me suis tourné vers ma bibliothèque. L’exercice fut moins simple que je l’avais pensé car je devais y trouver des ouvrages éloignés des classiques, que d’autres plus compétents que moi sont mieux à même de commenter. De plus je devais m’assurer de ne traiter que de livres encore disponibles, ce qui est le cas ici.

Jack Dion est journaliste, il a déjà publié L’Occident malade de l’0ccident (avec Martine Bulard, Fayard, 2009), s’inscrivant ainsi dans la ligne des analystes critiques comme Jean Ziegler dénonçant les excès de l’Occident et de sociologues comme les Pinson Charlot, scrutant à la loupe les bourgeoisies et leurs travers.

Il commence par une brève analyse des législatives de 2012 dont les résultats sont parlants : sur 577 députés on n’y trouve que deux ouvriers et une poignée d’employés. Au total 3 % d’une assemblée pour représenter 51,7 % de la population. Les agriculteurs ne sont guère mieux traités avec 4 députés, et encore peut on supposer qu’il ne s’agit pas de petits paysans. Ce sont les cadres supérieurs et les professions libérales qui se taillent la part du lion avec 81,57 % des députés alors qu’ils ne représentent que 15,5 % de l’électorat. Ce qui est étonnant est que cette répartition est à peu de choses près la même dans tous les partis, y compris ceux de gauche.

Voici venu le temps de ce que l’auteur va nommer la prolophobie qui s’assume. C’est DSK, qui dans son livre La flamme et la cendre affirme : "Du groupe le plus défavorisé on ne peut malheureusement pas toujours attendre une participation sereine à une démocratie parlementaire… Ce sont donc les membres du corps intermédiaire constitué en immense partie de salariés avisés, informés et éduqués qui forment l’armature de notre société." C’est François Hollande, au retour d’une visite à Florange, qui déclare à son entourage : "Perdre les ouvriers, ce n’est pas grave." La suite lui montrera que les ouvriers ont pensé que perdre le PS était encore moins grave. Le boomerang ne tardera pas à revenir et l’on verra voter FN 43 % des ouvriers, 38 % des employés et 37 % des chômeurs, dans les mêmes catégories le PS ne récoltera plus que 8, 16 et 14 % des votants.

La Cinquième République et son régime électoral sont en partie la cause de ce phénomène mais elle n’est pas la seule. Balzac disait déjà : en France le gouvernement ne change qu’à condition qu’il soit toujours le même. Une classe de pseudo « élites » s’est constituée, issue des mêmes familles, des mêmes quartiers, des mêmes écoles, pratiquant les mêmes loisirs et fréquentant les mêmes cercles. Elle a fait son mantra du libéralisme et bannit ceux qui s’y opposent, aussitôt qualifiés du titre infamant de "populistes". Elle ment sans la moindre vergogne comme Hollande dans son discours du Bourget. Elle rebat les oreilles du peuple avec la contrainte de la dette alors que celle-ci n’est pas liée au gonflement des dépenses mais à l’abaissement massif des impôts les plus répartiteurs comme l’IRPP dont le taux maximal va passer en quelques années de 65 à 40%. Jack Dion en 2015 ne pouvait parler des décisions de Macron mais il nous annonce que cette tendance se poursuivra pour parvenir à ce que le 1 % le plus riche capte 95 % des richesses produites par le travail.

Aucune leçon n’est tirée des crises, la bourgeoisie en passant du capital industriel au capital financier ne va avoir de cesse de se goinfrer en permanence. Les investisseurs, nouveaux héros des médias, vont exiger toujours plus de rendement, dès 2015 un ouvrier, s’il n’est pas au chômage, va travailler chaque année 45 jours pour servir le capital contre 14 dans les années 1980. On délocalise à tout va pour exploiter l’ouvrier chinois, indien ou bengali pour ne parler à l’ouvrier d’Occident que de compétitivité, d’attractivité et de flexibilité.

Le travail devient un coût qu’il faut absolument réduire. Toutes les réformes vont dans un sens régressif, rien ne change, même quand Blanchard, l’économiste en chef du FMI avoue avoir largement sous-estimé les effets négatifs de sa politique. Il faut couper dans les salaires, la protection sociale, les retraites et tant pis pour ceux qui en meurent. Les vieux sont particulièrement visés, un économiste nous apprend qu’après 60 ans être humain coûte plus qu’il ne rapporte et que c’est un problème. Encore Jack Dion n’avait il pas entendu Aurore Bergé, macroniste de choc, déclarer qu’il n’est pas normal que les vieux aient le droit de vote.

Le socialistes (je parle du parti) sont dès le revirement de Mitterrand en 1983 à la pointe du mouvement. La première loi bancaire supprimant la séparation entre banque de dépôts et banque d’affaires est votée dès 1984. Revenu au pouvoir en 2012 avec François Hollande, le PS se gardera bien d’y toucher. En 1986 la loi Beregovoy généralise la déréglementation financière, en 1988 le contrôle des changes est supprimé et, cerise sur le gâteau, en 1998 est votée une loi de finances particulièrement favorable aux stock-options. C’est une tendance de fond, le PS, fortement conseillé par la fondation Jean Jaures n’a plus de gauche que les discours. Hollande sera obsédé par le coût du travail et, pour le réduire, va arroser les entreprises par milliards avec une grande inventivité, c’est le crédit d’impôts recherche qui n’a de recherche que le nom ou le pacte de compétitivité entre autres zinzins moins connus.

Nous sommes au théâtre : Victor Hugo, dans sa pièce Lucrèce Borgia, faisait dire à celle-ci, s’adressant à son mari Alphonse : "Ni Roi ni nations ne pourraient vivre un jour avec la rigidité des serments qu’on tiendrait. Entre nous Alphonse, une parole jurée n’est une nécessité que quand il n’y en a pas d’autre…" Les serments c’est bon pour le peuple. Mais le peuple ne comprend pas grand-chose, comme en atteste le référendum de 2005 qu’on lui avait pourtant si généreusement accordé. Le vote Non indigne toute une partie de la classe politique et la presque totalité des chroniqueurs de la grande presse. On crie de nouveau au populisme, dans Libération, le Monde, L’Express ou Christophe Barbier s’étrangle d’indignation suivi de près par Alain Duhamel sur les chaînes de télévision. Le populisme, c’est le retour des classes dangereuses qui effrayaient tant le bourgeois d’antan et encore plus celui d’aujourd’hui.

Alors il faut prendre des mesures, PS et UMP se mettent au travail pour réparer les dégâts, on change le vocabulaire, il n’y a plus de gouvernement mais une gouvernance, forcément bonne, la valeur travail devient définitivement le coût du travail. Inutile de chercher dans les discours de Sarkozy ou de Hollande la notion de coût du capital, elle n’y est jamais. L’actionnaire n’est plus le propriétaire de l’entreprise mais un simple épargnant (petit de préférence) qui a la bonté de lui confier ses économies pour la faire prospérer. Impensable de ne pas le rémunérer généreusement pour cette abnégation. Les managers (toujours grands) sont certes payés de façon conséquente mais sans rapport avec leur immense talent. Manuel Valls est ovationné par une salle debout lorsqu’il vient au congrès du MEDEF pour déclarer qu’il aime l’entreprise. Le MEDEF qui est très peu représentatif de l’ensemble du patronat, il est noyauté par l’oligarchie qui le pilote directement ou par l’intermédiaire de faux nez comme l’AFEP réservé aux plus grands, ils tiennent les banques, ont leurs ronds de serviette à Davos, leurs lobbyistes à Bruxelles et se rencontrent dans les dîners du Siècle, alors dirigé par Nicole Notat venue directement de la CFDT. Le rêve ! Quant aux salariés, de l’ouvrier à l’ingénieur ils ne sont que source de problèmes surtout quand ils ont la très mauvaise idée de se syndiquer.

Dans les dernières pages du livre, Jack Dion s’arrête sur quelques personnages majeurs de cette oligarchie, tel Jean Pierre Jouyet, intime de Sarkozy, grand copain de Hollande, parrain de Macron, ou d’autres moins visibles, comme Didier Migaud, directement venu du PS à la tête de la cour des comptes dont il ne cesse de déclarer la neutralité tout en étant le grand pourfendeur de la dépense publique. L’Oligarchie est entrée dans la République pour la mettre en coupe réglée. Elle se sert largement, pour ne prendre que ce seul critère l’écart salarial est passé en trente ans de 1 à 30 à 1 à 400. Comme l’a dit un jour Jean François Copé à ceux qui lui cherchaient des collaborateurs : "Ne m’amenez pas des médiocres à 15 000 balles par mois."

Pour terminer, le livre nous entraîne dans la fascination que les oligarques ont pour le mondialisme : qu’il s’agisse de l’Europe ou du retour de la France dans l’OTAN, la nation est leur grand ennemi et il s’agit de la casser. Que ce soit par une propagande effrénée pour la mondialisation ou en la privant de ressources par une fraude fiscale massive.

Jack Dion nous offre une perception très sombre de la réalité qui va se confirmer dans les cinq années qui vont suivre, il porte une sorte de vision que chacun devrait prendre en compte.

Gérard Durand


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