Revue de presse

Israël : "Comment le conflit devient une guerre de religion" (Marianne, 16 oct. 15)

24 octobre 2015

"Le sang ne cesse plus de couler sur des terres désertées par l’intelligence politique. Résultat : les précédentes intifadas ont laissé la place à un affrontement confessionnel.

Même s’ils habitent la terre du mythe, Israéliens et Palestiniens ne vivent pas hors du temps. L’horloge régionale, celle qui sonne un minuit nihiliste avec les couteaux de Daech, les a rattrapés. Troisième ou centième intifada, telle n’est pas la question. Trêve de romantisme alors que n’importe quel passant israélien peut tomber sous le poignard ou les balles de son voisin palestinien, des routes de Cisjordanie (Eitam et Naama Henkin abattus sous les yeux de leurs quatre enfants) aux rues de Jérusalem mais aussi au cœur d’Israël, à Lod, Petah Tikvah, Hadera. Alors qu’en riposte des juifs travaillés par un terrible mimétisme scandent « Mort aux Arabes ! »

L’un d’eux, à Dimona, le 8 octobre, a tenté de passer à l’acte. Le pire peut arriver alors que les Arabes israéliens, comme on appelle à tort ceux qui se définissent comme « les Palestiniens d’Israël » (20 % de la population), descendent dans la rue. Ce n’est pas nouveau, mais c’est la première fois qu’ils participent de façon aussi massive et organisée aux affrontements sur l’esplanade des Mosquées.

DE L’UTOPIE AUX COUTEAUX

Pour définir la situation dans laquelle se débattent deux peuples dont les dirigeants ont abandonné toute vision politique, il faut donc rappeler d’abord ce qu’elle n’est pas. Les adolescents palestiniens qui n’ont pas de poignard peuvent bien lancer leurs pierres : ils ne sont pas les enfants de la première intifada déclenchée en 1988. Un soulèvement qui « rendit la Palestine concrète », rappelle, dans un tragique élan de nostalgie, l’écrivain Elias Sanbar. Cette intifada de l’utopie, menée par les Palestiniens de l’intérieur, à la stupeur de leur direction en exil, déboucha sur les accords d’Oslo en 1993. Sept ans plus tard, la terre trop promise n’était toujours pas guérie : ce fut « l’intifada Al-Aqsa », du nom de la mosquée au dôme d’or, troisième lieu saint de l’islam. Le mouvement partit en septembre 2000 de l’esplanade sacrée, le mont du Temple pour les juifs. Ariel Sharon, alors dans l’opposition, y avait effectué une visite de trop. Mais la révolte, destinée à masquer l’impuissance de Yasser Arafat, couvait depuis de longues semaines. Comme toujours, le vieux raïs jouait avec le feu pour convertir sa faiblesse en force. Le feu, cette fois, c’était Al-Aqsa. Le conflit territorial vira au conflit religieux. Le mur de séparation, pourtant, n’existait pas encore. Le travailliste Ehoud Barak était Premier ministre. Les conséquences de la vague de violences, devenue explosion de terreur, furent catastrophiques : la gauche perdit les élections, la droite revint au pouvoir et l’opinion israélienne réclama une « barrière protectrice » pour la protéger des attentats-suicides. Le dernier chef de l’intifada Al-Aqsa, le seul qui aurait pu prétendre à la succession d’Arafat dans les cœurs palestiniens, Marwan Barghouti, fut jeté en prison. Il n’en est jamais sorti. Son portrait orne toujours les murs au check-point de Kalandiya, traditionnel nœud gordien des affrontements, sur la route de Ramallah à Jérusalem.

RUMEUR EMPOISONNÉE

L’intifada Al-Aqsa était un échec total. Historiquement, elle marquait le passage d’une époque à une autre : la revendication nationale fusionnait désormais avec l’incandescence religieuse. Où qu’il se produise, cet amalgame n’enfante jamais l’unité mais la pulvérise. Israël en sait quelque chose depuis l’assassinat de Yitzhak Rabin le 4 novembre 1995 par le fanatique Yigal Amir. Etrangement, une partie du peuple israélien refuse de s’en souvenir.

La Palestine se dédouble. Le Hamas attend son heure. Sitôt Gaza évacué unilatéralement par Ariel Sharon, le parti intégriste prend le contrôle de l’enclave infernale. Des attaques de rockets aux représailles israéliennes, les guerres succèdent aux guerres, embourbant l’Etat hébreu, malgré lui, dans une « disproportion » qui ruine son image sur une scène internationale de plus en plus hostile : c’était l’objectif du mouvement islamiste. Aujourd’hui, une nouvelle étape est franchie. L’Etat islamique veut voler Gaza au Hamas, mais le Hamas vole la Cisjordanie à Mahmoud Abbas. Le leader palestinien est si discrédité qu’il n’a pas la force de condamner les premiers meurtres contre des Israéliens. Il n’a pas non plus le courage de démentir les rumeurs empoisonnées qui sèmeront bientôt la mort : Israël, prétendent l’intégralité des médias et des réseaux sociaux palestiniens, va rompre le statu quo sur l’esplanade et imposer la souveraineté juive sur les mosquées. Il n’en est pourtant pas question, comme Netanyahou le rappelle sans cesse. Mais lui non plus n’a pas la force de s’opposer aux visites de militants du pire, députés du parti national-religieux, sur le mont du Temple. De toute façon, n’a-t-il pas mis leurs leaders dans sa coalition ?

Bien sûr, dans un contexte apaisé, il serait logique de voir des juifs sur leur lieu le plus sacré, tout comme des chrétiens, aux côtés des musulmans. Depuis 1967 et la conquête de la Vieille Ville, la liberté de culte et l’accès aux Lieux saints des trois religions sont garantis par Israël. Ils ne l’ont jamais été à l’époque jordanienne où le Mur des lamentations était interdit aux juifs et les synagogues de la Vieille Ville détruites. Mais la paix est un horizon indéchiffrable et les visiteurs, par calcul politicien et bêtise idéologique, n’en portent pas l’augure.

Quand Netanyahou interdit aux députés de se montrer sur ce volcan, il est trop tard. Et puis il y a un contexte : les attaques d’un village palestinien, Douma, par un gang de jeunes colons fanatiques, le 31 juillet. La famille Dawabsha y perd un bébé et sa mère, brûlés dans l’incendie de leur maison. Quelques jours plus tard, la police israélienne arrête Meir Ettinger, petit-fils du célèbre rabbin Kahane, fondateur du mouvement raciste Kach, assassiné à New York en 1990. Le fils de Kahane et sa femme furent eux-mêmes abattus par des Palestiniens, près d’une colonie, en décembre 2000, lors de l’intifada Al-Aqsa. Ainsi vont les généalogies en Terre sainte. Après la tragédie de Douma, tout Israël était sous le choc, ce que ne répercutèrent pas toujours les médias étrangers. Le président Reuven Rivlin, bouleversé, écrit : « J’éprouve de la douleur à voir mon peuple choisir le chemin du terrorisme et perdre son humanité. »

Rivlin est menacé de mort. Netanyahou découvre que les vidéos des extrémistes le caricaturent lui-même sous l’uniforme nazi. Exactement comme Yitzhak Rabin en 1995. Mais l’actuel Premier ministre, alors virulent adversaire des choix de Rabin, ne semblait pas à l’époque s’émouvoir de cette campagne qui devait conduire au meurtre.

APPELS AU MEURTRE

Quand arrive le nouvel an juif, Roch Hachana, mi-septembre, la rumeur a déjà dévoré les âmes et entassé les armes. Mahmoud Abbas, jouant avec les braises comme naguère Arafat, évoque « les pieds sales des juifs qui souillent l’esplanade ».

Les islamistes radicaux, très souvent Palestiniens d’Israël, ont apporté leurs cocktails Molotov jusqu’à l’intérieur des mosquées. Les appels à tuer les juifs « par des moyens rudimentaires » se répandent comme une traînée de poudre. On en retrouve d’identiques dans les manuels de propagande et les vidéos de l’Etat islamique. Ces cris résonnent au-delà de l’esplanade des Mosquées pour se multiplier en Cisjordanie puis dans tout Israël. La géographie très étendue des agressions résume la mutation du conflit. De façon bien plus spectaculaire que lors de l’intifada Al-Aqsa, il se métamorphose en guerre de religion et risque de transformer en enfer la vie de tous. L’implication des Palestiniens d’Israël est la première inquiétude du gouvernement et du Shin Beth, les services de sécurité. « La terre des deux promesses », comme la nommaient ensemble, dans deux beaux textes accolés, l’écrivain palestinien Emile Habibi et l’écrivain israélien Yoram Kaniuk, n’a pas échappé à la malédiction proche-orientale."


Salah Raed, cerveau des émeutes sur l’esplanade

"Salah Raed s’est hissé à la première place au hit-parade des ennemis d’Israël. Cet Arabe israélien de 57 ans, chef de la faction la plus radicale du Mouvement islamique, est considéré comme le « cerveau » des émeutes sur l’esplanade des Mosquées dans la Vieille Ville de Jérusalem. Son mouvement prêche un retour à un islam pur et dur pour la minorité arabe israélienne qui compte 1,5 million de citoyens. Organisateur hors pair, il a dirigé, avant leur récente dissolution, les Mourabitoun et Mourabitat, deux milices constituées d’hommes et de femmes payés jusqu’à 900 € par mois pour hurler « Allah Aqbar ! » sur l’esplanade dès qu’un juif mettait les pieds sur ce site, le mont du Temple, le plus sacré du judaïsme. Ces appels pour la « défense » de la mosquée Al-Aqsa, troisième lieu saint de l’islam, menacée, selon lui, de destruction par les juifs accusés de vouloir construire à la place le troisième Temple, ont enflammé les esprits. Elu trois fois maire d’Umm al-Fahm, dans le nord du pays, la plus grande ville arabe israélienne, il n’a cessé ensuite de se radicaliser, au point de provoquer une scission avec les éléments les plus radicaux du Mouvement islamique. Il n’a pas hésité à s’entremettre pour transférer des fonds iraniens au profit du Hamas, ce qui lui valu deux ans de prison en 2003. L’homme prône le retour du califat et dénonce les frappes américaines contre l’Etat islamique. Refusant toute « compromission » avec les institutions « sionistes », son mouvement s’abstient de présenter des candidats à la Knesset, contrairement aux autres partis arabes. Malgré cet extrémisme, Benyamin Netanyahou hésite à dissoudre son mouvement, de crainte de lui conférer une stature de martyr et de pousser les éléments extrémistes dans la clandestinité."


Netanyahou va-t-il virer ses ultras ?

"Benyamin Netanyahou est passé maître dans l’art de brouiller les pistes. Il fait semblant d’hésiter entre le maintien de son alliance avec l’extrême droite, présente en force dans son gouvernement, et une ouverture vers l’opposition travailliste. Pour se donner une image d’homme d’Etat responsable confronté à la déferlante terroriste, il n’hésite pas à évoquer un possible gouvernement d’union nationale : Likoud, formations ultraorthodoxes et travaillistes. Cette coalition disposerait d’une majorité et serait autrement plus présentable à l’étranger ! Mieux encore : Benyamin Netanyahou dispose d’un prétexte tout trouvé pour redistribuer ses cartes. Le ministre de l’Education, Naftali Bennet, chef du Foyer juif, le parti ultranationaliste religieux, et Ayelet Shaked, numéro deux du même parti et ministre de la Justice, ont critiqué publiquement la « mollesse de la répression » et préconisé une relance à tout-va de la colonisation. Pourtant, Netanyahou se refuse pour le moment à rompre les ponts. L’opinion publique semble lui donner raison. Selon les derniers sondages, un tiers seulement des Israéliens considèrent qu’un gouvernement Likoud-travaillistes constituerait la panacée, alors que 48 % s’opposent à ce scénario. Bref, Benyamin Netanyahou continue à tout faire pour ne pas avoir d’ennemis sur sa droite. De plus, l’entrée au gouvernement des travaillistes le forcerait à relancer des négociations avec les Palestiniens, ce que l’extrême droite et les durs du Likoud ne lui pardonneraient pas. Seul sans doute un embrasement général pourrait le contraindre à changer de stratégie."

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