Revue de presse

"Intégration : comment Ayrault s’est piégé tout seul" (Le Journal du Dimanche, 15 déc. 13)

"Refondation de la politique d’intégration" 15 décembre 2013

"Il a fallu trente et un jours pour que les propositions des rapports sur l’intégration provoquent un tollé à droite... et à gauche.

"Suppression des dispositions légales et réglementaires scolaires discriminatoires, concernant notamment le ’voile’…" C’est cette petite phrase perdue à la fin de la page 70 d’un des cinq rapports mis en ligne le 13 novembre dernier, il y a trente et un jours, sur le portail du gouvernement, qui a allumé la mèche. Pendant un mois, le feu s’est propagé à bas bruit dans la communauté scientifique et laïque pour exploser vendredi matin en une du Figaro.

Des défenseurs de la laïcité ont cru voir dans ce jargon administratif la volonté du gouvernement de revenir sur la loi du 15 mars 2004 interdisant le port du voile et plus largement des signes religieux à l’école. Malika Sorel, essayiste française d’origine algérienne, ancien membre du Haut Conseil à l’intégration (HCI) [1] fait partie des gardiens du temple qui ont alerté les rédactions. Les frondeurs, jeudi, espéraient trouver un écho à la convention UMP que présidait jeudi Jean-François Copé. Sans succès, la réunion s’est concentrée sur les questions d’immigration…

Depuis samedi, le débat est lancé. Matignon a beau jurer qu’il n’en est rien, égrainer les états de service de Jean-Marc Ayrault sur le front de la laïcité, la suspicion est installée. Ces cinq rapports sont à la fois le fruit d’un grand cafouillage et le signe de lignes de fractures profondes dans la famille socialiste sur la question de l’intégration, entre les "multiculturalistes" et des "républicains".

Pour comprendre le couac il faut remonter aux origines de ces groupes de travail. À peine installé à Matignon, Jean-Marc Ayrault annonce sa volonté de "refonder" la politique d’intégration. Il confie à Thierry Tuot, un conseiller d’État, le soin de rédiger un rapport sur le sujet. Ce dernier avait dirigé entre 1997 et 1999, le Fonds d’action sociale (FAS) en faveur des populations immigrées. Il distribuait notamment des subsides aux associations œuvrant dans les quartiers. À l’époque, il avait publié un pamphlet, Les Indésirables, sous le pseudonyme de Jean Faber, sur l’échec de la politique d’intégration des années 1990. Ce qui lui avait coûté son poste. Martine Aubry, son ministre de tutelle, avait modérément apprécié ses positions.

Selon, nos informations, le style de son rapport de février dernier [2] a également "embarrassé" Jean-Marc Ayrault. "Certaines de ses préconisations sur les carrés musulmans ou le logement des travailleurs immigrés étaient un peu datées, raconte un conseiller du gouvernement, et puis il y avait des propositions de régularisation gênantes avec titre de ’tolérance’ pour les clandestins."

Le Premier ministre, qui comptait sur ce travail pour lancer sa "refondation de la politique d’intégration", s’est trouvé pris de court. Du coup, en juin, Matignon a demandé à dix ministres (Logement, Culture, Emploi…) de lancer des groupes de travail pour servir de socle à cette politique. Ce sont 250 personnalités, principalement issues du milieu associatif, qui ont été choisies. Aucun des "penseurs" de l’intégration de gauche n’a été associé à ces travaux. Pas plus le spécialiste de l’histoire de l’immigration, Patrick Weil, qui avait pourtant rédigé des notes pour François Hollande pendant la présidentielle, que François Héran de l’Ined, ou Hervé Le Bras de l’Ehess.

Lorsque le Premier ministre réceptionne les conclusions des groupes, le 13 novembre, il remercie très officiellement les contributeurs "pour la qualité" de leurs travaux sans en mesurer le caractère explosif. Les services de Matignon mettent en ligne l’ensemble des documents. "Par souci de transparence, précise un conseiller. Ce ne sont pas les positions du gouvernement." Pourtant, depuis le début du quinquennat, de nombreux signaux ont montré que le terrain est miné. Les premières tensions sont apparues au sein de l’Observatoire de la laïcité, présidé par Jean-Louis Bianco, et l’un de ses membres éminents, Jean Glavany, autour de la question du voile à l’université [3].

Cet été, un avis du Haut Conseil à l’intégration (HCI) interrogeait sur la question religieuse sur les bancs de la faculté [4]. Manuel Valls a immédiatement considéré qu’il était du devoir de l’Observatoire de s’en saisir. Jean-Louis Bianco, son président, rechignait. Jean Glavany affirmait haut et fort le contraire. Alain Seiksig, ancien membre de mission laïcité du HCI, qui avait planché sur le sujet, a mal vécu l’épisode. Cet inspecteur général de l’Éducation nationale, ancien membre du cabinet Lang, remarque qu’"en août notre mission s’est vu interdire par le cabinet du Premier ministre la publication de notre avis sur l’enseignement supérieur…"

Valls, Peillon et sa charte de la laïcité à l’école dans un camp, Ayrault et les tenants du multiculturalisme dans l’autre ? C’est un schéma dans lequel le Premier ministre ne veut pas se laisser enfermer."

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