Gilles Kepel, directeur de la chaire Moyen-Orient-Méditerranée à l’ENS, auteur de "Le Prophète et la pandémie" (Gallimard). 1er mai 2021
[Les éléments de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]
"En étudiant le compte Facebook du tueur de Rambouillet, l’islamologue apporte les preuves d’un « djihadisme d’atmosphère ».
[...] C’est le calendrier qui frappe. Il a agi le vendredi, au onzième jour du ramadan. On sait que toute action brutale qui vise à donner la mort à des ennemis d’Allah entraîne une rétribution supplémentaire dans l’au-delà pour le chahid (martyr) si elle est commise durant cette période. Les mois de ramadan, lors de la guerre civile en Algérie entre 1992 et 1997, ont toujours correspondu aux moments les plus sanglants. Mais c’est aussi le vendredi qui suit le 10e jour, qui est particulier, puisqu’il marque dans l’histoire sainte le début de la reconquête de La Mecque lancée par le Prophète depuis Médine. Ce que les Israéliens nomment la guerre du Kippour, déclenchée par les Égyptiens et les Syriens en 1973, est appelé par les musulmans la guerre du Ramadan, ce nom de « 10 de Ramadan » a même été donné à une ville-satellite du Caire. On retrouvait cette surdétermination du calendrier lors de l’attentat dans la basilique de Nice, où le Tunisien Brahim Aissaoui a frappé le jour du Mouloud, l’anniversaire du Prophète, qui tombait le 29 octobre cette année. [...]
Il est assez bien intégré dans la société française, il a obtenu une autorisation de séjour salarié. Son univers se fait-il l’écho de la politique française ?
Il a été régularisé au bout de dix ans en effet, ce qui ne manquera pas d’être débattu. Pour répondre à votre question, oui, et c’est la singularité de cet individu, qui a une vision du monde hybride. Un islam politique qui fait référence en 2013 au djihadisme, avant Daech, lorsque les jeunes qui partaient d’Europe se battre contre Assad bénéficiaient de la mansuétude des autorités. Par contre, il affichait souvent par la suite des captures d’écran concernant l’islamo-gauchisme français. Que ce soit sa mouvance islamiste avec des citations ou des retweets d’Idriss Sihamedi, le patron de Barakacity, l’ONG musulmane récemment dissoute par le ministère de l’Intérieur, ou de Marwan Muhammad, l’ancien chef du CCIF (Collectif contre l’islamophobie en France, également dissous), ainsi que de Tariq Ramadan. Mais il se fait le relais aussi, sans commenter, car il ne semble pas en avoir les moyens intellectuels, du gauchisme philo-islamiste. Il partage largement les messages de Jean-Luc Mélenchon, Yassine Belattar, François Burgat, de la chaîne AJ+ – chaîne d’Al-Jazira en français destinée aux jeunes de banlieue –, soit le gotha de l’islamo-gauchisme, ainsi que les images de la grande manif contre l’islamophobie de novembre 2019. Il est dans la défense victimaire de l’islam harcelé. Erdogan, nouvelle figure de commandeur des croyants pourfendeur d’Emmanuel Macron, est aussi présent, ainsi que des prédicateurs égyptiens et tunisiens rigoristes. [...]
Il ne se réfère pas à des messages djihadistes comme Anzorov, l’assassin de Samuel Paty, il n’agit pas comme le Pakistanais un peu paumé qui a voulu tuer avec une feuille de boucher des membres de la rédaction de Charlie Hebdo pendant le procès, réagissant à des vidéos pakistanaises de protestation vues sur son smartphone, mais s’est trompé de cible. Celui-ci baigne à la fois dans un islam politique et une admiration pour les principaux représentants en France de l’islamo-gauchisme. Dans ce djihadisme d’atmosphère, le passage à l’acte est l’aboutissement d’un processus long et intense qui mène à une forme de séparatisme. [...]"
Lire "Gilles Kepel : « Le Facebook du tueur de Rambouillet traduit bien son parcours »".
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