Revue de presse

G. Chevrier : "Djihadistes français : les faux-semblants du rapport de Dounia Bouzar" (lefigaro.fr/vox , 20 nov. 14)

Membre de la mission Laïcité du Haut Conseil à l’Intégration (2010-2013). 22 novembre 2014

"Le parquet a confirmé la présence de deux français, récemment convertis, parmi les djihadistes de la vidéo d’exécutions de Daech. Guylain Chevrier revient sur le profil de ces jeunes séduits par l’Islam radical.

FigaroVox : Parmi les assassins de l’Américain Peter Kassig, il y aurait deux Français convertis. Ce phénomène des Français convertis qui partent se battre contre leur propre pays vous surprend-il ? Comment l’analysez-vous ?

Guylain CHEVRIER : Ce phénomène surprend et inquiète, mais n’est-il pas dans la continuité de toute une série d’alertes sur lesquelles on a régulièrement attiré l’attention. Il n’est pas détachable de la façon dont une partie de la jeunesse de nos banlieues est en recherche de repères où s’accumulent les ruptures du lien social, mais aussi du lien moral avec la France, comme Nation voire comme République. Lorsque la société connait une crise du lien social, les idées communautaristes resurgissent, venant contester un modèle commun fragilisé où l’intégrisme religieux trouve un terreau favorable.

On parle de zones de non-droit pour identifier, peu ou prou, la réalité de certaines cités ghetto, mais il s’agit surtout de zones de profond désarroi identitaire potentiellement favorables à toutes sortes de dérives, créant un effet d’aubaine pour les recruteurs de la délinquance ou/et de l’islam radical. Le discours qui victimise le musulman comme nouvelle figure de l’opprimé, rabattant des difficultés d’intégration sociale sur les discriminations sans aucune mesure, pousse à se tromper de colère derrière l’idée d’une France raciste qui s’inscrirait là dans une continuité postcoloniale, avec des effets désastreux de repli sur soi.

Dans ces zones où se concentrent en général, pour des raisons sociales, les populations issues de l’immigration, l’islam a une forte emprise sur les jeunes, sur tous les jeunes, qui dépasse les contours de l’immigration et des enfants de celles-ci. Une religion qui peut être encouragée, par un discours victimaire, à être vécue comme celle d’une minorité opprimée s’offrant comme support d’une révolte contre la société, et de rejet de l‘intégration sociale.
La cité, notion prise dans un sens large qui intègre la notion de quartier, est le lieu où on exalte la transgression des normes et des valeurs collectives, au regard d’une société et d’un Etat qui ne fait plus autorité, avec un prêt à porter de l’irrespect qui est devenu un véritable lieu commun. Dans ce contexte, on voit des jeunes de plus en plus jeunes rejeter tout cadre, comme l’observent les travailleurs sociaux, face auxquels les réponses éducatives classiques sont inopérantes avec une justice souvent démunie.
Ce délitement du lien social sous le signe d’un brouillage des repères communs, peut nourrir des marges qui, comme on l’a vu lors des violences urbaines de novembre-décembre 2005, peuvent prendre des formes extrêmement violentes. Ces ingrédients viennent poser le cadre d’une légitimité symbolique de la violence, tournée contre ce que représente la société qui peut ainsi se synthétiser dans un engagement religieux radical.

Une situation favorisée aussi par une République qui défend parfois bien mal ses valeurs et ses couleurs, flattant la logique identitaire pour croire ainsi obtenir en échange la paix sociale dans les quartiers, mais c’est tout le contraire. Le contrôle d’une femme en voile intégral, à Trappes ou à Argenteuil, a pu déclencher de véritables émeutes.

L’islam peut être ressenti parfois par des musulmans pratiquants, qui sont dans le respect de la tradition, comme en situation de télescopage avec certaines valeurs occidentales, telle que l’égalité homme-femme, la séparation entre espace public et espace privé relativement à l’exercice de la religion, une sécularisation du religieux acquis en France à laquelle il est difficile de s’adapter…
Ailleurs, dans le monde, on a vu apparaitre des conflits armés où l’islam est à l’initiative, sur beaucoup de fronts face à des pays occidentaux, offrant une analogie avec l’interprétation d’un certain vécu négatif vis-à-vis de la religion en France, savamment mis en parallèle par ceux qui développent la propagande djihadiste. Aller combattre dans ces conditions au nom d’un Etat islamique peut apparaitre comme une grande cause dont l’engagement est vu sous l’angle d’un idéal héroïque, dans la continuité avec cette violence ressentie comme « légitime » qui était déjà tournée contre la société occidentale.

Les nouveaux convertis sont encore plus sensibles à ce schéma d’appel à la violence, d’autant plus que, pour prouver leur allégeance à Allah, ils se doivent d’en rajouter encore par rapport aux autres musulmans. Le ministère de l’intérieur attire l’attention sur la tranche des 15/24 ans qui est la plus touchée, la frange de la population socialement la plus fragile.

Dounia Bouzar, présidente du Centre de Prévention des Dérives Sectaires liées à l’Islam (CPDSI) a communiqué ce mardi ses chiffres sur le profil type des candidats au djihad : la majorité des candidats seraient des Français de souche, souvent athées. Ces chiffres vous paraissent-ils crédibles ? Sont-ils à relativiser ? (Rappelons qu’il ne s’agit que d’un échantillon de 160 personnes)

Selon ce rapport sur les djihadistes et leurs familles, pas plus de 5% seraient de petits délinquants, 10% seulement aurait un « grand-père » immigré, 80% seraient de familles athées.
Tout d’abord, revenons sur l’échantillon que prend pour point d’appui ce rapport, 160 familles qui auraient pris contact spontanément avec ce Centre, alors que 1200 seraient concernées. Selon le ministère de l’intérieur qui a mis en place un numéro vert, ce sont 650 familles qui ont pris contact avec lui depuis avril, ce qui a permis d’empêcher le départ d’environ 70 jeunes.
Le présentateur du JT de 20h de France 2, David Pujadas disait lui-même, avant de passer la parole à son invité, Dounia Bouzar, le 17 novembre dernier, que l’échantillon pris par son rapport n’était pas nécessairement représentatif.
Seuls des chiffres du ministère de l’intérieur seraient susceptibles de nous éclairer, prenant en compte l’ensemble des familles en référence. Une cellule de Seine-Saint-Denis installée dans un appartement, qui reçoit les familles inquiètes face à cette problématique, relève que la moitié de celles qui la sollicitent sont non-musulmanes.

Par ailleurs, on peut se poser aussi la question de savoir, si le fait que ces familles qui l’ont contactées soient très majoritairement athées, tel que cela est rapporté, ne soit pas le reflet d’une certaine réticence des familles musulmanes à se manifester. Ce qui pourrait se comprendre au regard de la façon dont cela peut aussi les exposer autrement, relativement à un attachement à leur religion ainsi mis à l’épreuve.
Ce qui est gênant dans la façon d’exposer ce rapport et d’en faire publicité, c’est d’appuyer essentiellement sur l’idée que le djihadisme serait le fait essentiellement de convertis, c’est-à-dire de Français non issus de l’immigration, alors que l‘on sait que cela est tout à fait faux.
Il y a toujours derrière cette façon de forcer le trait une lecture entre les lignes à avoir, qui est à mettre en relation avec l’explication de Madame Dounia Bouzard selon laquelle cette dérive radicale serait une dérive sectaire n’ayant rien à voir avec l’islam, ce qui me parait tout de même un comble. C’est d’ailleurs aussi une ligne des grands-médias qui ont tendance à ne plus voir maintenant que des djihadistes convertis, manifestation d’une dérive radicale de l’islam qui relèverait de beaux idéaux pervertis. Les choses sont bien plus complexes.

Ces chiffres donne-t-il finalement raison à ceux qui nient la dimension religieuse et communautaire du problème ?

C’est bien, précisément, ce que je veux dire. Madame Dounia Bouzar, sur France 2, explique qu’il faut chercher les signes de rupture pour prévenir le risque de dérive radicale, précisant que : « Ne pas cherchez les signes religieux, ce ne serait que faire de l’amalgame et prendre ces terroristes pour de simples musulmans ». Ce qui saute aux yeux, c’est un discours qui cherche à tout prix à écarter le moindre rapprochement avec la religion musulmane elle-même !

S’il n’est nullement question d’assimiler les musulmans en général avec ces djihadistes, pour autant, traiter la chose de cette façon est totalement contraire à la réalité des risques encourus. La vérité est qu’il se livre une guerre à mort entre deux visions de l’islam. Une radical et integriste et l’autre désireuse de s’adapter au monde tel qu’il est. Rappelons qu’il est question de 1200 candidats au djihad aujourd’hui, dont des femmes et des mineurs, chiffre qui ne cesse de grossir.

Pour semer le trouble dans les esprits, l’Etat islamique assure qu’il est dans la ligne de ce que les écrits de cette religion rapportent : le modèle de gouvernement qui s’inspire des pratiques instaurées par le Prophète. L’islamisme est une doctrine politique qui vise à l’expansion de l’islam, qui s’inscrit dans le prolongement de l’Oumma, la communauté des musulmans, « la Nation islamique » qui subjugue toutes les autres appartenances ; le fondement doctrinal de l’islam est qu’Allah est unique dont l’unicité renvoie à Al-islam, dont la signification littérale est l’abandon intégral de toute la personne à Dieu, impliquant une soumission absolue ; La charia est la loi islamique qui est incluse dans tout projet d’Etat islamique, qui trouve sa source dans le Coran.

L’Etat Islamique assure que le Djihâd, la « Guerre Sainte », loin d’être étranger à l’islam, en fait partie intégrante. Défini par le cœur, par la langue, par la main et par l’épée, il est interprété par une partie des musulmans comme le sixième pilier de l’islam. De fait, le Djihâd par l’épée sert d’argument à différents groupes musulmans pour promouvoir leurs guerres contre des « mécréants » dans quoi ces jeunes djihadistes se reconnaissent.

L’Etat Islamique prend appui sur certains extraits du Coran qu’il proclame de façon fondamentale : « Ceux qui ne croient pas à Nos versets, Nous les brûlerons bientôt dans le feu. Chaque fois que leur peaux auront été consumées, nous leur donnerons d’autres peaux en échange afin qu’ils goûtent au châtiment…. » (Sourate 4 verset 56), « La récompense de ceux qui font la guerre contre Allah et Son messager(…) c’est qu’ils soient tués, ou crucifiés, ou que soient coupées leur main et leur jambe… » (Sourate 5 verset 33).

Au-delà du danger que représente l’islam radical, la France traverse-t-elle une grave crise d’identité ?

Il y a, c’est évident, une grave crise identitaire, qui est lisible à travers les confusions et les contradictions que nous voyons apparaitre dans le traitement par les responsables politiques et les médias de ce phénomène de radicalisation de l’islam, dont l’histoire est loin d’être refermée.

Comment ne pas voir le fait que nous assistons en France à un repli communautaire inquiétant, potentiellement terreau à bien des risques, qui questionne notre cohésion sociale et notre vivre-ensemble ? Qu’il s’agisse du développement du voile et de tenues vestimentaires inscrites dans un retour à la tradition, d’un refus du mélange au-delà de la communauté de croyance nettement affirmé, accompagné d’une tendance à une relecture littérale du Coran, autant que de la multiplication des revendications communautaires à caractère religieux.

L’actuel vice-président du Conseil Français du Culte Musulman, Monsieur Chems-eddine Hafiz, avocat, explique dans un ouvrage dont il est le co-auteur que, « le droit est sans prise sur la foi. » (1) Une conception de la foi qui peut être interprétée comme supérieure à la loi commune, incitant au rejet de l’autorité de l’Etat et des institutions. Une posture qui est à haut risque pour les musulmans eux-mêmes.

Il semble que chaque religion connaisse à un moment donné une période de radicalisation face à l’exigence de s’adapter à la modernité, l’islam semble traverser la sienne. Aussi, tant qu’il n’y aura pas de modernisation du rapport de l’islam à ses propres références, le danger existera d’une dérive radicale.

Que faut-il faire des Djihadistes à leur retour ?

Georges Fenech, président du groupe d’étude sur les sectes à l’Assemblée nationale, a appelé, mercredi sur France Info, les pouvoirs publics à s’appuyer sur la Miviludes et les associations pour « empêcher les jeunes de tomber dans la radicalisation ». Il juge que « tous les critères de la dérive sectaire » se retrouvent chez Daech. Si on suivait cette seule intention, les djihadistes seraient les victimes d’un l’endoctrinement, d’une dérive sectaire, impliquant à leur retour en France de les traiter comme tels et non de les poursuivre.
Mais si on se réfère à l’attitude du second djihadiste converti Mickaël Dos Santos, un habitant du Val-de-Marne de 22 ans, vu sur la vidéo parmi les bourreaux de l’Américain Peter Kassing et des 18 soldats Syriens décapités avec lui, on doit s’interroger. On sait aujourd’hui que ce djihadiste a participé à des atrocités qu’il revendique sur les réseaux sociaux sur lesquelles il est très actif, où il mène une véritable propagande en toute conscience. Il ne faudrait tout de même pas tomber dans un inversement de valeurs ici.

Sans s’étaler sur les Mohamed Merah et autres Mehdi Nemmouche, il suffit de lire les témoignages que rapporte la presse comme l’Obs enquête (2) pour voir ce qu’il en est, où on relate le départ pour la Syrie de « Yacine, Mohammed et Mourad, les copains de la Meinau, une cité de Strasbourg (…) et leur complice, Miloud, les frères niçois Marc et Jordan » avec des intentions qui n’ont rien à voir avec une démarche humanitaire à travers laquelle on les aurait piégé, comme en témoigne le mot laissé par l’un d’entre eux : « Je vais mener une vie qui ait un vrai but et un vrai sens (….) On se bat pour Allah (…) pour l’instauration de la charia [sic]. »
Les centaines de jeunes Français, exaltés, fanatisés, qui sont déjà partis pour la « Guerre Sainte » en Syrie, ne sauraient voir leurs actes excusés et être posés en simples victimes ! Bien au contraire, il faut que l’on mette en conscience ce que représente ce type d’engagement comme indignité, rupture avec toute humanité, en insistant sur la responsabilité que chacun a de ses actes au regard de valeurs inscrites dans les Droits universels de l’homme reconnus par l’ONU.

1-Chems-eddine Hafiz et Gilles Devers, Droit et religion musulmane, Dalloz, 2005, Pages 34 à 36

2-Djihadistes français : qui sont les nouveaux fous d’Allah, L’Obs enquête, 22-04-2014."

Lire " Djihadistes français : les faux-semblants du rapport de Dounia Bouzar".


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