Revue de presse

G. Chevrier : "Ces indigénistes qui s’invitent dans les écoles de certains quartiers" (atlantico.fr , 29 sep. 18)

par Guylain Chevrier, docteur en histoire, enseignant et formateur en travail social, vice-président du Comité Laïcité République. 2 octobre 2018

[Les articles de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

"Les thèses indigénistes, portées notamment par le syndicat "Le Front des mères", qui cherche à peser dans le système éducatif, servent de prétexte à une remise en question de la laïcité en France et à un rejet de la France de manière plus générale.

Atlantico : Le « Front de mères », syndicat de parents de Seine-Saint-Denis mené par Fatima Ouassak, proche des Indigènes de la République et par la blogueuse Diariatou Kebe, faisait sa rentrée le 15 septembre à Montreuil. Derrière le débat contre le racisme d’Etat, les thèses indigénistes défendues par le syndicat cherchent à peser dans le système éducatif. Le thème du racisme d’Etat brandi par les Indigènes de la République sert-il de prétexte à une défense du communautarisme et à une lutte contre la laïcité ?

Guylain Chevrier : Il parait évident que ce thème, repris par une myriade de groupes organisés à tous les étages de la société, aujourd’hui de l’Université aux quartiers où se mélangent militants islamiques, une partie de l’extrême gauche et certains altermondialistes, est au service d’un communautarisme tourné par essence contre la laïcité. Cela s’objective ne serait-ce qu’à travers la demande d’abrogation de la loi du 15 mars 2004 d’interdiction des signes religieux dans l’école publique jugée discriminatoire, ou la demande du halal à la cantine au nom du respect des différences. Et donc, une conception du religieux ne devant en aucune manière être limité, entravé, avec un port du voile qui en est l’étendard.

On trouve autour de ce « Front des mères » qui tient un discours racial d’une violence inouïe contre l’Etat et l’école [1], des intervenants à leurs initiatives qui sont les mêmes qui participent à des événements avec les plus radicaux ennemis de la laïcité. Pour le plus connu, le Collectif contre l’islamophobie en France, dont on sait la proximité avec les Frères musulmans, qui ne cesse de faire des procès aux intellectuels laïques, qu’heureusement jusqu’alors il a perdus.

Certains de leurs soutiens, qui se présentent comme plus vrais que nature, dénoncent une laïcité qui servirait à stigmatiser et à justifier le racisme, à ne pas céder à un principe de tolérance généralisé qui la réduirait à néant. C’est d’ailleurs le sens qu’ils font de l’usage du terme de discrimination, en jugeant que tout ce que limite la loi en France au regard des manifestations ostensibles d’appartenance, la non-reconnaissance juridique des particularismes, serait du racisme, en inversant complètement le sens des choses à dessein.

Leurs revendications vont à l’affrontement avec les institutions de la République, en affirmant un droit à la différence qui implique la reconnaissance de la différence des droits, ce qui est le préalable à une société organisée sur le mode du multiculturalisme. C’est l’inverse de notre République qui, à travers la laïcité, c’est-à-dire la séparation des Eglises et de l’Etat, a affirmé que l’Etat se portait au-dessus des particularismes dont, des Eglises et de leur influence, pour faire prévaloir l’intérêt général, la citoyenneté sur toute autre considération. C’était ainsi ramener pour le bien de tous les attaches particulières de chacun au rang de la société civile et de la vie privée. Voilà ce qu’on cherche à briser et qui constitue l’obstacle majeur à ce modèle anglo-saxon du multiculturalisme.

La remise en question du modèle français de laïcité et d’intégration provient également des partisans du modèle anglo-saxon. Peut-on faire un parallèle entre ces deux visions ?

Le modèle républicain est fondé sur le principe d’égalité, il est intégrateur dans ce sens qu’il considère d’abord les individus comme des citoyens et les enfants comme de futurs citoyens. Cela vient d’une conception de la nation fondée sur cette liberté que constitue pour le peuple de s’ériger en corps politique souverain, en dépassant les divisions, pour écrire l’histoire au lieu de la subir, dont la révolution de 1789 en a été l’accomplissement. Un citoyen d’une nation libre par le fait qu’il soit celui qui fait les lois auxquelles il obéit, ne serait-ce qu’à travers le choix de ses représentants, de ses institutions. La voilà l’origine de la volonté de vivre ensemble sous des principes communs ! C’est pour cela que l’on entend que l’enfant laisse à la porte de l’école traditions et religions, afin qu’il puisse être éduqué à cette responsabilité qui est celle de la gestion des affaires de la cité avant toute chose, et pour laquelle il a besoin de la formation d’un libre-arbitre, d’une pensée autonome. Les droits civils ont suivi la logique que l’histoire de la France a donné aux droits politiques, en considérant que rien ne devait venir s’interposer entre le citoyen et l’Etat, pas même une Eglise. Les droits et libertés individuels sous notre République ne peuvent ainsi être soumis à aucune forme de droit communautaire, comme le mariage civil, seul reconnu en France le souligne, tout en laissant la liberté à chacun d’un mariage religieux s’il le souhaite après être passé devant l’officier d’état civil. Il protège contre la prédominance de droits matrimoniaux à caractère religieux ou traditionnel discriminatoires envers les femmes, ou même, les droits de l’enfant, déjà prédestiné selon son sexe à occuper dans de nombreuses cultures des places bien différentes dans la société, ou encore, de l’interdiction de se marier entre personnes de castes différentes.

Notre République, à travers l’affirmation de la laïcité de l’Etat a poussé la démocratie jusqu’au bout, en portant le citoyen à ce rang supérieur, alors qu’ailleurs, dans bien des pays, la citoyenneté n’est qu’une dimension à côté des autres, parallèle à l’importance donnée aux particularismes. En Allemagne ou au Royaume-Uni, le juge reconnait le droit matrimonial religieux, culturel, tolérant ainsi une incohérence entre les droits politiques du citoyen et ses droits civils. Elle est la conséquence d’une conception de l’organisation sociale fondée sur l’égalité de traitement, non des individus, mais des différences, hormis les droits politiques. C’est-à-dire le principe de non-discrimination, à la source de quoi se nourrit le multiculturalisme. Il en résulte que le citoyen n’en est plus vraiment un, chaque communauté utilisant ses membres pour faire pression sur les politiques afin d’en obtenir des avantages sur le mode de la discrimination positive, bien loin de l’intérêt général qui s’efface derrière les particularismes et leurs revendications. Sans compter encore avec la concurrence que se livrent les communautés, qui se traduit régulièrement par des affrontements intercommunautaires.

La mixité sociale est une forte valeur pour la France où le mélange des populations demeure encore la règle, même si elle tend à être bousculée par les forces communautaristes séparatistes, tel que nous l’évoquons. Dans le multiculturalisme c’est le contraire, on ne se mélange pas ou très peu, on se met à part, selon une sorte de statut quo avec la société qui a tous les attributs d’un rejet des autres accepté comme la norme, à la façon d’un racisme institutionnalisé qui ne dit pas son nom, derrière un principe de tolérance souvent bien hypocrite. J’aime à citer ce journaliste d’un grand journal people en Allemagne qui s’exprimait dans un reportage sur Arte sur la laïcité, et disait trouver plus que légitime que les femmes musulmanes portent le voile, qu’elles affirment leur identité, puisqu’elles ne seraient jamais reconnues comme des femmes allemandes (laissant entendre implicitement « quoi qu’elles fassent »). Il y a bien plus d’humanité et d’humanisme dans notre République que dans ces sociétés où l’on se sépare pour créer des catégories de sous-citoyens, assignés malgré eux à des communautés qui les captent, derrière lesquelles leur citoyenneté n’a plus aucune signification. Sinon, celle propre à un clientélisme communautaire qui ramène l’individu à un simple pion dans un groupe, dont le sort dépend de l’arbitraire de chefs de clan, agissant au nom de la tradition et de la religion.

On fait prévaloir que, dans le multiculturalisme, on intégrerait mieux économiquement, parce qu’il n’y aurait pas d’entrave liées aux différences. Tout d’abord, en termes de promotion sociale, l’Observatoire des inégalités a noté dans l’une de ses études qu’en France, à classe sociale égale, les enfants de l’immigration réussissaient aussi bien que les autres. Mais plus encore, la France ne se pense pas d’abord comme une économie mais comme une société de citoyens précisément, dont découle des libertés et des devoirs, une façon de vivre ensemble qui protège des manifestations excessives des différences ce que l’on met en commun pour faire société. Tout ne peut être libéral dans le sens de ne rien respecter en dehors de la logique du marché, au regard duquel il existe des biens plus précieux qui, s’ils ne sont pas protégés, ruineront par leur disparition un jour les affaires, car le multiculturalisme comprend bien des risques de fracture et d’affrontement qu’il ne faut pas sous-estimer.

Et puis, il existe en France des biens sociaux que l’on ne connait nulle part ailleurs, en termes de protections collectives, qui découlent justement de cette façon de faire peuple et de cette conception solidaire de la citoyenneté qui concoure au bonheur de chacun, l’air de rien. Ceci, même si tout n’est évidemment pas parfait et qu’il existe des inégalités, mais qui sont à mettre largement au compte d’une crise économique qui n’est pas particulière à la France, et qui a porté un coup de frein sévère à la dynamique des trente glorieuses qui avait fait faire un bond qualitatif considérable à notre société, dans le sens d’une réduction de la pauvreté, des inégalités, et du développement des classes moyennes. Il ne faut pas non plus négliger les enjeux de l’intégration dans de telles circonstances, qui n’aident pas, alors que c’est par le travail que celle-ci aboutit le mieux.

Nous ne nous rendons pas assez compte du fait que notre modèle républicain est à l’avant-garde du progrès au regard de bien d’autres sociétés où on tolère nombre d’inégalités au nom du respect des cultures. L’égalité de traitement des individus indépendamment de la couleur, l’origine ou la religion, le sexe, est primordiale pour garantir à chacun son libre choix, son autonomie, sa liberté en somme. Mais aussi pour procurer à la société, au peuple qui y vit, de conserver la liberté du choix de ceux qui les gouvernent, de nos institutions et de leurs transformations, selon le seul critère de leur libre-arbitre politique, au mieux de l’intérêt général. C’est un principe encore plus à préserver en ce temps de crise de la représentation politique et donc du système des partis, il en va de notre démocratie et de la République qui la protège.

Les thèses des Indigènes de la République font polémique depuis plusieurs années. Mais quel est le poids de ce courant de pensée ? Ne leur accorde-t-on pas une influence surévaluée ?

Du « Front des mères » à l’organisation par le syndicat SUD-Education 93 dans le cadre d’un stage d’ateliers dits « non-mixtes », de l’organisation dans des universités de colloques dé-coloniaux et autres camps d’été dans le même genre, à la projection du film « Black Panther » à Paris avec pour critère « Only black » , aux violences urbaines au moindre problème dans les quartiers avec les policiers, dénoncé comme du racisme, ne faisant pourtant que leur travail, en passant par la députée insoumise Obono qui prend la défense d’Houria Bouteldja indigéniste notoire ouvertement antisémite et homophobe, ainsi que toute une tendance du rap antisocial et racialiste jusqu’au clip du rappeur Nick Conrad « PLB » (Pour pendez les blancs) avec appel au meurtre [2], il y a de quoi s’inquiéter. Il ne faut pas non plus oublier qu’il y a en toile de fond une radicalisation religieuse qui fait contagion et se nourrit à cette veine.

Le problème, est que lentement mais surement, ce discours racial importé directement des Etats-Unis répand son poison. J’entendais dans un débat [3] dire qu’il fallait faire attention, et ne pas condamner tout le rap parce qu’il y a un Nick Conrad ou quelques rappeurs dont les propos insultent la France. Mais ce que l’on oublie, c’est que le rap vient des Etats Unis, qu’il est d’inspiration raciale en raison du multiculturalisme américain socialement très violent, et qui charrie beaucoup de haine. Ainsi, le plaquer sur la France sans nuance, relayé par un discours de plus en plus racialisé de ceux qui ont la haine de la République, peut faire de gros dégâts dans les esprits. On le voit bien d’ailleurs, lorsque dans le même débat on se réfère à un reportage où on est allé interroger des jeunes à Noisy le Grand où a été tourné le clip « PLB », pour constater que les réactions banalisent, ne voyant pas le problème.

Ce procès en racisme de la France sert de moyen d’intimidation morale en faisant pression sur notre société, d’appel au rassemblement de tous ceux qui voient dans l’Etat l’ennemi, sous le thème de « l’intersectionnalité », des féministes qui défendent le voile comme un symbole d’émancipation de « l’oppression d’Etat » aux végans qui revendiquent l’usage de la violence contre l’abattage animal… C’est exactement ce que fait ce fameux « Front des mères ».

Un discours au service d’une victimisation à outrance, rabattant sur le thème des discriminations tous les problèmes, poussant par cette véritable paranoïa et donc par la peur, au regroupement communautaire comme seule planche de salut. Le MRAP à une époque appelait à ne pas se tromper de colère pour ne pas tomber dans le panneau du racisme, à ramener à l’immigration la cause de tous les maux. Réaction face à un FN qui avait fait de ce thème un fonds de commerce. Eh bien, avec ce mouvement, on assiste à l’usage de cette même méthode de récupération de la colère sociale, mais de la part de ceux qui se présentent comme luttant contre le racisme et les discriminations. C’est une sorte de hold-up émotionnel, qui marche d’autant mieux que toute une série d’intellectuels de gauche servent de caution morale à cette idéologie, mais aussi il faut bien le dire, des gouvernants et des tribunaux qui sont très en-deçà du niveau de réaction proportionné nécessaire.

Considérer que ce courant de pensée ne représente pas un danger, et ne pas le dénoncer, serait de la non-assistance à République en danger. Il ne faut pas attendre le cran plus loin au risque qu’il devienne une force politique organisée, faisant face au FN, car là, nous serions devant bien d’autres risques. Ce que nous vivons avec toutes ces attaques contre nos institutions, la laïcité, c’est l’enjeu d’une fragmentation, d’une décomposition de notre société. Il y a en suspend un véritable risque d’affrontement dans les quartiers, dont les violences urbaines de novembre-décembre 2005 n’étaient qu’une répétition, au regard d’une haine raciale qui, depuis, par l’entremise de ce courant, s’y est diffusée, et est devenue un danger objectif pour nos libertés."

Lire "Ces indigénistes qui s’invitent dans les écoles de certains quartiers".



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